jeudi 25 octobre 2018 - par Axel_Borg

Le Tour de France par équipes nationales, le retour ?

En 1982, Jacques Goddet émet l’idée, quelques jours après la fin de la Coupe du Monde de football en Espagne qui a vu la France de Platini perdre à Séville dans un match d’anthologie contre la RFA de Rummenigge, d’un Tour de France couru par équipes nationales tous les quatre ans. Le projet est resté utopique en vertu de la puissance des sponsors dans le cyclisme depuis les années 80, de Banesto à Sky ne passant par l’US Postal, la Deutsche Telekom, Astana, Mapei, Cofidis, Movistar ou encore Festina.

Les années bissextiles sont faites, une fois tous les quatre ans via le 29 février (sauf les années de fin du siècle, à l’exception de 1600, 2000 ou 2400, nombres divisibles par 4), pour rééquilibrer le calendrier par rapport à la course de la Terre. Et si les années bissextiles, qui sont aussi les années olympiques, le Tour de France revenait dans le passé avec le retour aux équipes nationales ?

L’Histoire commence en 1997, Jacques Goddet créé l’évènement lors de la soirée du cinquantenaire de la renaissance du Tour de France (1947-1997).

Fils spirituel d’Henri Desgrange, père du quotidien L’Equipe en 1946, célèbre pour son chapeau colonial qui en faisait l’avatar du colonel Nicholson joué par Sir Alec Guinness dans le Pont de la Rivière Kwaï en 1957, Jacques Goddet et ses journalistes ont créé de multiples initiatives sportives : le Ballon d’Or européen France Football en 1956 (avant d’être phagocyté en 2010 par la FIFA), la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1955 (avant une reprise en main par l’UEFA dès la saison 1956-1957) et la Coupe du Monde de ski alpin en 1967.

Agé de 92 ans, celui qui dirigea le Tour de France d’une main de fer entre 1946 et 1987, bien qu’il partageât le pouvoir avec Félix Lévitan à partir de 1962, Jacques Goddet s’offre un clin d’œil, lui qui avait déjà eu l’idée (bien avant Yves Mourousi en 1975) d’une arrivée sur les Champs-Elysées, refusées par les autorités parisiennes en 1947.

Pour le Tour de France 2000 (ainsi que l’édition du Centenaire prévue en 2003), Goddet émet donc des vœux, certains resteront utopiques :

  • Tour de France 2000, retour exceptionnel aux équipes nationales pour introduire un zeste de classicisme, avec des maillots faisant place aux sponsors traditionnels pour ne pas pénaliser les groupes investissant dans le peloton cycliste traditionnel. Départ de New York (prologue vers Central Park), étapes à Boston, à Montréal (arrivée jugée au sommet du Mont-Royal surplombant la grande ville québécoise). L’idée de Goddet est bien entendu d’introduire de la modernité mais aussi de rendre hommage aux coureurs nord-américains qui avaient brillé sur le Tour de France depuis le milieu des années 80 : le Canadien Steve Bauer mais surtout les Américains Greg LeMond et Andrew Hampsten. Embarquement via le Concorde pour l’Europe (ironie du destin, le sort porta l’estocade au mythique avion français le mardi 25 juillet 2000, deux jours après l’arrivée du Tour de France 2000 remporté par Lance Armstrong), de Montréal vers Londres. Départ d’étape depuis l’aéroport d’Heathrow et passage devant Buckingham Palace. Transfert en Eurostar vers Calais pour un CLM par équipes vers Lille. Le Concorde et l’Eurostar symbolisent la modernité et l’excellence française. Ce chrono par équipes devait être particulier, non pas couru en commun mais par relais à la façon de l’athlétisme, soit une dizaine de kilomètres environ par coureur. Le peloton rejoint ensuite Bruxelles, Maastricht, Bonn, Luxembourg et Strasbourg pour célébrer la construction européenne, fait majeur politique du XXe siècle qui s’achève alors, en profitant des Ardennes belges comme terrain de jeu. De Strasbourg via le Ballon d’Alsace le peloton descend ensuite vers Lausanne pour célébrer la renaissance des Jeux Olympiques, œuvre du baron Pierre de Coubertin en 1896. C’est sur les rives du Lac Léman qu’on dispute un contre-la-montre individuel. Les Alpes sont ensuite au menu via l’Italie avec le Mont Ventoux comme troisième étape de montagne. Un transfert aérien s’engage vers Barcelone pour enchaîner sur les Pyrénées juste après les Alpes, le chrono final ayant lieu au Futuroscope de Poitiers, avant une ultime étape parisienne entre le Stade de France et la Grande Arche de la Défense, via les Champs-Elysées en utilisant le traditionnel circuit passant par l’Orangerie, le quai du Louvre, la Rue de Rivoli et les Tuileries, l’arrivée finale à la Défense, autre symbole du modernisme français, devant marquer une arrivée différente à Paris. Jacques Goddet avait donné une version légèrement différente à Rouen pour le départ du Tour de France 1997 : chrono par équipes en relais vers Bruxelles et non Lille, aller-retour vers Copenhague puis retour à Mulhouse. Au final, devant cette feuille de route démesurée d’ambition, Jean-Marie Leblanc retiendra quelques lieux pour le parcours du Tour 2000 : le Futuroscope pour le départ, le Mont Ventoux, Lausanne ou encore Mulhouse.

En 1982 déjà, Jacques Goddet, esprit visionnaire, avait songé à un retour aux équipes nationales sur le Tour de France, mais pas dans l’optique de la Grande Boucle 2000. Dès le départ du Tour à Bâle, le fondateur de L’Equipe prend sa plume pour défendre sa vision d’un Tour de France par équipes nationales. L’enthousiasme autour de la Coupe du Monde de football va le conforter dans son idée.

L’équipe de France de football de Giresse et Platini vient de briller en Espagne à la Coupe du Monde, échouant avec panache face à la RFA dans un match homérique à Séville. Tout l’Hexagone a vibré en ce 8 juillet, et même un café de Budapest où le Président de la République François Mitterrand a suivi la demi-finale en terrasse, à l’occasion d’une visite officielle en Hongrie.

Tel le Brésil de Zico et Socrates face à l’Italie à Sarria, la France est tombée avec les honneurs, soulevant l’enthousiasme patriotique des foules via la télévision, qui s’est démocratisée dans les années 70 dans les salons de l’Hexagone.

Le contexte du cyclisme en 1982 est le suivant : un Pantagruel à l’appétit colossal de victoires nommé Bernard Hinault vient de gagner son quatrième Tour de France, s’offrant même le luxe de parachever son triomphe par un sprint victorieux sur les Champs-Elysées, ceint du maillot jaune. Auteur du doublé Giro – Tour pour la première fois, le Breton tutoye la perfection et rejoint ses illustres aînés Fausto Coppi, Jacques Anquetil et Eddy Merckx dans le gotha. Comme eux, le natif d’Yffiniac est nourri au nectar et à l’ambroisie, dénominateur commun des champions cyclistes d’exception, ceux qui possèdent l’étoffe des héros, faits dans un métal spécifique aux titans. Mais l’intérêt du Tour est inversement proportionnel à la grandeur des exploits du Blaireau. Il est utopique d’imaginer alors qu’Hinault devra attendre juillet 1985 pour ramener un cinquième maillot jaune à Paris. Personne ne se doute qu’Hinault se blessera au genou en mai 1983 après une Vuelta gagnée de haute lutte, personne n’imagine non plus que Laurent Fignon et Greg LeMond vont émerger en 1983, le premier sur le Tour de France et le second sur le Championnat du Monde, encore moins de monde n’imagine qu’Hinault sera battu par Fignon pour son retour sur la grand-messe de thermidor en juillet 1984, où se révélera le virtuose grimpeur colombien Luis Herrera sur les pentes de l’Alpe d’Huez.

En juillet 1982, comme Borg dont il a repris le célèbre bandeau, Bernard Hinault ruine le suspense du Tour de France, tel le Suédois autre roi de Paris avec six triomphes à Roland-Garros (1974, 1975, 1978, 1979, 1980, 1981). Ce qui rend optimiste pour Hinault, c’est l’absence de relève puisque son dauphin est un coureur proche du déclin, le Néerlandais Joop Zoetemelk, déjà 2e du Tour derrière Eddy Merckx en 1970 et 1971 …

Joop Zoetemelk est distancé, donc, et Hinault s’attire justement tous les superlatifs, si loin de cette usure du pouvoir qui ne viendra qu’en 1986, et bien timidement face à Greg LeMond. A la fin de cette Grande Boucle 1982 quelque peu monotone, les opinions divergent. Du côté des spectateurs, d'une part, mais aussi entre les deux directeurs du Tour de France. Si Félix Lévitan supporte un Tour de France complètement open, avec 180 coureurs répartis en une dizaine d'équipes professionnelles et amateurs, Jacques Goddet souhaiterait, lui, élargir la participation aux équipes de petites nations du cyclisme telles que la Colombie et les Etats-Unis. Dans l'idée de Goddet, le Tour se courrait par équipes nationales une fois tous les quatre ans. D'ailleurs, une large majorité du public est en faveur d'un retour aux équipes nationales. Mais la réalisation d'un tel projet devient désormais impossible, les publicitaires étant maintenant trop ancrés dans le vélo.

Le seul coureur qui aurait pu potentiellement se battre avec Hinault sur les cinq éditions écoulées (1978-1980), Serguei Soukhoroutchenkov, médaille d’or de la course en ligne aux Jeux Olympiques d’été Moscou, ne peut passer professionnel, se contentant des courses amateurs à l’Est du Rideau de Fer, comme la Course de la Paix.

Ce fut finalement Félix Lévitan et son projet pragmatique d’intégrer de nouveaux coureurs américains, colombiens, australiens ou soviétiques, qui fut retenu dès 1983 via la formule Open.

C’est ainsi que le vendredi 9 juillet 1982 à Cancale, lors de la journée de repos, Félix Lévitan et Jacques Goddet annoncent cette formule Open en vue de l’édition 1983, au lendemain du France – RFA homérique de Séville qui inspira un sentiment patriotique et l’idée du retour quadriennal aux équipes nationales …

A la fin de cette 69e Grande Boucle où Hinault gagne de nouveau sur les Champs-Elysées (classement général et l’étape) avec son bandeau Borg, Jacques Goddet se lance et publie son idée, dans un article intitulé « Le Tour tourné vers son avenir », lundi 26 juillet 1982 : L’édifice sur lequel repose actuellement le cyclisme professionnel paraît solidement, sainement structuré, et j’estime qu’il faut en protéger les bases afin d’assurer l’existence des coureurs faisant métier du sport cycliste, donc en permettre le recrutement.

C’est cette observation fondamentale qui me conduit à redouter personnellement que la formule permanente annoncée par mon complice Félix Lévitan (moitié équipes de marques pros, moitié équipes nationales dites amateurs), n’affaiblisse dangereusement le cadre contenant le cyclisme traditionnel qui jusqu’ici, a nourri le Tour. Dix équipes pro maximum, qui ne pourraient être composées que de huit ou neuf hommes chacune, cela éliminerait un nombre considérable de coureurs professionnelles. D’où le risque général d’une mise au chômage.

Je crains d’ailleurs que le Tour qui conserverait tous ces éléments actuels n’effraie les nations que j’appelle les nations neuves, lesquelles pourraient légitimement appréhender la confrontation avec des formations habituées, elles, à supporter le poids d’un Tour avoisinant les 4 000 kilomètres, chargé du programme montagnard habituel. Se sentent-elles prêtes pour un affrontement de ce genre ?

C’est pourquoi, toutes réflexions faites, je déclare de nouveau mes préférences pour la formule dont j’ai jeté l’idée au moment de nous embarquer pour notre voyage de juillet : Maintenir et sauvegarder les structures actuelles du cyclisme professionnel, tout en cherchant dès maintenant à élargir la participation des équipes de type professionnel telles qu’ils en existent en Colombie et qu’elles doivent bientôt exister aux U.S.A. Et poursuivre la tâche de perfectionnement en vue d’une épreuve type Tour de France par le moyen du Tour de l’Avenir organisé selon la formule « libre » (terme que je préfère de beaucoup à celui de « Open »). 

Mais donner au sport cycliste une forme de mondialisation, tous les quatre ans (rythme d’une olympiade), en organisant le Tour de France par équipes nationales à formule totalement « libre » dans lequel s’équilibreraient à peu près les nations traditionnelles et les nations « neuves ».

Pour ce qui concerne la conception géographique de la formule, d’abord le parcours, devrait au moins dans un premier temps, se situer dans les deux règlementations actuellement en vigueur pour chacune des catégories : quelques 3 000 kilomètres. Et comme ce n’est pas moi qui aie jamais envisagé qu’un même Tour pourrait se balader d’un continent à l’autre, idée qui m’a toujours paru complètement utopique, sauf pour une opération ponctuelle propre un départ, celui qui, par exemple, serait donné sur un sol américain (ou britannique), grande fête symbolique restant dans les perspectives de l’organisateur à larges vues qu’est Félix Lévitan – je répète la proposition contenue dans mon exposé prospectif : itinéraire à fort noyau français avec quelques incursions chez les amis voisins bordant l’Hexagone. Je veux imaginer que les firmes équipant les « pros » et ces « pros » eux-mêmes comprendraient ce que pourraient apporter au sport cycliste, en contribution de leurs efforts, de grandeur, de regain et de notoriété une telle formule.

La saison, cette année-là (celle suivant l’année olympique) pourrait être construite différemment, avec une participation plus accentuée aux autres épreuves par étapes. Je voudrais croire aussi que l’ambition de la sélection pour l’équipe de son pays déclencherait une motivation nouvelle vis-à-vis de tous les athlètes pédalant du monde. Mesurez ce que sont les efforts produits pour une ambition semblable dans tous les sports olympiques et dans le bon vieux foot.

Cet appel pour un rendez-vous quadriennal au plus haut sommet, afin de servir sous les couleurs nationales, qui ne l’entendrait pas au plus profond de sa conscience ?

La belle idée de Goddet, sorte de testament sportif, restera lettre morte, utopique, et le Tour de France 2.0 qui s’annonce via sonner les glas des espoirs des Français d’y briller, malgré trois victoires de Laurent Fignon (1983, 1984) et Bernard Hinault (1985) en forme de chant du cygne pour le cyclisme hexagonal …

Félix Lévitan annonçait un départ depuis Washington DC à horizon 1984 ou 1985, il n’en fut rien, pas plus que le formidable enchaînement New York – Boston – Montréal imaginé par Jacques Goddet à l’automne 1997 pour l’édition 2000.

Depuis, Greg LeMond, Andrew Hampsten, Lance Armstrong, George Hincapie, Floyd Landis, Tyler Hamilton, Andrew Talansky, Tejay Van Garderen pour les Etats-Unis, Steve Bauer pour le Canada, Raul Alcala pour le Mexique, Luis Herrera, Fabio Parra, Alvaro Mejia, Hernan Buenahora, Santiago Botero, Rigoberto Uran, Nairo Quintana, Esteban Chaves ou Fernando Gaviria pour la Colombie, Cadel Evans, Robbie McEwen, Stuart O’Grady, Michael Rogers, Bradley McGee, Ritchie Porte et Rohan Dennis pour l’Australie, Piotr Ugrumov, Djamolidine Abdoujaparov, Dimitri Konyshev, Evgueni Berzin, Pavel Tonkov, Vlatcheslav Ekimov, Jaan Kirsipuu, Raimondas Rumsas, Denis Menchov et Yaroslav Popovych pour les anciens pays de l’Union Soviétique, Zenon Jaskula, Olaf Ludwig, Zbigniew Spruch, Jan Ullrich, Lazslo Bodrogi, Roman Kreuziger, Peter Sagan, Janez Brajkovic, Michal Kwiatkowski et Rafal Majka pour les anciens pays du Pacte de Varsovie, tous pays satellites de l’URSS dans le bloc communiste d’Europe de l’Est ont su justifier le mouvement d’internalisation du cyclisme professionnel, aux côtés des nations traditionnelles d’Europe de l’Ouest : France, Italie, Belgique, Suisse, Espagne, Pays-Bas, Allemagne, Portugal et Grande-Bretagne.

En Colombie, le cyclisme était fortement ancré dans la culture populaire bien avant que Luis Herrera, Fabio Parra et consorts ne viennent sur le Tour de France à partir de 1983-1984 … Dès les années 70, la radio nationale RCN commentait la Vuelta, le Giro et le Tour en direct. Le Président de la République d’alors, Belisario Betancur, se fait même réveiller à 4h30 pour écouter la Grande Boucle sur son transistor ! En 1980, la Colombie envoie une équipe sur le Tour de l’Avenir, et écrase l’épreuve de façon stellaire sous l’égide de son leader Alfonso Florez, devant Sergueï Soukhoroutchenkov en personne, médaille d’or de l’épreuve en ligne à Moscou aux Jeux Olympiques de 1980, et qui cannibalisait le cyclisme amateur en Europe de l’est, au point d’être surnommé le Merckx des amateurs ! Après sa carrière, Bernard Hinault en personne reconnaîtra que Soukhoroutchenkov aurait pu lui donner du fil à retordre sur le Tour s’il avait pu le courir. Ce n’est donc pas n’importe qui qu’Alfonso Florez domine dans ce Tour de l’Avenir 1980.

En 1983, Florez participe à son premier Tour de France dans une équipe dirigée par l’ancien maillot jaune espagnol Luis Ocaña, sous le sponsoring des piles Varta. Les Colombiens ne gagnent pas d’étape, mais Patrocino Jimenez termine deuxième du Grand Prix de la Montagne derrière l’inoxydable grimpeur belge Lucien Van Impe, qui s’adjuge pour la sixième fois ce classement (1971, 1972, 1975, 1976, 1977, 1981, 1983), égalant le record du virtuose escaladeur ibérique Federico Bahamontes (1954, 1958, 1959, 1962, 1963, 1964). Le Français Richard Virenque fera mieux par la suite avec sept maillots blancs à pois rouges (1994, 1995, 1996, 1997, 1999, 2003, 2004), étant battu en l’an 2000 par Santiago Botero, deuxième Colombien à remporter ce prix symbolique après Lucho Herrera (1985 et 1987), l’homme qui, comme Marco Pantani par la suite, freinait dans les virages tellement il grimpait vite, sorte de sprinter des cols et de condor des cimes fendant la foule comme Moïse avait séparé en deux la Mer Rouge …

Herrera, le petit jardinier, restera comme le grand coureur colombien de cette époque de pionniers, ce dont témoigne Raphaël Geminiani : Pour moi, il était dans les trois meilleurs grimpeurs de l’Histoire, avec Charly Gaul et Fausto Coppi : beau à voir grimper, il pédalait sans forcer et faisait une différence terrible tout en étant aérien léger. Sollicité par les meilleures équipes européennes, dont La Vie Claire, Luis Herrera restera fidèle à ses racines sud-américaines.

Depuis 1951, le Tour de Colombie draine les foules sur le bord des routes, tandis que Bogota, chaque dimanche, ferme la circulation dans son centre-ville pour laisser les cyclistes se dérouiller les jambes. Partenaire de l’événement fondateur, le journal El Tiempo définit déjà ce qui fait toujours la spécificité des Escarabajos : S’il nous est permis la comparaison, les routes de France et de Colombie sont aussi différentes qu’un billard et des montagnes russes. Sa difficulté va rendre la Vuelta a Colombia particulière, si ce n’est unique, parmi les grandes épreuves du cyclisme mondial.

Le Français Marc Madiot disputa en 1983 la fameuse Clasico RCN, épreuve créée en 1961 : Il y avait un engouement populaire exceptionnel autour de cette course, largement supérieur à ce qu’il y a en France autour du Tour de France.

En 1984, l’homme d’affaires Philippe Juglar rachète la SACA, entreprise qui représente pour la France les intérêts de Café de Colombia, immense fédération de 300 000 torréfacteurs créée en 1927. L’arabica colombien cartonne aux Etats-Unis, mais à l’époque, l’Europe tourne surtout au robusta africain. Philippe Juglar convertit l’équipe cycliste Café de Colombie en opération marketing sur la route du Tour : il fait servir des tasses de café dans les villages de départ et d’arrivée, ainsi qu’une distribution par la caravane le long des routes ! Si le café est bon, Juglar n’oublie pas de séduire les spectateurs avec des filles magnifiques : Je faisais des animations fabuleuses avec des étudiantes colombiennes. J’avais une fille absolument ravissante, Viviana, à qui Greg LeMond apportait son bouquet tous les soirs.

Les femmes, l’autre talon d’Achille de Colombiens (avec la cocaïne, bien entendu) manquant justement de professionnalisme dans les années 80 … Sur le Giro, j’ai surpris un coureur en train de faire un Roméo et Juliette dans la chambre de l’hôtel, ça m’a déplu, je l’ai renvoyé en Colombie, raconte Cochise, alias Martin Emilio Rodriguez, premier coureur Colombien à avoir remporté une victoire d'étape sur un Grand Tour (victoire à Forte dei Marmi sur le Tour d'Italie 1973). L’un des rares coureurs non colombiens de Café de Colombia, le Français Robert Forest, n’en est toujours pas revenu : Eux, c’est simple, ils vivaient à 500 à l’heure, au rythme de la salsa, avec le walkman. Je ne comprenais pas comment ils faisaient : quand tu te tapes trois cols par jour, tu n’as pas envie de tirer un coup, tu ne peux même pas te branler. Mais voilà : Café de Colombia, c’était bonheur, plaisir et jouissance. La diététique reflète cet état d’esprit dilettante : nourriture très grasse, composée essentiellement de poulet frit et de pain, des haricots rouges, ainsi que du Coca-Cola ... Une deuxième équipe colombienne voit le jour en 1986, Postobon, une marque de boissons gazeuses. Le prodige Luis Herrera ouvre une brèche en gagnant la Vuelta 1987, mais les Espagnols se vengent avec une édition 1988 pauvre en reliefs et en cols, qui profitera à l’Irlandais Sean Kelly, dont la montagne était le point faible. Il sera imité par Nairo Quintana sur la Vuelta 2016, le leader de la Movistar ayant également remporté le Giro en 2014. Reste le Graal suprême du cyclisme, le Tour. Peut-être avec Egan Bernal ? 15e de la Grande Boucle à 21 ans avec Team Sky comme porteur d’eau du tandem Geraint Thomas / Chris Froome et un immense potentiel. Les tests physiologiques réalisés par l’ancien protégé de Michele Bartoli auraient révélé des possibilités supérieures à celles de Miguel Indurain ou du Kenyan Blanc Chris Froome ...

Malgré une diététique laissant aussi à désirer en début de carrière (Cyrille Guimard le surprenait parfois à manger une glace en douce), Greg LeMond, quant à lui, va réussir là où les Escabarajos ont tous échoué, de Luis Herrera (5e en 1987) à Nairo Quintana (2e en 2013 et 2015) en passant par Fabio Parra (3e en 1988) ou Santiago Botero (4e en 2002) : ramener le maillot jaune à Paris. Si le premier Américain du Tour de France fut Jonathan Boyer en 1981 au départ de Nice, LeMond est le premier coureur yankee à monter sur le podium en 1984. Ceint du maillot irisé de champion du monde conquis fin 1983 en Suisse, Greg LeMond quitte le Losange de Renault, pour rejoindre la Vie Claire. A chaque fois, il seconde un leader français (Laurent Fignon puis Bernard Hinault) mais voit son salaire exploser avec Bernard Tapie, loin de l’esprit amateur de Seven Eleven, avec l’ancien champion olympique Eric Heiden (quintuple médaille d’or en 1980 à Lake Placide en patinage de vitesse) ou Chris Carmichael, futur coach paravent de Lance Armstrong version phénix rescapé du cancer. La sympathique formation de Jim Ochowicz, sponsorisée par les épiceries japonaise ouvertes de 7h à 23h, gagnera en 1988 le Giro grâce à Andrew Hampsten, qui avait parfaitement négocié l’étape dantesque du Gavia courue sous une neige apocalyptique. Mais Snow Rabbit ne fera jamais que 4e sur les routes de France et de Navarre, l’Hexagone restant le bastion de Greg LeMond avec trois maillots jaunes : le premier en 1986 malgré la concurrence d’un Bernard Hinault qui commet le péché d’orgueil de provoquer son jeune prodige de coéquipier, les deux autres en 1989 et 1990 après le terrible accident de chasse vécu par le Californien. Le lundi 20 avril 1987 à Rancho Murieta, LeMond frôla la mort lors d’un tragique lundi de Pâques. Criblé de plombs, il semble perdu pour le cyclisme de haut niveau. Bernard Tapie le licencie et liquide Toshiba pour se concentrer sur l’Olympique de Marseille, où il manquera de peu de recruter le virtuose Diego Maradona en 1989. Mais Tapie aura des vedettes étrangères comme Dragan Pixie Stojkovic, Chris Waddle, Rudi Völler, Enzo Francescoli et Carlos Mozer, avant de gagner la Ligue des Champions 1993 contre le Milan de Capello.

En cette même année 1993, un jeune coureur américain du nom de Lance Armstrong débarque dans le peloton, alors que LeMond a pris depuis 1991 l’irréversible toboggan du déclin sous l’effet de la myopathie mitochondriale affectant son métabolisme, conséquences des plombs restés dans son abdomen. Quand le jeune Texan gagne à Verdun sa première étape sur le Tour, le journaliste new-yorkais Samuel Abt l’apostrophe ainsi : Serez-vous un deuxième Greg LeMond ? Fort d’une répartie déjà impressionnante, le jeune homme de 21 ans répond avec un aplomb désarmant : Non, je serai le premier Lance Armstrong. En effet, grâce au Ponce Pilate de Lausanne, Hein Verbruggen, qui refusera d’ouvrira la boîte de Pandore du cyclisme. Du haut de sa tour d’ivoire du Lac Léman, le président néerlandais de l’UCI refusera de nettoyer les écuries d’Augias d’un sport gangréné par l’EPO et le dopage sanguin, l’Italie étant devenue l’Eldorado du doping sous la houlette de Francesco Conconi, le fossoyeur du mythe du Stelvio en 1993 (à 55 ans, ce diplômé de l’Université de Ferrare avait fini 5e d’une course de coûte sur le juge de paix des Dolomites), et de son meilleur padawan, Michele Ferrari (avec le sidérant triplé Gewiss Ballan lors de la Flèche Wallonne 1994)

Et l’OVNI Armstrong gagnera sept Tours de France entre 1999 et 2005 à la tête d’une équipe non européenne (US Postal entre 1999 et 2004, Discovery Channel en 2005), là où son idole de jeunesse avait triomphé sous pavillon français (La Vie Claire en 1986, Z en 1990) ou belge (ADR en 1989). Avec l’US Postal de l’usurpateur Armstrong dirigé par le Belge Johan Bruyneel, sorte de multinationale du vélo pendant un septennat d’imposture qui marquera au fer rouge le cyclisme 2.0 (les Américains Hamilton, Hincapie, Landis, Vaughters et Livingston, le Russe Ekimov, les Espagnols Beltran, Heras et Rubiera, le Tchèque Padrnos, l’Italien Savoldelli, le Colombien Peña, le Luxembourgeois Joachim, le Français Deramé), la mondialisation du cyclisme était achevée …

Mais le projet de Jacques Goddet aurait pu marcher, imaginons ce que les sélections nationales auraient pu donner lors des années post-olympiques, le Tour de France pouvant servir de préparation aux équipes nationales avant les Mondiaux :

  • 1985 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Los Angeles en 1984, avec en 1985 le Championnat du Monde de Giavera del Montello) :
    • Reste à savoir qui aurait pu tirer son épingle du jeu en 1985 sur une Grande Boucle courue par équipes nationales. Maillot jaune en 1983 et 1984 avec Renault, Laurent Fignon n’aurait pas forcément été désigné leader de l’équipe de France, avec sous les mêmes couleurs Bernard Hinault quadruple vainqueur du Tour de France … Le Breton avait claqué la porte de Renault fin 1983 (comme Alain Prost en F1 vis-à-vis du même Losange) après des divergences humaines et sportives totalement irréversibles avec Cyrille Guimard, directeur sportif de la Régie. Clé de voûte de l’équipe Renault depuis 1977, le champion breton était asphyxié par Guimard, et avait besoin de reprendre sa liberté, de contrôler sa carrière, lui qui avait planifié à l’avance sa retraite sportive fin 1986, contrairement à Bartali, Coppi, Bobet, Anquetil ou encore Merckx qui avaient tous, sans exception, commis le péché d’orgueil, oubliant qu’ils ne pourraient pérenniser les exploits à un âge trop avancé. Ayant besoin de se régénérer comme figure de proue d’une autre formation cycliste afin de prouver que l’usure du pouvoir et l’inexorable érosion du temps n’avait pas encore fait leur œuvre, Hinault avait cédé aux sirènes de Bernard Tapie, demandant à l’homme d’affaires d’engager Paul Koechli comme directeur sportif de la Vie Claire. En 1985, le sélectionneur de l’équipe de France de cyclisme avait pour nom Jacques Anquetil (1982-1987), il y a donc fort à parier qu’en l’absence du Parisien blessé, le leader unique de la sélection nationale aurait été le natif d’Yffiniac. Débarrassé de Fignon, Bernard Hinault aurait cependant dû composer avec l’Américain Greg LeMond, fort de sa 3e place en 1984 pour sa première Grande Boucle … comme joker de luxe de Fignon ... Une chose est sûre, malgré la concurrence de Sean Kelly, Luis Herrera, Pedro Delgado, Stephen Roche ou encore Robert Millar, l’aigle bicéphale que constituait Hinault / LeMond offrait le plus de garanties pour le maillot jaune.
  • 1989 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Séoul en 1988, avec en 1989 Championnat du Monde de Chambéry) :
    • Sur le papier, aucune équipe nationale ne se dégageait vraiment en 1989 mais sachant qu’il avait pris une longueur d’avance sur le plan pharmaceutique (avec en prime en sa faveur l’ubuesque épisode de la non éligibilité d’un produit interdit par le CIO sur la liste officielle de l’UCI …), il est permis de penser que même en courant pour l’Espagne plutôt que pour l’équipe Reynolds, Pedro Delgado eut pu conquérir le maillot jaune. Secondé par Chozas, Indurain et Lejarreta, le natif de Ségovie aurait dû livrer bataille à une redoutable formation néerlandaise composée du trio Breukink / Rooks / Theunisse. Egalement, les Etats-Unis auraient pu avoir voix au chapitre avec le grimpeur Andy Hampsten, surnommé Snow Rabbit après la mythique étape du Gavia sur le Giro 1988, qui devait porter l’estocade à la plupart des favoris. Hampsten aurait sans doute supplanté comme leader un certain Greg LeMond, lui, était passé du Capitole à la Roche Tarpéienne en avril 1987 lors d’un terrible accident de chasse en Californie, à Rancho Murieta. Nourri au nectar et à l’ambroisie par les fées du destin, le phénix américain allait attendre … juillet 1989 pour renaître de ses cendres, terminant le Giro 1989 sur une belle deuxième place sur le chrono Prato - Florence derrière Leech Piasecki. En 1989, LeMond aurait été trop juste en terme de résultats récents convaincants pour être un leader crédible des Etats-Unis sur un Tour de France par équipes nationales, il aurait donc été décisif en soutien d’Andrew Hampsten, son fidèle n°2 en 1986. Enfin, Laurent Fignon aurait mené une équipe de France où Charly Mottet et Jean-François Bernard lui auraient apporté leur concours, tout comme Eric Boyer, Ronan Pensec et Gilbert Duclo-Lassalle. Mis à part la sélection néerlandaise et l’équipe de France, il est probable que personne n’eut pu porter l’estocade à Perico Delgado en cette saison 1989 sur le Tour de France, pas même les Colombiens Fabio Parra et Luis Herrera, victimes de leurs lacunes dans les descentes de cols mais aussi dans l’exercice si particulier du contre-la-montre individuel.
  • 1993 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Barcelone en 1992, avec en 1993 le Championnat du Monde d’Oslo) :
    • En 1993, Miguel Indurain avait mis tout le monde d’accord durant la fameuse étape chronométrée du Lac de Madine, avec plus de la moitié du peloton à au moins 10 minutes de l’extra-terrestre sur 59 kilomètres malgré une crevaison du sphinx de Pampelune, une statistique proprement hallucinante à un tel niveau de la compétition, dans un sport totalement professionnel.
    •  Ce lundi 12 juillet 1993 sur l’asphalte des routes de Lorraine, le Goliath Mig-Hell avait atomisé la concurrence, laminée, pulvérisée, anéantie, réduite en bouillie, à ramasser à la petite cuillère ... Préparé à l’EPO par Sabino Padilla, délit d’initié dans le meilleur des cas en 1993 ou secret de polichinelle en worst case scenario (élixir de puissance connu de presque tous mais fontaine de jouvence maîtrisée seulement par l’élite des médecins sportifs, plusieurs coureurs néerlandais ayant trouvé la mort après des caillots sanguins ou des arrêts cardiaques par faute de surdose d’EPO), tutoyant la perfection aérodynamique avec son vélo Pinarello et son casque bleu n’ayant rien de pacifique et de commun avec un soldat de l’ONU, le colosse venu de Navarre n’aurait eu qu’à contrôler en montagne le tandem Bugno / Chiappucci. L’équipe d’Espagne aurait eu fière allure en 1993 avec Pedro Delgado, Julian Gorospe, Mikel Zarrabeitia, Abraham Olano et Fernando Escartin.

      L’Italie était alors l’Eldorado du dopage, mais avait du mal à gagner le Tour de France, le maillot jaune étant attendu de l’autre côté des Alpes depuis un certain Felice Gimondi en 1965. Mais la fragilité mentale de Bugno, le plus célèbre patient de musicothérapie, et les fourmis présentes de façon quasi-permanente dans les jambes de Chiappucci, auraient rendu complexe la constitution d’un duo italien réellement capable de menacer Big Mig sur trois semaines de course. Il aurait fallu que Gianni et Claudio soient capables de partager les responsabilités …

      Idem côté américain où Greg LeMond, victime de sa myopathie, n’eut pu être d’un grand secours pour épauler un Andy Hampsten devenu avatar de Faust cédant à la tentation de Méphistophélès. Passé du côté obscur question dopage, le maillot rose du Giro 1988 n’avait pas les jambes de LeMond dans l’effort solitaire. Or au Lac de Madine, où il fut stratosphérique, l’épouvantail Indurain creusa un écart irréversible sur Hampsten. Ce n’est bien entendu pas le jeune rookie texan Lance Armstrong, au gabarit de rugbyman, qui eut pu chatouiller Miguel Indurain en montagne.

      Par contre, la Suisse, si Alex Zülle, Laurent Dufaux, Pascal Richard et Rolf Jaermann s’étaient mis au service de Tony Rominger, aurait eu des arguments à faire valoir.

      Côté français, après le fiasco du Mondial de Benidorm début septembre 1992, une sélection commune de Laurent Fignon et Luc Leblanc eut été utopique, le Limousin étant de toute façon hors de forme en 1993. Quant à Pascal Lino et Richard Virenque, ils étaient encore trop jeunes et trop tendres pour prétendre obtenir le leadership de l’équipe de France de la part du sélectionneur Bernard Hinault. Charly Mottet était en fin de carrière, tout comme Laurent Fignon et Jean-François Bernard. Le cyclisme français n’aurait eu d’autre choix que de jouer les victoires d’étape avec Laurent Jalabert ...

  • 1997 (année suivant les Jeux Olympiques d’été d’Atlanta en 1996, avec en 1997 le Championnat du Monde de San Sebastian) :
    • Même gavé de potion magique EPO tel un canard engraissé pour produire du foie gras, le Danois Bjarne Riis aurait eu du mal à accomplir une deuxième quête du Graal consécutive en 1997 sous le maillot du Danemark, malgré ses bottes de sept lieues. Car avec Rolf Sörensen (pas un grimpeur) pour seul coéquipier de grande classe, Monsieur 60 % aurait été esseulé dans les cols, et donc vu passer devant lui bien d’autres cyclistes ayant décidé de franchir le Rubicon.
    • Sans la Telekom et donc sans le travail de sape si précieux de Jan Ullrich, Jan Ullrich aurait encore pu soulever le vase de Sèvres sur le podium parisien, avec Udo Bolts, Jens Heppner et Rolf Aldag à son service.

      En pleine omerta et chape de plomb du dopage sanguin, cinq autres équipes nationales auraient pu se distinguer : en premier lieu, la France avec Jalabert, Leblanc et Virenque, même si les deux derniers avaient eu du mal à collaborer en 1994 chez Festina, aurai pu trouver l’antidote à la disette de maillot jaune durant depuis 1985 et Bernard Hinault.

      L’Espagne orpheline du néo-retraité Indurain, se serait présentée en Normandie avec Fernando Escartin, Jose Maria Jimenez et Abraham Olano. L’armada ibérique aurait pu faire mal, même si l’ADN de ces coureurs était bien différent : suceur de roue pour Escartin, grimpeur ailé pour Jimenez, rouleur puissant pour Olano.

      La Suisse, avec un redoutable trio Dufaux / Rominger / Zülle, tous trois aussi bien capables de rouler que de grimper, aurait pu succéder aux deux K des années 50, Ferdi Kubler et Hugo Koblet, à la condition de désigner un leader clair : le vétéran de Zoug ou le myope Zülle ? Dufaux, comme Oskar Camenzind, aurait été un joker de luxe dans la montagne, les frères Zberg se chargeant de jouer les étapes tout comme le champion olympique Pascal Richard et Mauro Gianetti.

      La Russie, avec Evgueni Berzin et Pavel Tonkov, tous deux ayant inscrit leur nom au palmarès du Giro, respectivement en 1994 et 1996, avait de sérieux arguments à faire valoir.

      L’Italie, elle, retrouvait son meilleur atout Marco Pantani pour la grand-messe de thermidor en 1997, le grimpeur romagnol étant forfait en 1996 depuis son terrible accident de Superga à l’automne 1995. Le Pirate aurait été soutenu par Ivan Gotti dans les cols pyrénéens et alpestres. La Squadra Azzurra aurait aussi aligné Mario Cipollini pour les sprints.

      En favori, on aurait donc trouvé l’Allemagne avec Jan Ullrich, qui aurait dû affronter la pression terrible du Tour de France pour sa deuxième participation à l’épreuve, un an après son baptême du feu réussi (2e en 1996).

      Quant à Lance Armstrong, à peine guéri du cancer en juillet 1997, il n’avait pas accompli sa propre métempsycose physiologique le menant de chrysalide à papillon aux ailes jaunes. Mais le Texan, champion du monde 1993 à Oslo, aurait eu deux autres années post-olympiques pour conduire les Etats-Unis à la victoire à Paris, en 2001 et 2005.

  • 2001 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Sydney en 2000, avec en 2001 le Championnat du Monde de Lisbonne) :
    • L’ossature de l’équipe des Etats-Unis aurait été quasiment la même que celle de l’US Postal en juillet 2001 : Lance Armstrong en despote absolu et stakhanoviste de l’entraînement, Tyler Hamilton et Levi Leipheimer en sherpas montagnards, George Hincapie et Frankie Andreu en compagnon de la plaine … Kevin Livingston, passé chez Telekom l’hiver précédent, aurait été black-listé par Armstrong pour haute trahison …
    • Tous préparés par le docteur Ferrari et destinés à cannibaliser la dernière Grande Boucle du XXe siècle, ils auraient cependant été orphelins du Belge Johan Bruyneel. Face aux Yankees, l’Allemagne de Jan Ullrich aurait pu faire appel au vainqueur du Paris-Nice 2000, le jeune prodige Andreas Klöden.

      Quant à l’Italie, elle aurait pu demander à Ivan Gotti, Stefano Garzelli, Francesco Casagrande et Gilberto Simoni de se mettre au service exclusif de Marco Pantani, dont le dernier succès en course, acquis en juin 2000 à Courchevel, avait été une victoire à la Pyrrhus avec un terrible effet boomerang après le cadeau empoisonné du Mont Ventoux signé de Lance Armstrong.

      Pantani, madeleine de Proust de tant d’amateurs du cyclisme, qui avait failli valider en 1997 l’arrivée de l’ancien champion du monde chez Mercatone Uno. Celui de 1993 à Oslo, en l’occurrence Lance Armstrong, homme au refus viscéral de la défaite et de quelconque autorité face à lui. Imaginer Armstrong en lieutenant de Pantani chez Mercatone Uno en 1997-1998 est juste inconcevable, que ce soit sur le plan de l’ambition de l’Américain comme de l’Italien, de la personnalité des deux champions ou du potentiel sportif des deux hommes. C’eut été introduire le loup dans la bergerie.

      Quant à l’équipe d’Espagne, elle n’aurait pas manqué d’allure avec Joseba Beloki, Angel Casero, Francisco Mancebo, Roberto Heras, Oscar Sevilla, Fernando Escartin, Jose Luis Rubiera, Oscar Freire ou encore José Maria Jimenez. Lauréat de la Vuelta en 2000 et plus grand espoir du cyclisme espagnol par étapes, Roberto Heras aurait été certainement désigné leader de cette armada cependant moins invincible que les soldats de l’oncle Sam …

  • 2005 (année suivant les Jeux Olympiques d’été d’Athènes en 2004, avec en 2005 le Championnat du Monde de Madrid) :
    • En 2005, les Etats-Unis auraient encore été redoutables pour propulser Lance Armstrong seul recordman de l’Histoire du Tour de France, brisant le totem du record de cinq victoires co-détenu par le carré d’as Anquetil / Merckx / Hinault / Indurain. Avec le loup de Jaizkibel, lieu de sa première blessure en août 1992 sous la pluie de la Clasica San Sebastian, les Américains auraient pu compter sur Floyd Landis, Tyler Hamilton ou encore. Difficile d’imaginer cependant Bobby Julich dans ce team USA, tant les rapports avec l’autre Texan, Lance Armstrong, étaient compliqués depuis leurs premières armes en amateurs …
    • Même face à l’Allemagne du tandem Klöden / Ullrich et l’Espagne du redoutable quintet Heras / Sastre / Mancebo / Zubeldia / Mayo, Armstrong aurait certainement continué sa razzia, en éparpillant façon puzzle ses adversaires sur le Tour de France, dans un peloton cycliste orphelin de Marco Pantani décédé en février 2004 à Rimini, le long de la mer Adriatique. Tirant la quintessence de ses liens avec le sulfureux docteur Ferrari, le Texan avait atteint la quadrature du cercle avec un Tour parfaitement géré sous le maillot de la Discovery Channel en 2005. Aurait-il réussi le même climax sous la tunique de l’équipe nationale américaine ?

      Vu la faiblesse tactique de ses rivaux et le manque de préparation d’Iban Mayo aux pavés du Nord, on peut raisonnablement penser que l’édition 2005 aurait quand même ressemblé à une partition sans fausse note aux airs de requiem. Veni, Vidi, Vici.

  • 2009 (année suivant Jeux Olympiques d’été de Pékin en 2008, avec en 2009 le Championnat du Monde de Mendrisio) :
    • En 2009, personne ne voltigeait sur le cyclisme mondial, exception faite d’Alberto Contador lauréat du Tour de France avec la formation kazakhe Astana. Mais sous le maillot de l’équipe d’Espagne, le pistolero aurait pu continuer de s’attirer les superlatifs, surtout qu’il n’aurait alors pas disputé le Giro déjà gagné en 2008, lot de consolation en l’absence de Grande Boucle en 2008. Vainqueur de l’épreuve hexagonale en 2007, Contador aurait été épaulé par Carlos Sastre et Alejandro Valverde, face aux frères Schleck pour le Luxembourg et au tandem Armstrong / Leipheimer pour les Etats-Unis.
    • Trop esseulés, l’Australien Cadel Evans, l’Italien Riccardo Ricco, l’Allemand Andreas Klöden ou le Russe Denis Menchov auraient du mal à rivaliser avec Contador, qui aurait dressé la guillotine au moindre pourcentage élevé, faisant passer presque tous les autres prétendants au trône sous ses fourches caudines.

  • 2013 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Londres en 2012, avec en 2013 Championnat du Monde de Florence) :
    • En 2013, la redoutable équipe Team Sky eut offert son meilleur coureur, le Kenyan Blanc Christopher Froome, à l’équipe nationale de Grande-Bretagne, Bradley Wiggins ayant snobé la défense de son titre du fait de sa participation au Giro. Avec le natif de Nairobi, alors l’Union Jack aurait bien été hissé en haut du podium élyséen après trois semaines de courses.
    • Face à Wiggo et au Kenyan Blanc, l’Italie de Vincenzo Nibali aurait pu apporter la contradiction, à supposer qu’Ivan Basso eut daigné se mettre au service du Requin de Messine, les deux coureurs s’étant cherchés des poux dans la tête chez Liquigas entre 2010 et 2012.

      Quant à l’Espagne, orphelin de Contador suspendu et avec un Valverde encore en recherche de ses meilleures sensations après son retour à la compétition, elle aurait dû espérer voir Purito privilégier le Tour au Giro en 2012. Mais Joaquin Rodriguez n’aurait jamais pu viser mieux que le podium, pénalisé par un kilométrage CLM digne des années Indurain, l’homme qui s’était attiré les superlatifs pour ses qualités de rouleur au point de forcer les organisateurs du Tour à réduire la voilure à partir de l’an 2000 dans les chronos ...

  • 2017 (année suivant les Jeux Olympiques d’été de Rio de Janeiro en 2016, avec en 2017 le Championnat du Monde de Bergen et le Championnat d’Europe de Herning) :
    • En 2017, le duel tant attendu entre Chris Froome et Nairo Quintana aurait quand même pu tenir ses promesses si le Kenyan Blanc et le grimpeur colombien avaient été leaders de leurs équipes nationales plutôt que Sky et Movistar. Avec Geraint Thomas et les frères Yates pour l’épauler côté britannique et Rigoberto Uran voire Esteban Chaves et Jarlinson Pantano à son service, chacun des deux leaders aurait disposé de coéquipiers de talent. Quant aux Pays-Bas, avec un rouleur du calibre de Tom Dumoulin, des grimpeurs comme Robert Gesink et Bauke Mollema, et un coureur tel que Wouter Poels, ils auraient pu jouer un rôle pour la première fois depuis Erik Breukink en 1990-1991. Tout comme l’Australie du trio Rohan Dennis / Richie Porte / Michael Rogers. La France, elle, aurait aligné une équipe menée par Romain Bardet avec Thibau Pinot en leader de rechange, avec Julian Alaphilippe et Tony Gallopin en puncheurs, sans oublier Arnaud Démare en sprinter. Quant à l’Italie, elle aurait dû résoudre le problème du leadership entre le Sarde Fabio Aru et le Sicilien Vincenzo Nibali, même si l’un des deux aurait été tenté de remporter la 100e édition du Giro.
  • Mais au-delà des équipes nationales, la priorité est de sortir le Tour de France de sa tour d’ivoire, afin de porter l’estocade aux imposteurs par des épées de Damoclès vraiment dissuasives (contrôles inopinés au niveau urinaire et sanguin, contrôles a posteriori sur 10 ans, détection thermique de moteurs) et de mettre fin au concours Lépine des idées stupides en terme d’organisation de la course :
  • Arrêter avec les faibles kilométrages qui donnent des étapes certes plus nerveuses, mais le coupable du dopage n’est pas le grand nombre de kilomètre qui sanctionne aussi l’endurance d’un cycliste, notamment en troisième semaine où les capacités de récupération sont le facteur clé, devant les qualités de rouleur pour une épreuve CLM (ou de grimpeur pour une étape de montagne). Le dopage est lié à la notion même de compétition, que l’étape fasse 50, 100 ou 250 kilomètres de distance … On se dope car on ne sait pas si l’autre est dopé, tel Gino Bartali qui faisait fouiller les poubelles de Fausto Coppi, sa Némésis, à la fin des années 40 … Et on se dope aussi sur le 100 mètres , tel Ben Johnson en 1988 aux Jeux Olympiques de Séoul.
  • Eviter la journée de repos après deux étapes de montagne consécutives, la 3e devant servir d’écrémage via un processus darwinien séparant les David des vrais Goliath, ceux qui émergeraient en tête du classement général même à l’eau claire, car capables de récupérer trois jours de suite et de répéter des efforts intense en haute altitude … Un coureur de la classe de Sean Kelly n’a pas gagné le Tour de France à cause de cela, à la différence d’un Bradley Wiggins qui ne serait jamais rentré dans le top 20 avant l’ère EPO.
  • Redonner ses lettres de noblesse au contre-la-montre individuel avec un kilométrage conséquent, car le Tour doit couronner le coureur le plus complet, pas le meilleur grimpeur. Victime d’un délit de sale gueule, le chrono individuel a vu sa part réduite à peau de chagrin, tel le gazon du sanctuaire de Wimbledon ralenti depuis les années 2000.
  • Interdire les oreillettes de façon définitive, car un maillot jaune doit savoir sentir la course, observer les faits et gestes de ses rivaux au plus fort d’un col alpestre ou pyrénéen, tel l’aigle danois Bjarne Riis qui avait toisé la concurrence en se laissant par trois fois l’élastique sur le groupe des ténors vers Lourdes Hautacam en 1996. Une fois avoir jaugé de la forme d’Indurain, Dufaux, Rominger, Olano, Virenque et autres Leblanc, le leader de la Deutsche Telekom avait porté son attaque, avec une banderille dont personne ne saurait se relever.


8 réactions


  • Axel_Borg Axel_Borg 25 octobre 2018 17:21

    Soyons realistes, jamais le Tour de France ne reviendra à la formule par équipes nationales, mais cette belle utopie signee de Jacques Goddet en 1982 se devait d’avoir à nouveau un peu de publicité ...

    Un mot sur le parcours 2019, toujours les mêmes qualités et les memes défauts chez le tandem Prud’homme / Gouvenou.

    Dans les +, une 1re semaine dynamique, des massifs varies (Vosges, Massif Central)

    Dans les -, pas assez de CLM individual et trop de chrono par equipes. Trop d’arrivées au sommet qui favorisent une course d’attente jusqu’au dernier col ...


    • Fergus Fergus 25 octobre 2018 19:12

      Bonsoir, Axel_Borg

      « Soyons realistes, jamais le Tour de France ne reviendra à la formule par équipes nationales »

      Et c’est une excellente nouvelle tant les équipes nationales exacerbent le chauvinisme. Personnellement, je déteste les drapeaux et les hymnes dans le sport.

      Cela dit, les équipes de marque, ce n’est pas non plus la panacée car cela permet aux plus fortunés des investisseurs de concentrer les meilleurs coureurs. Mais au moins les coureurs ont-ils un choix à faire, ce qui n’est pas le cas avec des équipes nationales.

      Pourquoi Manarola ? Etes-vous un fan des Cinque Terre ? 


    • Axel_Borg Axel_Borg 26 octobre 2018 08:41

      @Fergus,

      Le chauvinisme oui et non ... L’un des plus grand drames du sport fut le Heysel entre Juventus et Liverpool en 1985, le hooliganisme était alors celui des clubs ...

      Le public du Tour aime globalement tous les coureurs, sauf les supposes dopes comme Armstrong (Ventoux 2002) ou Froome (edition 2015).

      Mais possible en effet que le nationalisme prenne le pas sur le patriotisme en cette décennie où les nations reprennent plus que jamais du poil de la bête avec Trump, Orban, Salvini, Farage et consorts ...

      Des episodes comme le Giro 1987 entre Roche et Visentini montrent cependant que oui, il peut y avoir des accès de nationalisme sur une course cycliste.

      Je retiendrai toujours cette belle citation de Mario Andretti (champion du monde de F1 1978 avec Lotus) qui avait pistonné son fils Michael en F1 chez McLaren en 1993 auprès du roi Senna : « En F1, on ne se bat que pour la gloire ou pour l’argent, on se bat aussi pour faire retentir l’hymne de son pays à l’autre bout du monde. Je voulais que Michael connaisse cette joie. »

      Tu as peut-être raison sur ces equipes nationales qui causeraient la frénésie, avec un opium du people incontrollable dans l’Alpe d’Huez par exemple, après tout le mot « tifoso » vient de là, la fièvre du supporterisme ...

      Pour Manarola, j’y suis allé quand j’étais gamin et j’espère y retourner un jour c’est tout ... Très belle region globalement avec Portofino, Gênes, San Remo ...


  • Axel_Borg Axel_Borg 25 octobre 2018 17:22

    Soyons realistes, jamais le Tour de France ne reviendra à la formule par équipes nationales, mais cette belle utopie signee de Jacques Goddet en 1982 se devait d’avoir à nouveau un peu de publicité ...

    Un mot sur le parcours 2019, toujours les mêmes qualités et les memes défauts chez le tandem Prud’homme / Gouvenou.

    Dans les +, une 1re semaine dynamique, des massifs varies (Vosges, Massif Central)

    Dans les -, pas assez de CLM individual et trop de chrono par equipes. Trop d’arrivées au sommet qui favorisent une course d’attente jusqu’au dernier col ...


    • Axel_Borg Axel_Borg 26 octobre 2018 08:42

      @Cadoudal

      Je ne parle pas d’équipe européenne mais d’équipe de France, d’Italie, de Belgique, des Pays-Bas, de Suisse, d’Espagne, comme au temps de Bobet et Coppi.


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 25 octobre 2018 18:11

    Bonsoir. Oui ça aurait de la gueule. Bien vu les propositions...fichues oreillettes.


  • Alren Alren 25 octobre 2018 18:13
    La France est assez grande et ses paysages assez variés pour que le Tour se déroule en France, même s’il est acceptable que certains cols soient situés en Espagne.

    Un début de Tour en Amérique du nord, USA puis Canada, devrait être coupé au moins par un jour de repos minimum pour que les coureurs « digèrent » le décalage horaire !

    Des équipes nationales ? Qui les paierait aux tarifs des multinationales ? Sûrement pas les fédérations cyclistes. Et les coureurs refuseraient l’immense fatigue et souffrance d’un Tour pour un salaire « de misère ».

    • Axel_Borg Axel_Borg 26 octobre 2018 08:50

      @Alren

      Pour la partie financement, Goddet avait bien reprécisé les choses en 1997 quand il avait proposes ses parcours des Tours 2000 et 2003, equips nationales avec le sponsor employant le coureur pendant le reste de la saison.

      Donc on aurait par exemple une équipe de France avec Bardet (AG2R Prévoyance), Alaphilippe (Quick Step), Pinot (FdJ Groupama) ...

      Pour le depart aux Etats-Unis, cela ne se fera jamais d’autant que le Concorde n’existe plus. Le Tour doit déjà un grand depart au voisin italien, et a rate le coche des centenaires des naissance de Gino Bartali (1914-2014) et Fausto Coppi (1919-2019).

      Florence était pourtant candidate en 2014 pour Il Vecchio, Prud’homme et ASO ont préféré l’argent d’Harrogate et Leeds pour surfer sur la vague Wiggins / Froome / Cavendish.

      Je n’ai pas de souci avec des incursions à l’étranger ni meme avec un Tour très different comme celui de 1992, sans doute le plus controversé de l’Histoire avec 6 pays visités (Espagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne et Italie) et des Pyrénées escamotées par Jean-Marie Leblanc ...

      Moi je suis par contre choqué de la reduction drastique de kilométrage de CLM individuel depuis des années par Prud’homme, qui est allé encore plus loin que Leblanc en la matière. Grave erreur.


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