jeudi 15 juillet 2010 - par Guillaume Balout

Dudelange et démons

Quand le monde du football avait la tête en Afrique du Sud, d’autres destins se jouaient en d’autres contrées. Comme ceux des Luxembourgeois de Dudelange et des Danois de Randers, jeudi, au premier tour de la Ligue Europa.

 Comme tous les soirs de la semaine, les voitures immatriculées en Moselle se mêlent au trafic des poids lourds sur l’A31 pour regagner le pays. Dans le sens inverse, passé Thionville et ses usines, l’autoroute se fraie un passage dans un paysage vert et vallonné. Au sommet de la dernière côte, un poste-frontière, fantomatique, assiste aux va-et-vient quotidiens des travailleurs transfrontaliers entre la France et le Luxembourg. Cinq minutes et deux bretelles autoroutières plus tard, c’est déjà Dudelange. Diddeleng, en luxembourgeois, pour ses quelque 20 000 habitants.

Ancienne cité industrielle et sidérurgique des Terres rouges, la commune semble aujourd’hui avoir réussi sa transition économique : aux résidences cossues de la périphérie succèdent des berlines allemandes neuves dans un centre-ville que se disputent bars et pubs. On y facture le journal local au tarif étranger pour le gogo français de passage. Malgré la chaleur étouffante, les terrasses sont presque vides. Aux fenêtres, des drapeaux témoignent de la présence d’une communauté portugaise importante. Dans la rue, nada. Tel un magot prospérant sur le compte d’une banque, le Dudelangeois est adepte du silence et du cours ordinaire des choses. On n’aurait pas dû venir, ça va commencer à se voir ! Soit. Dudelange a le charme d’une bourgade germanique et la quiétude d’une station thermale alpestre.

Mais Dudelange s’emmerde. Alors la Ville crée une allée de jets d’eau en centre-ville, propose ses Vélib et, aux arrêts de bus, installe des panneaux électroniques indiquant la température, la pression atmosphérique, l’humidité de l’air, l’ozone, le monoxyde de carbone. En revanche, pas le moindre détecteur de match décisif de coupe d’Europe à deux heures du coup d’envoi. Près de l’Hôtel de ville, le F91 Dudelange tient boutique entre un kebab et un café. Ce sont là les uniques traces perceptibles du champion du Luxembourg de 2005 à 2009. Né de la fusion de deux clubs en 1991, le F91 ferait figure de nouveau riche au Grand-Duché. Une sorte d’OL local où même Tony Vairelles, peut-être abusé par le maillot rayé sang et or, a réalisé la meilleure saison de sa carrière l’an dernier avec 24 buts. Battu cette saison par son rival et voisin de la Jeunesse d’Esch, Dudelange a troqué le premier tour de la Ligue des champions pour le premier tour de la Ligue Europa. En 2005, opposé aux Bosniaques du NK Zrinjski Mostar en C1, il fut le premier et dernier club luxembourgeois à avoir franchi un tour sur la scène européenne.

5 euros, le prix de l’ombre

Ce soir, un défi équivalent lui est proposé avec la venue du FC Randers au stade Jos-Nosbaum. Pour le coup, en cas de qualif’, le F91 marquerait même l’histoire de la compétition puisqu’il doit corriger un 6-1 encaissé la semaine précédente au Danemark… Au moment de remonter la rue du stade Jos-Nosbaum, installé à flanc de colline à deux minutes du centre-ville, le public déambule en tenue de vacanciers parisiens flânant dans la campagne normande. Bermudas, lunettes de soleil, bananes autour de la taille, marmots pleurnichards sur les épaules, mais pas le début d’un maillot sang et or à l’horizon. Arrivé sur la colline, un petit millier de personnes se tasse dans le stade. Sur le papier, cette enceinte, coincée entre un jardin pour enfants, des maisons avec leur potager et une prairie où paissent des chevaux, est censée pouvoir accueillir près de 5 000 spectateurs… Pourquoi pas, en comptant l’espace entre la sortie des vestiaires, la buvette, la boucherie Ferreira et la pelouse. Le plus grand des quatre stades de la ville n’a pas de virage, seulement une tribune couverte et des gradins qui lui font face. Jouxtant la buvette, donc, les vestiaires se retrouvent derrière un but, au même endroit que le club house... A vrai dire, il n’y a pas vraiment d’autre choix : la tribune accueille déjà les bancs de touche encastrés sous une estrade... Cette extravagance surplombe le terrain d’un bon mètre et en laisse à peine deux entre les spectateurs et la ligne de touche... Avec un brin de mauvais esprit, on pourrait s’amuser à tirer le maillot d’un joueur qui s’apprête à faire une touche. Ça doit être ça, les normes de l’UEFA...

Pas terribles, les places en gradins à 15 euros. Pour 5 euros de plus, le public a massivement choisi la tribune. 5 euros, c’est le prix de l’ombre et de la visibilité. Et on est au Luxembourg, quand même. D’ailleurs, à bien y regarder, les gradins sont surtout occupés par des petits groupes de touristes danois qui auront donc bronzé au Luxembourg. Même les ultras dudelangeois s’embourgeoisent. A une extrémité de la tribune, deux jeunes supporters se font remarquer en déployant leur bâche « Ultras Diddeleng » devant l’estrade… et juste devant une poignée d’Altivos, les ultras danois qui n’osent même plus sortir la leur…

Caillet, le coup franc à papa

Quand les deux équipes entrent sur la pelouse, tous les éléments d’une farce semblent alors réunis. Même les Danois apportent leur contribution. Déjà, leur nom et leur maillot bleu délavé font d’abord penser à une sordide contrefaçon chinoise des Glasgow Rangers. C’est peut-être ce qui leur a permis de se qualifier pour la coupe d’Europe. Premier non relégable de son championnat, le FC Randers n’a pas remporté la coupe nationale. Pour la deuxième saison consécutive, le club dispute donc la Ligue Europa au bénéfice… du prix du fair play ! Une opportunité rendue possible par un règlement obscur qui vaut notamment aux Suédois de Gefle et aux Finlandais de MyPa 47 de connaître pareil destin européen cette saison.

Sur la pelouse, les Danois sont les premiers à envoyer un ballon sur le parking. (De l’autre côté, il se perdra plutôt dans les potagers). Au F91, il y a du répondant technique, à défaut de toujours maîtriser la situation. Ici et là, quelques joueurs déclarent un peu de bide mais ça tient bien. Par deux fois, le remuant Benzouien se débrouille tout seul pour inquiéter le gardien. Les coups de pied arrêtés représentent toutefois le gros du danger. A chaque corner dudelangeois, les deux ultras se retrouvent à taper sur la tôle de la tribune, sûrement dans un souci d’intimidation. Assez logiquement, deux coups francs directs tendus font 1-1 à la mi-temps : Lorentzen pour Randers, Caillet pour Dudelange. Si, si, Jean-Philippe, l’ancien Messin, tout juste rentré de Chine. A 33 ans, le défenseur central est venu dispenser sa sagesse d’ancien professionnel aux amateurs luxembourgeois. Et à Romain Ollé-Nicolle qui honore son premier match de coupe d’Europe par un carton jaune.

Les Danois sont-ils donc vraiment des imposteurs ? Hormis de la rigueur et de la vélocité, Randers peine dans l’animation offensive. Pour avoir des mecs un peu plus motivés et laisser les titulaires à l’ombre, l’entraîneur aurait très bien pu aligner les gamins de son groupe qui amusent la galerie pendant la pause. La résistance insoupçonnée des Luxembourgeois vaudra même une défaite aux Danois. Le tacle hargneux, Rémy intercepte une relance adverse et sert Gruszczynski en profondeur. Le gringalet polonais, le « Popov » du public local, tergiverse un peu dans la surface, s’essaie à un crochet trop long mais parvient à décocher une frappe écrasée qui trompe Ousted… Une action haletante qui aurait pu esquisser les contours d’un exploit s’il ne restait pas seulement une vingtaine de minutes de jeu et quatre buts à inscrire, si Benzouien avait cadré son coup franc et si Fenger avait été expulsé plus tôt. Peu importe : les spectateurs de la tribune et des gradins se renvoient des « Diddeleng ! Diddeleng ! ». Même les Altivos sortent enfin leur banderole en entamant une série de chants.

Comme une montée en DH

2-1, c’est très bien. On laisse gentiment rentrer les Danois aux vestiaires avant d’ouvrir la pelouse au public, comme lors d’une dernière journée de championnat à Bollaert. Là, c’est surtout pour occuper les gosses pendant que les parents descendent des Diekirch à la buvette ou partagent leurs impressions avec les joueurs. Pour les journalistes qui n’ont pas eu la présence d’esprit d’en alpaguer un du haut de l’estrade, la séance de rattrapage est aisée. Honni dans la plupart des équipes professionnelles, l’exercice de l’interview post-match semble apprécié ici, avec la bénédiction des dirigeants. Un stadier, enfin un type avec une casquette et un badge illisible, joue les rabatteurs pour pousser les journalistes dans le club house. Là, un autre gars cherche à entrer en communication avec vous. Renseignement pris, c’est le président Théo Fellerich. Enchanté. « Je vais vous chercher Romain Ollé-Nicolle. » Arrivé le mois dernier en provenance de Clermont, le fils à Didier prend un ton qui contraste notoirement avec l’ambiance « bière et saucisson ». Dans un discours bien policé, celui qui vient de disputer le premier match de coupe d’Europe de sa carrière a eu « un bon feeling avec le coach avant de signer », est satisfait « des installations », s’intéresse « au projet du club de regagner le titre et la coupe », est venu acquérir « du temps de jeu ». Heureusement que ce soir, l’essentiel n’était pas les trois points… Bon, la reconquête du titre, d’accord, mais quand même... « J’ai senti que je ne pouvais pas percer à Clermont. J’avais quelques pistes en Ligue 2 ou en National mais bon... Le Luxembourg est frontalier avec pas mal de pays. Je n’ai que 22 ans, on ne sait jamais ce qui peut se passer. » Gare toutefois à ne pas finir en Jupiler League…

Le championnat belge, lui, il le connaît bien pour avoir passé trois ans à Genk. Après une saison en Chine, d’où il est revenu après une affaire de paris truqués, Jean-Philippe Caillet a décidé de revenir chez lui, en famille à Metz, de l’autre côté de la frontière. « Ici, c’est convivial », lâche simplement le nouveau patron de la défense dudelangeoise, clope et bière à la main à la sortie des vestiaires. Mais attention. « Je ne veux pas donner l’image du joueur en fin de carrière venu s’enterrer ou jouer en roue libre. Je crois l’avoir montré ce soir, non ? »

Le club house est désormais ouvert à tout le monde. A-t-il seulement été fermé ? S’il y a bien un endroit où la victoire sera fêtée, ce sera vraisemblablement là. A la buvette, comme une montée en DH. Plus bas, en ville, la soirée est gagnée par l’ennui et la monotonie. Des restaurants sans client et des serveurs prostrés offrent des décors de film pour Kaurismaki pendant que la jeunesse dudelangeoise se rassemble discrètement dans quelques bars. Ce soir, le F91 s’est imposé pour la première fois de son histoire à domicile en coupe d’Europe.

Guillaume Balout



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