samedi 22 décembre 2018 - par Axel_Borg

Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode VIII - 1966, la victoire programmée de la Perfide Albion

En pleine Beatlemania, l'Angleterre des années 60 venge son déclin diplomatique et géopolitique : crise de Suez, décolonisation ... Mais Bobby Moore, Bobby Charlton, Gordon Banks et leurs coéquipiers, en soulevant la victoire ailée dans le ciel de Wembley, vengent aussi le drame aérien de Munich en 1958, celui où Duncan Edwards et une grande partie du Manchester United des Busby Babes avait perdu la vie ... Quant à Pelé, victime de cerbères décidés à lui couper les jambes, il quitte cette World Cup par la petite porte, Eusebio prenant le relais comme serial buteur ... La Corée du Nord surprend, l'Italie touche le fond, et un chien nommé Pickles retrouve le prestigieux trophée d'Abel Lafleur un moment perdu dans un parc de Londres ...

En 1966, trois ans après le centenaire de la Football Association, la FIFA offre la Coupe du Monde à l’Angleterre en pleine mutation. Winston Churchill est décédé en 1965 dans un pays en proie à la Beatles mania. Quatre garçons venus de Liverpool et passés par Hambourg remportent un succès immense avec des tubes planétaires qui prolonge la vague initiée par Elvis Presley : Love Me Do, Can’t Buy Me Love, Michelle, Help !, Yesterday … Le meilleur reste encore à venir avec Sgt Peppers’s Lonely Hearts Club Band et le sommet Hey Jude de l’album blanc. Mais surtout, Lennon, Paul McCartney et leurs deux acolytes vont inspirer plusieurs générations de groupes britanniques et américains, des Rolling Stones à Muse en passant par Pink Floyd, The Who, Led Zeppelin, Queen, Dire Straits, U2, Pixies, R.E.M., Oasis, Blur, Radiohead, Coldplay, Kaiser Chiefs ou encore Kasabian. La contrée du bœuf à la menthe voit son orgueil légendaire rehaussé par les aventures cinématographiques d’un espion incarné à la perfection par un Ecossais qui devient une star universelle par ce rôle de James Bond : Sean Connery. L’argent 007 reçoit le coup de pouce médiatique du président Kennedy, qui confie que Bons Baisers de Russie fait partie de ses dix livres favoris. Après l’épisode inaugural James Bond contre Dr No en 1962, le chef d’œuvre de Ian Fleming est adapté à l’écran en 1963 (J.F.K. étant assassiné à Dallas le 22 novembre 1963), avec double clin d’œil via la scène mythique de l’Orient-Express à l’univers d’Agatha Christie et Hercule Poirot, mais aussi au passage du Rideau de Fer via la Yougoslavie de Tito, entre Istanbul, l’ancienne Constantinople, et la Sérénissime Venise, où le S.P.EC.T.R.E. est vaincu, temporairement, car James Bond will return. Ridicule en 1962 au Chili, l’Italie ne l’est pas moins en 1966 sur les terres de la Perfide Albion, où le swinging London est en pleine effervescence : guerre du Viet Nam, lutte anti-avortement, défense des droits des Noirs aux Etats-Unis … 1966 voit aussi la diffusion, en Chine, du petit livre rouge par Mao Zedong, le grand timonier de Pékin. Le camouflet pour la Nazionale est atteint lors d’une défaite sans gloire face à l’invité surprise du tournoi, la Corée du Nord, vaincue 3-0 par l’Union Soviétique dans une sorte de derby communiste. Battus 1-0 à Middlesbrough, les Transalpins sont accueillis avec des tomates pourries et des œufs à l’aéroport de Gênes. L’évènement provoqua une émotion si vive que dans le langage courant, l’interjection Corea ! devint rapidement synonyme de désastre inattendu, de malchance, voire de catastrophe comme la terrible défaite militaire de Caporetto à l’automne 1917 face à l’Autriche-Hongrie. Le Parlement se saisit de l’affaire qui aboutit au renforcement de la fermeture des frontières du Calcio jusqu’en 1980. Mais surtout, une folle rumeur enfle, selon laquelle le sélectionneur asiatique aurait en fait changé ses onze joueurs à la mi-temps, alors même que les remplacements étaient encore interdits à cette époque ... La Corée du Nord, elle, n’est pas reconnue officiellement par la Grande-Bretagne. Le forfait des pays africains, furieux du quota d’une seule place offerte par la FIFA pour le contingent afro-asiatique, ouvre un boulevard à l’Australie, finalement battue en barrages par les Nord-Coréens. Ce ne sera pas leur dernier exploit ... Les Anglais, eux, ont frôlé le ridicule à trois mois de l’ouverture de leur World Cup en perdant le trophée, dérobé au Westminster City Hall ! Ce n’est pas Ronald Biggs, exilé au Brésil (pour éviter l’extradition) depuis le gang du train postal Glasgow / Londres en 1963, qui a fait le coup … C’est un chien, Pickles, qui retrouve le précieux objet dans un parc de Londres. Son propriétaire, David Corbett, est invité à la grande finale du 30 juillet 1966 à Wembley (où Muhammad Ali assiste aussi à l’évènement), avec un absent de marque : Duncan Edwards, fauché en février 1958 par le crash aérien de Munich avec Manchester United. C’est pour lui et les autres victimes que Bobby Moore, Bobby Charlton et Gordon Banks vont jouer dans ce tournoi, où ils dominent l’Argentine qu’Alf Ramsey traitera d’animaux. Du haut de sa tour d’ivoire suisse, la FIFA a concocté un tournoi aux petits oignons au onze de sa Majesté, qui joue tous ses matches à Wembley. Qui a dit que la France était jacobine ? L’Angleterre d’Alf Ramsey ne quittera pas une seule fois le nord-ouest de Londres. La province anglaise, qu’elle ait pour nom Liverpool, Sheffield, Manchester ou Leeds, ne verra jamais son équipe nationale dans ce tournoi. Le Brésil, lui, sombre, Pelé étant martyrisé par le Bulgare Jetchev puis par le Portugais Morais : Jai commencé le travail, Morais l’a fini. Le défenseur bulgare Dobromir Jetchev a résumé la World Cup anglaise du roi Pelé, dont la seule satisfaction sera un but face à la Bulgarie ... Le Portugais Morais décollera lui ses deux jambes contre le genou de Pelé, qui revient en boitant sur la pelouse de Liverpool. Le meilleur joueur du monde, réduit au rôle de figurant, voit Eusebio qualifier le Portugal pour les quarts de finale, et se venge de son bourreau lusitanien d’un coup de tête ... Après l’élimination du tenant du titre battu par la Hongrie (1-3) puis par le Portrugal (1-3), le patron de la CBF, Joao Havelange, brandit une épée de Damoclès : Si le football de violence continue, on envisagera de ne pas participer à la Coupe du Monde. Ou pis, on ne sélectionnera pas Pelé. Après son exploit face à l’Italie, la Corée du Nord continue quant à elle d’impressionner, menant 3-0 en quart de finale à Liverpool face au Portugal. Les coéquipiers d’Eusebio, sortis d’un groupe de la mort devant la Hongrie et le Brésil de Pelé et Garrincha, remontent de 0-3 à 5-3 à Goodison Park. Pyongyang a cru pendant une mi-temps cannibaliser le football européen, avant qu’Eusebio ne remette les pendules à l’heure de Greenwich : le Ballon d’Or 1965, star du grand Benfica de Lisbonne, s’offre un quadruplé. La panthère du Mozambique a sorti ses griffes. Mais cette victoire à la Pyrrhus leur prend tellement d’influx nerveux que les Three Lions de Bobby Charlton les dominent à Wembley : 2-1 sur un doublé du divin chauve de Manchester United, Eusebio sauvant l’honneur du Portugal, qui retrouve l’U.R.S.S. en match de classement. Les Soviétiques de l’Araignée Noire Lev Yachine ont battu la Hongrie de Florian Albert dans un quart de finale qui sent le soufre, dix ans après l’invasion de Budapest par les chars soviétiques à la Toussaint 1956. En finale à Wembley, l’Angleterre retrouve la R.F.A. du jeune Franz Beckenbauer. La finale, que l’Ecossais Dennis Law dédaigne, préférant jouer au golf en ce dimanche 30 juillet 1966, est marquée par le but de Geoff Hurst en prolongation. Beaucoup d’encre a coulé et beaucoup d’arbres sont morts suite à ce but dont personne n’a jamais vraiment su s’il était valide, rebondissant sur la ligne de but ouest-allemande après avoir touché la barre transversale. Tout le dilemme est là pour les arbitres du match, le Suisse Gottfried Dienst et son juge de ligne, le Russe Tofik Bachramow. Employé des téléphones à Bâle, Dienst va se retrouver bien involontairement sous le feu des projecteurs. Le Suisse demande à son juge de ligne : Le ballon était derrière la ligne ? Ce dernier répond : Oui, derrière la ligne. Ainsi est validé un des buts les plus litigieux de l’Histoire, sur décision d’un juge de ligne dont le pays venait d’être éliminé par l’Allemagne de l’Ouest ! Côté allemand, Wolfgang Weber se souvient : On s’est précipités vers le juge de touche, moi, Franz Beckenbauer et Wolfgang Overath, mais notre capitaine Uwe Seeler est intervenu pour nous dire : « Arrêtez de protester, l’arbitre a pris sa décision ». Pour moi qui me trouvais juste devant, la balle n’avait pas franchi la ligne. Mais l’Angleterre jouait chez elle, la reine était là, il ne fallait pas gâcher la fête. Le gardien allemand Hans Tilkowski est formel : En regardant par-dessus mon épaule, j’ai parfaitement vu qu’il n’y avait pas but. Aujourd’hui, je maintiens ce que j’ai toujours dit et je serais même prêt à parier une fortune. La version de Geoff Hurst est logiquement plus enjouée côté anglais : La balle était au moins un mètre derrière la ligne. Point final. Sérieusement ? D’où j’étais, je ne l’ai pas vue ... Mais quand vous avez 24 ans et que vous remplacez Jimmy Greaves, lorsque vous êtes à 2-2 contre une équipe aussi fantastique que l’Allemagne, vous n’avez envie de croire qu’à une seule chose : que la balle a franchi la ligne. Roger Hunt aurait pu reprendre le ballon et marquer, plutôt que de lever les bras. Son geste constituait donc pour moi une réponse suffisante. De toute façon, on était la meilleure équipe sur le terrain ... Après cette banderille, Hurst porte l’estocade aux joueurs d’Allemagne de l’Ouest par un troisième but personnel, le quatrième pour la sélection des Three Lions. La boîte de Pandore sera rouverte en 2010 lors d’un but (valide) cette fois de Frank Lampard lors d’un Allemagne / Angleterre joué à Port Elizabeth en pleine Coupe du Monde sud-africaine. Car malgré le vacarme de tous les vuvuzelas, tout le monde avait vu le joueur de Chelsea marquer un but superbe à Manuel Neuer, quarante-quatre ans après Geoff Hurst … L’héritage de 1966 en Angleterre est immense à commencer par la célèbre chanson We are the champions du groupe Queen, écrite par Freddie Mercury en 1977 sur l’album News of the World. La victoire fut marquée par des célébrations enthousiastes : le West End londonien fut le théâtre d’une énorme fête improvisée, et certains se jetèrent dans les fontaines de Trafalgar Square.



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