lundi 31 décembre 2018 - par Axel_Borg

Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode IX - 1970, un Brésil pyrotechnique

Alors que le monde reste encore abasourdi par le sauvetage d'Apollo 13 et la séparation des Beatles, la neuvième édition jouée en 1970 au Mexique reste, sinon la plus belle, l'une des plus belles de l'Histoire de la Coupe du Monde : le roi Pelé au sommet de son art avec des gestes inédits faisant la preuve définitive de son génie, des matches d'anthologie offrant au public des montagnes russes d'adrénaline (RFA/ Angleterre et Italie / RFA) ... Seule ombre au tableau, la programmation des matches sous la canicule mexicaine, erreur qui sera répétée plusieurs fois par la FIFA, en 1986 ou en 1994 ...

En 1970, alors que la mission Apollo 13 vient de tenir en haleine la planète entière par son sauvetage in extremis dans un mois d’avril bien triste marqué par la fin des Beatles après la sortie de leur album Let it Be, le Mexique accueille la neuvième Coupe du Monde, qui reste encore aujourd’hui la plus belle de toutes. Ce n’est en tout cas pas grâce à la chaleur mexicaine, et aux matches joués en plein soleil pour satisfaire les télévisions européennes, du fait du décalage horaire entre les pays des Aztèques et le Vieux Continent. La BBC engage Ian Saint-John, le buteur de Liverpool, comme consultant pour ce Mundial 1970. Le Mexique, deux ans après les Jeux Olympiques de Mexico de 1968, obtient donc le précieux sésame de la Coupe du Monde de football, grâce à sa capitale située en altitude et sa forte croissance économique durant les sixties. D’autres pays auront l’occasion de doubler Coupe du Monde et Jeux Olympiques d’été à intervalle plus ou moins réduit : l’Allemagne de l’Ouest (Jeux Olympiques d’été de 1972 à Munich / Coupe du Monde 1974), l’Espagne (Coupe du Monde 1982 / Jeux Olympiques d’été de 1992 à Barcelone), la Corée du Sud (Jeux Olympiques d’été de 1988 à Séoul / Coupe du Monde 2002 co-organisée avec le Japon) et enfin le Brésil (Coupe du Monde 2014 / Jeux Olympiques d’été de 2016 à Rio de Janeiro). La mise en place par la FIFA des cartons jaune et rouge permet de réduire la rudesse du jeu pratiqué en 1966, avec les agressions du roi Pelé par le Portugais Morais et le Bulgare Jetchev sur les pelouses anglaises. Préparé façon N.A.S.A. par un certain Joao Havelange, le Brésil veut laver l’affront de 1966. Gerson, Carlos Alberto, Jairzinho, Pelé, Rivelino et Tostao prêtent un serment dans une chambre d’hôtel de Guanajuato, sans leur sélectionneur Mario Zagallo (qui a remplacé João Saldanha, jugé trop rigide par Pelé et consorts) : ramener une troisième fois le prestigieux trophée mondial, en se jurant de fidélité. Pelé, à qui certains reprochaient son comportement de diva, avait eu une explication houleuse avec d’autres membres du vestiaire. Ce serment allait déboucher sur les prouesses de Jalisco, à Guadalajara, puis sur le sacre de Mexico. Privilège et sacerdoce inimaginable, trois mois durant et pour un coût exorbitant d’un demi-million de dollars, l’équipe brésilienne reste coupée du monde afin de se préparer au mieux à sa mission suprême : reconquérir le trophée Jules Rimet que l’Angleterre lui a soufflé quatre ans plus tôt. Les Anglais, eux, arrivent à Mexico les poches pleines de comprimés de sodium à dissolution lente pour combattre les effets de la déshydratation. Stratosphérique, la Seleçao va gagner ses six matches en produisant un football de rêve qui fera ce de Brésil 1970 un millésime unique du jogo bonito. Carlos Alberto, capitaine et meneur naturel aux remontées éclair, qui défilera sur un camion de pompiers à Brasilia après la victoire mexicaine, devant la foule agglutinée pour recevoir ses héros. Gerson et son pied gauche magique, surnommé le perroquet car il ne cesse de dire à ses coéquipiers où se placer pour réceptionner et transmettre ses passes. Jairzinho, l’ailier droit qui marquera à chaque match, aux cuisses si musclées que l’arrière anglais Terry Cooper avouera avoir passé des heures à se demander comment il pourrait le contrer. Enfin, Pelé, après sa blessure de 1962 et son calvaire de 1966 en Angleterre, doit prendre une revanche et incarner le leadership technique de l’équipe, comme Didi en 1958 ou Garrincha en 1962. Moins individualiste, plus collectif, l’homme aux 1000 buts va se fondre dans le système tactique parfaitement huilé de ce Brésil 1970. La célèbre photo de l’accolade entre Bobby Moore et Pelé après Brésil – Angleterre (1-0) symbolise le passage de relais entre le champion du monde 1966 et son successeur en ce mois de juin 1970. Le roi Pelé, quelques semaines après des problèmes de vue, est à l’apogée de sa carrière : quatre buts, cinq passes décisives, et deux gestes inoubliables restés vains : un lob du milieu du terrain face au gardien tchécoslovaque Ivo Viktor à 60 mètres de la ligne de but, et un grand pont face au portier uruguayen Ladislao Mazurkewicz. Les gens me reparlent toujours de mon tir du milieu du terrain contre Viktor, de ma tête arrêtée par Gordon Banks et de mon grand pont sans toucher le ballon face à Mazurkiewicz. Ils estiment sans doute que ces gestes étaient aussi beaux que mes buts. C’est difficile à expliquer, mais c’est comme ça, raconte Pelé. 1970, c’est aussi la première fois qu'on a évoqué la notion de groupe de la mort dans une phase finale de Coupe du monde. Les journalistes mexicains avaient parlé de grupo de la muerte suite au tirage au sort du premier tour de "leur" Coupe du monde. Dans le groupe C, le Brésil, grandissime favori de l'épreuve, hérite de l'Angleterre, tenante du titre, et deux autres équipes européennes : la Tchécoslovaquie, toujours solide et finaliste en 1962, ainsi que la Roumanie. Le groupe de la mort était né. Deux ans après les Jeux Olympiques de Mexico, le Mexique est donc l’hôte de ce Mundial qui aura vu une guerre se déclencher durant les éliminatoires, entre le Honduras et le Salvador. La guerre du football sera rapidement terminée, et le Salvador qualifié pour le tournoi mexicain ! Pendant que les hippies de Woodstock partent à la conquête de Katmandou, Pelé réalise des prodiges sur le pré, après avoir interrompu pendant 48 heures la guerre du Biafra lors d’une visite à Lagos. L’homme aux mille buts s’envole en apesanteur en finale contre l’Italie via une détente à faire pâlir Michael Jordan, montrant la voie au Brésil au stade Aztec. L’apothéose vient par une victoire 4-1, avec en épilogue la célèbre passe à l’aveugle du roi Pelé pour son capitaine Carlos Alberto. Mais comment oublier le pied gauche de Rivelino, les caviars de Gerson, les sept buts de Jairzinho ou les gestes d’alchimiste de Tostao, dont le décollement de la rétine inspirera à un mangaka japonais le personnage de Roberto Hongo dans Captain Tsubasa (alias Roberto Sedinho dans Olive et Tom) ? L’Europe, avec ses vedettes Bobby Moore, Gerd Müller, Franz Beckenbauer et Luigi Riva, aura défendu ses couleurs avec fierté, et deux matches d’anthologie ayant offert des montagnes russes d’adrénaline aux spectateurs : l’Angleterre orpheline de Gordon Banks victime d’une intoxication alimentaire qui touchera aussi le pilote de F1 Nigel Mansell au Grand Prix du Mexique 1986, mène 2-0 contre la RFA. Ramsey essaie de le maintenir mais Banks tombe dans les pommes durant la causerie d’avant match, ce qui propulse son remplaçant Peter Bonetti dans la lumière : le portier de Chelsea a d’autres chats à fouetter, ayant passé la nuit précédant ce quart de finale à la recherche de son épouse Frances dans les couloirs de l’hôtel. Bien avant les WAG de 2006, les femmes des champions du monde en titre les accompagnent au Mexique. Le journaliste Brian James explique : Frances Bonetti était jolie et avenante, et pas mal d’histoires circulaient sur elles. Je ne sais pas si elles étaient vraies, mais je sais que, la veille du match contre l’Allemagne, Peter était furieux, pas dans son état normal. Bonetti sera ainsi directement responsable des trois buts de la RFA, notamment le deuxième, où il est trop avancé, permettant à Uwe Seeler de le lober de la tête ... J’ai perdu une Coupe du monde à cause d’une femme de joueur. A 2-0 pour l’Angleterre, Alf Ramsey commet cependant une gigantesque erreur tactique en sortant Bobby Charlton, 33 ans. Le Mancunien souffre d’une insolation. Ramsey veut ménager son orfèvre pour la demi-finale explosive qui attend la Perfide Albion. Reste un seul joueur de grand calibre aux Three Lions ; Bobby Moore, le capitaine perturbé par une affaire d’émeraudes volées lors de la préparation en Colombie. Malgré la présence de la star de West Ham, l’Allemagne de l’Ouest réussit une remontada dont elle a le secret : trois pierres successivement jetées dans le jardin anglais : Uwe Seeler, Franz Beckenbauer et Gerd Müller : 3-2, Albion est au tapis et l’impitoyable Allemagne en demi-finale. Contre l’Italie en demie, le Kaiser Beckenbauer joue malgré le bras en écharpe. C’est dire l’importance du génial libero du Bayern Munich face à une Nazionale qui refuse toujours d’associer ses joyaux milanais Rivera et Mazzola. Le second remplace le premier pour une prolongation mythique à interdire à ceux qui sont cardiaques. A ce jeu là, le suspense d’Alfred Hitchcock est battu, de même que la dramaturgie de maîtres du théâtre classique comme William Shakespeare ou Jean Racine. Luigi Riva et Gianni Rivera terrassent la Mannschaft 4-3 et qualifient l’Italie pour la finale de Mexico, où les attend ce Brésil qui voltige à une altitude stellaire, dans un match qui ne sera pas le juge de paix du tournoi (4-1), tant l’écart est criant techniquement comme physiquement, les Italiens étant laminés par la dantesque prolongation jouée face aux Allemands. La nuit mexicaine peut débuter dans la péninsule, le football étant le nouvel opium du peuple transalpin, plus encore que la religion. Cette ferveur collective montrait la fierté de l’Italie de battre la R.F.A et son miracle économique. A l’issue de la rencontre, aux journalistes venus lui parler dans les travées du stade Aztec de Mexico, l’attaquant italien Angelo Domenghini fit cette étrange confidence : Ce soir, les Allemands, c’étaient nous. Dans le journal La Notte qui porte bien son nom, le double champion du monde Giuseppe Meazza écrivit cet hommage à ses héritiers azzurri : Ils jouèrent un match mémorable qui entrera dans l’Histoire de notre football et du football mondial. Nous avons prouvé à tout le monde que nous savons aussi jouer l’attaque et marquer des buts. La Botte ne dormira pas entre les 17 et 18 juin 1970, que ce soit à Milan, Naples, Rome ou Turin … Héros de la demi-finale, le Milanais Gianni Rivera ne jouera que six minutes en finale : cruel destin pour le Ballon d’Or 1969. Mais au lieu de l’associer à l’Intériste Sandro Mazzola, le sélectionneur Valcareggi avait décrété qu’il fallait opposer les deux artistes de la Nazionale … Les Allemands, eux, ressassent leur échec. L’hiver rude a forcé la Bundesliga à reporter 35 matches, réduisant la préparation de la Mannschaft pour cette Coupe du Monde. Avant la demi-finale, la RFA récupère mal de sa victoire contre l’Angleterre en allant se reposer à 120 km du stade Azteca. Beaucoup de temps sera perdu dans les embouteillages mexicains. Uwe Seeler, lui, est plus pragmatique sur l’origine de la défaite : C’est à 2-1 pour nous pendant la prolongation que nous avons perdu. Nous étions persuadés d’avoir réussi le plus difficile et nous nous sommes relâchés. Le roi Pelé, lui, acquiert l’aura d’un Prix Nobel, d’un chef d’Etat. L’homme avait légèrement retardé le coup d’envoi de la finale Brésil / Italie du 21 juin 1970, le temps de relacer ses crampons Puma ... C’est le début du star-system dans le sport, qui sera prolongé par tant d’autres après lui, Muhammad Ali, Bjorn Borg, Carl Lewis, Ayrton Senna, Michael Jordan ou encore Usain Bolt.



1 réactions


  • Axel_Borg Axel_Borg 1er janvier 2019 15:59

    Heureusement que Pelé changea d’avis après 1966 pour venir parachever son oeuvre en Seleçao par ce sublime Mundial 1970 mexicain où seul Gordon Banks lui résista ...


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