samedi 16 novembre 2019 - par Sylvain Rakotoarison

La grande poupoularité de l’éternel second

« Le vrai Poulidor était né, le gars malchanceux qui a toujours des ennuis. Et que voulez-vous que j’y fasse ? À ce niveau, la popularité, c’est inexplicable. On ne peut pas empêcher les gens d’avoir de la sympathie pour vous. » (Raymond Poulidor, interviewé par Michel Seassau dans "L’Équipe" du 3 avril 1972 : "La France atteinte de poulidorite").

Poulidor

Le champion cycliste Raymond Poulidor, dit "La Pouliche d’or" ou "Poupou", est mort le mercredi 13 novembre 2019 à Saint-Léonard-de-Noblat, ville où il habitait depuis longtemps, à l’âge de 83 ans (né le 15 avril 1936). Affaibli, il était hospitalisé depuis le 27 septembre 2019. Son enterrement a lieu le mardi 19 novembre 2019 à la collégiale Saint-Léonard, dans la même ville.

L’Élysée a commencé son communiqué de presse ainsi : « Raymond Poulidor s’est échappé en solitaire après nous avoir emportés dans sa roue et dans son rêve durant tant d’années. ». Emmanuel Macron est né quand Poulidor a pris sa retraite (en décembre 1977). Le communiqué s’est poursuivi ainsi : « Surtout, son courage et sa résilience, sa sueur et ses larmes, la longévité de sa carrière bâtirent sa légende. Poulidor le malchanceux s’attira ainsi une immense sympathie des Français qui s’offusquaient de l’injustice de son sort. Lui le paysan, qui grimpa l’échelle sociale en grimpant les cols les plus durs, à la force de ses mollets, lui qui ne se plaignait jamais, lui qui était toujours modeste, qui ne lâchait rien, réessayait toujours, est devenu le héros moral du Tour de France. » (13 novembre 2019).

Avec Poulidor disparaît beaucoup plus qu’un coureur cycliste assez malchanceux, disparaît aussi l’homme simple et souriant qui était un véritable repère pour les Français. Même quarante ans après sa retraite, pourquoi ai-je encore tant envie, quand je roule (en voiture) en montée sur une route de montagne et que je double un cycliste courageux qui se farcit la pente à coups de pédales, pourquoi ai-je encore tant envie d’ouvrir la fenêtre et de lui crier : "Vas-y Poupou !" ? Comme si le cycliste avait manqué de supporters pour gagner les dernières minutes.

Homme simple qui ne s’ennuyait pas du contact avec les gens, n’hésitant pas à se retrouver en train de faire des "ménages" dans des supermarchés (j’ai vu ainsi une affiche annonçant sa venue le samedi suivant dans un patelin paumé, au début des années 1990). Pourquoi pas faire de la promotion ? Tout le monde a le droit de vivre.

Poulidor a été cycliste professionnel de 1960 à 1977, et il a couru un nombre très élevé de courses dont le fameux Tour de France qu’il tenta de gagner de 1962 à 1976 et qu’il n’a jamais gagné et à aucune étape, il n’a eu le maillot jaune. Il fut pourtant huit fois sur le podium, dans les trois finalistes, dont trois fois numéro deux. Souvent, il lui arrivait toutes sortes de misères ou d’erreurs qui ont fait qu’il n’a jamais pu atteindre la première place du Tour de France. Le plus connu, l’historique, ce fut le Tour de France de 1964 où il céda la première place à son rival de toujours Jacques Anquetil pour 55 malheureuses secondes. Et en 1968, un accident avec un motard lui a volé la victoire.

Deux quintuples vainqueurs du Tour de France furent ses principaux adversaires, Jacques Anquetil (1934-1987) et Eddy Merckx (74 ans). Après sa retraite, Jacques Anquetil et Raymond Poulidor sont devenus de grands amis, au point que peu avant sa mort (d’un cancer), Anquetil regretta d’avoir perdu quinze ans d’amitié à cause de leur rivalité sportive.

Beaucoup d’analystes ont essayé d’opposer les deux styles de Poulidor et d’Anquetil. Ainsi, Antoine Blondin a comparé le cyclisme à des cathédrales : « Il me semble que je dirais qu’Anquetil est un champion gothique, dont la rigueur s’élançait ; Poulidor un champion roman, dont le dépouillement se ramasse et se retient, sur le plan humain s’entend. ».



Michel Winock y a vu aussi la lutte des classes : « Deux univers s’opposent, comme la modernité et l’archaïsme. (…) Anquetil est représentatif d’une agriculture moderne. (…) Poulidor est la figure du "paysan résigné", qui ne se fait pas d’illusion (…). Anquetil est le symbole d’une économie de marché, spéculative, entreprenante. Il boit du whisky, se déplace en avion. Dans le Tour comme dans la vie, c’est le patron. Ce goût des Français en faveur de "Poupou", c’est un attendrissement nostalgique pour la société rurale dont ils émergent en ces années de mutation rapide. (…) La grande spécialité du Normand [Anquetil] est la course contre la montre : la tyrannie des aiguilles est celle du monde industriel ; le Limousin [Poulidor], lui, est bien dans la montagne, c’est l’homme de la nature : il adapte ses journées aux mouvements saisonniers du soleil. Il éclate de santé. Les admirateurs de Poulidor savent bien qu’Anquetil est le plus fort, mais le fond de sa supériorité les glace ; ils y sentent l’artifice, la planification, la prépondérance technologiques… » (j’ajouterai : et peut-être aussi quelques substances chimiques). En d’autres termes, la perpétuelle opposition entre modernité et tradition, innovation et racines.

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Anquetil aurait pu représenter l’empire romain et Poulidor le village gaulois irréductible, si l’on se plonge dans le monde d’Astérix. C’est pourquoi sans doute Poulidor avait beaucoup de soutien populaire. Car il était un représentant de la "France d’en bas", de celle qui n’est pas écoutée.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Laurent Joffrin, dans son éditorial du 13 novembre 2019 dans "Libération", a repris ainsi ce clivage des deux coureurs cyclistes avec la sauce macronienne de notre époque : « Anquetil gagnait les courses, Poulidor gagnait les cœurs. (…) Anquetil était froid, calculateur, élégant, d’une redoutable intelligence tactique (…). Poulidor était généreux, simple, courageux, moins maîtrisé (…). Le public se reconnaissait en Poulidor, coureur glorieux mais finalement battu, comme les Français aiment à se représenter dans l’Histoire, de Vercingétorix à Napoléon. Anquetil était cérébral, ambitieux, dominateur, presque intellectuel : un coureur d’élite. Poulidor était enraciné, paysan et fier de l’être, nanti d’un fort accent régional, candide dans ses mots, modeste dans son maintien : un coureur populaire. ». En d’autres termes : « Transposons à la France d’aujourd’hui : Anquetil était maillot jaune, Poulidor gilet jaune. ».

Laurent Joffrin y a vu ainsi les clivages actuels : « Ni Anquetil ni Poulidor ne faisaient de politique. Ils sont pourtant, à soixante ans de distance, des personnages politiques, des mythes ancrés au fond de la conscience nationale. ». Mais la comparaison s’arrête là car si on voit bien Emmanuel Macron en Anquetil de la politique ("premier de cordée"), Marine Le Pen, la deuxième de l’élection présidentielle de 2017, n’a jamais eu la popularité d’un Poulidor. C’est en cela que les comparaisons restent souvent foireuses.

À cette réserve-là, c’est bien parce que c’était l’un des meilleurs représentants de l’esprit français, que la disparition de Raymond Poulidor a ému beaucoup de Français. Des Français probablement nostalgiques d’une France des terroirs, d’avant mondialisation, qu’on essaie de réhabiliter en France des territoires, d’après mondialisation. Tchao Poupou !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 novembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Raymond Poulidor.
L’exploit de Thomas Coville.
La France qui gagne.
Communion nationale et creuset républicain.
Faut-il haïr le football en 2016 ?
Les jeux olympiques de Berlin en 1936.
Les jeux olympiques de Londres en 2012.

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13 réactions


  • martinez 16 novembre 2019 13:29

     Poulidor n’était pas dénué d’intelligence tactique, mais il n’aimait pas « avoir la pression », comme on dit de nos jours ; il aimait vraiment le vélo, l’effort de pédaler, et un mélange de tranquillité et de convivialité qu’on peut (qu’on pouvait) trouver dans ce sport ; Anquetil lui aimait gagner et se la péter un peu comme on dit de nos jours ; j’ai souvenir de ses commentaires à la télé, hautains et dédaigneux ; j’entends encore aussi comment il veut « consoler » Poulidor à l’arrivée du Tour 64 : tu es un beau perdant, c’est vraiment bien de réagir comme tu le fais, etc. Un modèle de condescendance ! Il est avéré enfin qu’Anquetil a tout fait ensuite pour que Poulidor ne gagne pas le Tour 66. Bref, une belle enflure, mais c’est lui qui continue d’inspirer certains écrivains du cyclisme, bien pensants de gauche, style Paul Fournel, alors que Poulidor est très rarement cité ou étudié en lui-même ; dans son dictionnaire amoureux du Tour, Christian Laborde (le Nougaro de la littérature cycliste) ne parle de Poulidor qu’à travers l’étape du Puy de Dôme de 64. Bref, qu’ils aillent se faire foutre, et salut à toi Raymond. 


  • amiaplacidus amiaplacidus 16 novembre 2019 13:46

    Rakoto n’allait tout de même pas rater la nécro de Poupou !


  • CORH CORH 17 novembre 2019 00:22

    Poulidor était derrière Anquetil parce que lui ne se dopait pas, s’il y avait eu des contrôles, il aurait été 1er et Anquetil déclassé. qu’on arrête avec ces bêtises de looser pitoyables. Rappel : Anquetil est mort prématurément des saloperies qu’il a ingurgité pendant sa carrière


    • velosolex velosolex 18 novembre 2019 10:42

      @CORH
      Amstrong est toujours vivant, en dépit de ce qu’il a pris. Ou fait, comme Polanski...Le mythe de Raymond propre, face au diable Jacques, est faite pour le bon peuple. 


  • Sozenz 17 novembre 2019 11:58

    merci sylvain, bel article !


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 17 novembre 2019 15:23

    Salut Poupou...tu fais une grande partie de mon enfance.


    • velosolex velosolex 18 novembre 2019 10:40

      @Aita Pea Pea
      Sur son lit de mort, pouldor vint voir Jacques Anquetil, qui était un copain aussi. Avec le temps va tout s’en va...Jacques lui dit. « Pas de pot, Raymond. Même là, t’arrivera encore derrière moi…. »


    • nono le simplet 18 novembre 2019 10:49

      @velosolex
      un jour pris en photo avec Anquetil et Merckx, il a dit aux photographes
      « Vous vous rendez compte qu’à nous trois on a gagné 10 tours de France ? »


    • velosolex velosolex 18 novembre 2019 11:03

      @nono le simplet
      Pas mal. Il avait de plus entièrement raison. Mais matois quand même. Il a bien compris qu’il lui fallait entretenir la légende du tour, en cachant sous le tapis tous les succès qu’il a eu, et en se transformant pour toujours en canard boiteux. 
      Il est mort en laissant derrière lui sa veuve, une mercedez qu’avait 800 000 au compteur. ...Et puis le vélo de sa mère, sur lequel il avait gagné sa première course. C’est pour moi son plus grand exploit. 


  • velosolex velosolex 18 novembre 2019 10:36

    A l’époque« , l’économie de marché, spéculative » dont vous parlez, n,’existait pas dans cette terminologie, ni dans sa version du jour. Ne pas projeter les valeurs du jour, sur celles de l’époque, qui était celle d’un patronat paternaliste. Un sujet lambba, un marronnier, que cette comparaison Poulidor Anquetil qui eurent finalement la chance de se potentialiser dans la gloire, les deux existant en terme de couple. Anquetil n’aurait pas existé, que la légende de Poupou ne serait pas la même. Ce nom de Poulidor a été aussi une chance. Il incarne dans sa sonorité quelque chose de mythique, lié à l’or, et à une sorte de légende gauloise. Il se serait appelé bêtement Dupont que l’histoire aurait été gachée. Ne parons pas d’un nom imprononçable, comme Syysnovichi, ou Polanski….


  • julius 1ER 19 novembre 2019 17:32

    En fait on voit bien que cette rivalité Poulidor/ Anquetil était un montage médiatique afin de faire monter la sauce car faire de Poulidor un looser et l’éternel second d’Anquetil n’a aucun sens car il aurait dû gagner au moins 1 Tour de France(voire 2) et en fait son Palmarès est à comparer à ceux d’autres français de l’époque qui eux on gagné le Tour mais avec un Palmarès bien moindre .....

    je pense notamment à Aimar qui l ’a gagné en 66 et PIngeon en 67 (si mes souvenirs sont bons) Aimar a été l’invité surprise cette année -là, et sa victoire est plus celle d’une équipe et d’une stratégie que due à l’excellence d Aimar ????


  • AlbiProctor 6 mars 2020 15:07

    Qu’il repose en paix ce grand homme qui a toujours été un grand professionnel et tout ce qu’il a fait était avec passion. On se souviendra toujours de lui avec amour. Un film sur sa vie serait bien


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