mercredi 21 novembre 2018 - par Yves Alvarez

Comment la télévision dénature le jeu

Quand on évoque l’outil télévisuel de l'autre côté des Pyrénées, le nom de Jaume Roures arrive en tête de liste. Fondateur et patron du groupe Mediapro, Roures est un personnage incontournable dans la diffusion de programme pour la télévision espagnole...

 

Première période

D’après sa biographie, Roures né en 1950 à Barcelone s’investit dès sa prime jeunesse dans la politique. Adulte, il milite dans les cellules communistes révolutionnaires de tendance trotskystes. Il est arrêté et emprisonné pour ses activités lors de la période franquiste. Une fois libéré, il se tourne vers l’information. Les années quatre-vingts sous gouvernance socialiste son propice pour Roures. Il joue de ses connaissances, fait appel à ses réseaux et fonde la société Mediapro spécialisée dans la production de divers programme pour la télévision.

 

Le football

Lors des années 2000, Roures s’intéresse au football. Le parlement légifère et donne la possibilité aux clubs de négocier leur propre droit à l’image, Roures observe. Les clubs les plus imposants, le Real Madrid et le FC Barcelone qui ont été les instigateurs de cette loi du laisser-faire raflent la mise. Cet afflux d’argent leur permet de creuser un écart important avec leurs principaux concurrents.

En 2005, "el millonario rojo" avance à grands pas. Il crée la chaîne Gol-Télévision et acquiert conjointement, les rencontres de championnat du FC Barcelone pour 1 milliard et celle du Real Madrid pour 1,1 milliard d'euros. Le tout pour une durée de sept ans. Ce pactole de 150 millions par saison règle la question de la validité morale de la Liga sur le plan sportif. Les diffuseurs ne s’intéressent pas à l’équité, gage, d’une compétition qui répond aux règles du jeu. Ils se consacrent à une seule chose. Le bal des vanités.

 

D’un football diversifié au football du paraître

En matière de football, l’Espagne a connu plusieurs courants. Le premier est l’enseignement diffusé par des anciens joueurs britanniques devenus entraîneurs et quelques aventuriers techniciens venus des rives du Danube. Vers la fin des années quarante, les évangélistes du Rio de la Plata arrivent en Espagne pour infuser aux clubs locaux un savoir qui permet au football ibérique d'accomplir une mutation immense et qui s'avère définitive sur le plan tactique et dans la compréhension du jeu. Suite à la mort du Général Franco, l'incertitude gagne la société ibérique. Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, le football espagnol sombre dans le "fútbol de la muerte" , symbolisé par l’agression d’Andoni Goikoetxea sur la personne de Diego Maradona. Le jeu pratiqué sur les terrains de la Liga n’a cessé d’évoluer, mais sans rompre avec ses fondamentaux. En devenant le diffuseur des principales grosses écuries de la Liga et en fonction de ses divers partenariats, Gol-télévision va peu à peu changer la donne et donc la nature du jeu.

 

La course aux records, l’opium du consommateur

Les opérateurs publicitaires exigent du spectacle. Des buts et rien que des buts. Les places debout sont supprimées et la capacité des stades est réduite ce qui augmente le prix des abonnements et des tickets de match. Le jeu qui s’était adouci sur les dernières saisons franchit un cap en matière de satisfaction du tout nouveau téléspectateur.

Sous l'insistance des diffuseurs, les élus somment le corps arbitral d’appliquer des consignes strictes. Il s’agit de protéger les joueurs vedettes au-delà du raisonnable. Cette missive change le jeu. De nos jours, la pression médiatique est tellement forte que les défenseurs de peur d’être pointé du doigt en arrivent à être réduits au rôle de plot. Préférant lever le pied que de blesser éventuellement un Cristiano Ronaldo ou un Lionel Messi.

Cette stérilisation du jeu a engendré une multitude de tares dont la course aux records, est un des symptômes les plus représentatifs. Messi couronné nouveau meilleur buteur de la Liga en lieu et place de Telmo Zarra, on assiste à une orgie médiatique orchestrée par des journalistes peu crédibles. Méprisants, ne connaissant rien de Zarra. Son style de jeu, la valeur de ses opposants ou les conditions athlétiques tactiques et matérielles dans lesquelles évoluait, l'attaquant de l’Athletic Bilbao. Chaque période est une question de contexte. On ne compare pas les époques. Toute mesure qui se veut sérieuse aboutit à dévaloriser la performance actuelle et donc, remet, le compétiteur à sa place. C'est inévitable, on ne résiste pas à l'examen des faits. Les tenants du marché le savent d’où le besoin de contrôler l’ensemble des outils de communication, dont la télévision.

 

Instrument du système

Cristiano Ronaldo et Lionel Messi sont des instruments du football spectacle. Personnalités ascètes et nombrilistes. Ils sont devenus le curseur des supports médiatiques spécialisé dans le sport et le people. Cette volonté de déstructurer et d’infantiliser les esprits a atteint son objectif. Celui de créer, une vaste masse de téléspectateurs acculturés. Cette perception et réception du football imaginé et initié par des architectes de l’image à pénétrer en totalité la pensée des nouvelles classes aisées qui consomme le football comme un produit et non comme un apport culturel. Étranger à ce phénomène antérieur – culture football - le rattrapage consiste à nier le passé.

 

Spirale du faux

Cette mise en scène affecte l’essence du jeu, car le football est aussi un jeu de contact. L’UEFA est à l’origine de cette nouvelle interprétation du jeu. Les sommes colossales investi par les multinationales qui sponsorisent l’activité football ont modifié la nature du jeu sur bien des points. Le moindre tacle ou geste des épaules peut être synonyme d’un carton jaune, voire rouge, en Liga.

La télévision a cessé depuis bien longtemps d’être un tantinet un outil pédagogique. À l’examen des faits, s’est substitué la confiscation et le piratage de la pensée accouchant d’une spirale du faux. Le jeu ne peut être suborné au besoin de l’image. Il est temps pour tout amateur de football de commencer à cerner et comprendre tous les modes de fonctionnement du football moderne, puis de rejeter graduellement cette purulence abêtissante. Le football est un jeu et accessoirement un spectacle !

 



10 réactions


  • kalagan75 21 novembre 2018 11:13

    vive le retour de l’Italie des années 80 avec découpage en règle de l’adversaire... 


  • Axel_Borg Axel_Borg 21 novembre 2018 11:56

    Le processus avait déjà commence depuis 1974 avec l’élection d’Havelange à la FIFA favorisée par le faiseur de rois de l’époque, Horst Dassler (Adidas).

    La TV n’a fait qu’accentuer le phénomène avec son argent roi et son diktat des horaires, on l’a bien en 1994 aux Etats-Unis avec des temperatures caniculaires pour que l’Europe voit les matches en prime time ...


    • Yves Alvarez 21 novembre 2018 12:57

      @Axel_Borg


      Décidément, je vous ai laissé à l’état de cuistre et je vous retrouve dans la même position.

      1/ il s’agit d’un sujet sur le football ibérique et non mondial.

      2/ Joao Havelange n’est pour rien dans l‘intrusion d’Adidas au sein de la FIFA. L’homme qui a planifié et organisé le tout se nomme Hermann Neuberger !

      3/ l’accord FIFA-Adidas n’a rien changé la nature du jeu. 

      4/ c’est avec l’intronisation de Lennart Johansson à l’UEFA - fin des 80’s début 90’s - que la dénaturation du jeu prend forme !

      Je me défends d’être dans le « moi, je sais », je me contente de décortiquer tous les contextes et les mécanismes qui amènent à créer certaines situations.

      Avant de vouloir donner des leçons sur un ton péremptoire à votre auditoire et en étant hargneux et vindicatif envers ma personne, je vous conseille d’aller vous cultiver, à condition de laisser vos mantras au vestiaire !



    • Yves Alvarez 28 novembre 2018 20:40

      @Axel_Borg

      Discuter avec vous ? ? ?

      Tenez, à travers votre œuvre, j’ai remarqué un mantra qui revient en boucle. En matière de sport, vous passez votre temps à fantasmer sur une primauté culturelle de la vieille Europe sur le continent américain Nord et Sud. C’est risible…

      Les faits sont les faits. Moi j’essaye de comprendre le pourquoi de tous ses mécanismes. Vous, vous passez votre temps à nier ! Je connais vos obsessions et toute votre liturgie ne m’intéresse pas.

      Texte

      On m’a signalé qu’une personne vous a retoqué sur l’ex Bein YourZone avant que le site ne ferme et donc vu de moi-même !

      Ne vous en faites pas. Je vais publier sur Ago une dizaine de textes, pas plus. Vous aurez tout le loisir d’occuper la rubrique sport et de passer votre temps à vouloir vous convaincre.





  • L'enfoiré L’enfoiré 21 novembre 2018 13:04

    Faites du sport, mais ne le regardez pas faire par d’autres....

    C’est aussi simple que ça. smiley


    • maQiavel maQiavel 21 novembre 2018 14:03

      @L’enfoiré
      C’est que généralement , ces autres sont meilleurs et atteignent des niveaux qu’on ne peut envisager atteindre soi même. Du coup , on les regarde admiratif … 


    • Fergus Fergus 21 novembre 2018 19:13

      Bonsoir, L’enfoiré

      Totalement d’accord. D’autant plus que le football est devenu un sport corrompu par le fric bien au-delà des limites du raisonnable.

      C’est pour cela que, bien qu’amateur de foot et ancien joueur (32 ans de pratique), je ne regarde que des matches d’amateurs, de féminines et de gamins. Le football pro masculin me dégoûte !


  • maQiavel maQiavel 21 novembre 2018 14:01

    Voilà une critique qui pourrait s’appliquer à merveille à la NBA actuelle … 


  • Trelawney 22 novembre 2018 07:16

    Nos grand champions brésiliens (garrincha, pelé) sont devenus des stars, car ils étaient noirs. A l’époque au brésil si un noir entrait en contact avec un blanc, il y avait systématiquement faute à l’avantage du blanc. C’est pour cela que les noirs ont développé leur propension à dribbler. C’était quand même dénaturer le jeu.

    Dans les années 70-80 le football espagnol était un football de contact et trés violent. C’était le championnat où il y avait le plus d’accident grave (pire qu’en Italie ou GB). A cette époque le spectacle se faisait dans les stades et pour des aficionados. A cette époque, et en France j’ai vu Domenech (le fameux sélectionneur) faire une reprise de volé à pleine vitesse dans la tête d’un goal (nez et mâchoire cassé). La physique est une façon de dénaturer le jeu.

    Maintenant c’est protection des stars à outrance. La saison dernière un défenseur de Metz a fait un tacle sur MBappé. Ce tacle était d’une pureté et d’une perfection jamais égalée (pas de blessure et jouer le ballon uniquement). MBappé a fait un beau vol plané. Le défenseur a pris 5 matchs de suspension. On peut excuser la faute d’arbitrage, mais sur le tapis vert avec la vidéo coller 5 matchs c’est un message clair : On ne touche pas à la star ! dans ces conditions, c’est facile de marquer des buts


  • Yves Alvarez 22 novembre 2018 17:27

    Il ne faut idéaliser le passé en permanence. Le football a toujours été miné par des affaires de corruption. Vous ne pouvez même pas imaginer l’étendue….

    Néanmoins, l’ensemble restait circonscrit à quelques dizaines de clubs, idem pour les histoires de transferts pas très clairs.

    De nos jours, c’est autre histoire. Le football et le sport en général ont sombré dans le totalitarisme marchand.


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