jeudi 27 septembre 2007 - par Philippe Martinetti

Portrait : Bati Gentili, entraîneur adjoint du FC Nantes

Footballeur talentueux, entraîneur émérite, Bati Gentili est l’un des artisans des plus belles pages de l’histoire du sport corse. Aujourd’hui entraîneur adjoint au FC Nantes, il mène une carrière en toute liberté. Entre souvenirs et réflexions, l’Ajaccien partage avec nous son expérience, sa vision du sport insulaire et ses envies pour l’avenir.

« L’enfant, l’adolescent, le jeune homme que j’étais aimait le football ; on disait alors « ghjucà a u ballo » et les joueurs étaient « i matchadori », car ceux qui parlaient corse - l’immense majorité d’entre nous - ne se posaient pas la question de savoir comment il fallait dire ou écrire savamment des mots importés tels le football ou les footballeurs. A Bastia, d’ailleurs on disait « u fotebal » et cela ne choquait personne. On encourageait son équipe, car chacun en avait une, en criant « Allez les rouges, ou les blancs ou les verts » : on n’avait pas encore importé le forza des Italiens, ce qui ne devait arriver que dans les années 70, probablement pour faire couleur locale... Au milieu de la route, du stade Jean-Luis jusqu’au carrefour du Diamant, tout le monde cheminait en rangs serrés en scandant « Allez les rouges », allusion à peine transparente aux succès de l’armée rouge sur l’envahisseur nazi et pied de nez aux Bersagliri venus fouler notre sol. Le FCA portait en effet le maillot rouge et bleu, l’ACA, le maillot rouge et blanc, de telle sorte que les rouges gagnaient à tous les coups ».

Pour bien comprendre l’histoire d’amour entre le ballon rond et l’île de beauté, il faut se référer à ces paroles du journaliste et historien, Paul Silvani qui définit bien le contexte social et historique du football. De l’épopée Bastiaise en Coupe d’Europe, en passant par la victoire de la sélection insulaire sur l’équipe de France ; des rencontres de Coupe de France à Mezzavia, à la remontée de l’ACA en première division, la Corse fut le théâtre de rendez-vous magiques pour tous les amoureux de sport. Bati Gentili en est l’un des acteurs les plus importants. Le rencontrer c’est comprendre comment et pourquoi ce sport est aussi populaire. Véritable « opium du peuple », le football en dit beaucoup sur la société contemporaine. A l’heure de la mondialisation, il est le reflet de transactions financières de plus en plus ahurissantes. Le foot business a-t-il laissé la place aux rêves d’enfants ? Ce n’est pas ce que pense Bati Gentili, avec qui nous remontons le cours de ses souvenirs.

Enumérer les étapes d’une mémoire parfois buissonnière, voilà notre défi avec l’actuel entraîneur adjoint du FC Nantes. Pour Bati Gentili, le football se vit comme un héritage. Ce n’est pas le projet d’une existence, mais un état d’esprit, une vieille rengaine faite de victoires, mais aussi de désillusions. Jamais Bati Gentili ne renie, toujours il persiste, s’entête, travaille : la vie, à la fois ordinaire et unique, des sportifs de haut niveau. Les quelques confidences s’opposent au creux des longs silences. Pas de bavardages inutiles, pas de coups de gueules médiatiques, Bati est pudique. Le football, ce sport qu’il aime tant, est un élément de construction identitaire.

Enfant, il s’émancipe balle au pied. La vieille ville, la place des Diamants, la place des Palmiers sont les lieux de rencontres au sommet, entre bandes rivales. Le sport s’apprend dans la rue au contact des copains. « Très jeune, c’était déjà le plus doué d’entre nous, sérieux, appliqué, il était très fort au sou troué », s’amuse, un brin nostalgique, Thomas Brunelli, éternel ami et aujourd’hui journaliste à RCFM. Plus tard, Bati fera ses classes au Stade Ajaccien, puis à l’AC Ajaccio, ou il surprend par l’intelligence de son jeu. Son amour des beaux gestes le porte vers l’avant, ce sera le fil d’Ariane de toute sa carrière.

De l’autre côté de la Méditerranée le club de la ville de Nice cherche un joueur de sa trempe. L’OGC Nice l’observe de loin, le cajole de près et lui fait signer son premier contrat professionnel en 1975. Il entre dans la cour des grands sans complexe, mais en gardant à l’esprit que seul le travail permet de s’imposer. Bati y apprend tout de la vie de footballeur. La jeunesse n’est pas éternelle, surtout pour un sportif de haut niveau. Pendant que les copains font la fête, lui répète inlassablement les gammes techniques d’une partition qui s’annonce brillante. Il continuera à surprendre en choisissant avec son coeur les clubs dont il défendra les couleurs : l’AS Cannes puis le FC Mulhouse vont s’attacher les services de l’Ajaccien.

Le retour au pays s’effectuera, dans la ferveur populaire, en 1986, au GFC Ajaccio, en deuxième division. Il terminera sa carrière de footballeur à l’AC Ajaccio. La première partie de sa « vie footballistique » prend fin, mais la passion ne s’estompe pas. Bati a toujours été un meneur, un fin tacticien, il se sent prêt à franchir le pas, et devient entraîneur de l’AC Ajaccio en 1992. Une grande aventure commence. Il mènera le club, alors amateur, vers la seconde division. Cinq ascensions en six ans, un exploit dans la lignée de celui de Guy Roux avec l’AJ Auxerre. Ses qualités sont unanimement reconnues, les équipes qu’il dirige pratiquent du beau jeu. Plus tard, Martigues, Beauvais puis le GFCO Ajaccio viendront compléter son curriculum vitæ.

Un peu d’histoire : le 21 avril 1943 dans un café de la place du Commerce, Marcel Saupin, président de la Mellinet, un club amateur de la région nantaise, officialise la naissance des « Canaris » ; Cinq clubs nantais fusionnent : Saint-Pierre, Stade Nantais U.C., A.C. Batignolles, l’A.S.O. Nantaise et la Mellinet s’unissent et approuvent le mot d’ordre de Saupin : « Petite équipe aujourd’hui, elle sera grande un jour si nous œuvrons ensemble ». Les couleurs jaune et verte sont choisies en référence à celles de l’écurie de chevaux de course de Jean Le Guillou, un des fondateurs du club. Aujourd’hui, présidé par Waldemar Kita, le FC Nantes est entraîné par Michel Der Zakarian. Bati Gentili a rejoint, cet été, le staff technique : « Je suis arrivé à Nantes par l’intermédiaire de Xavier Gravelaine, le club ne voulait pas quelqu’un qui ait vécu toutes les tensions inhérentes à la relégation, à l’échec. L’exigence du public et de la direction du club est forte, tout le monde le sait, Nantes est un des plus grands club français et notre objectif est clair : retrouver l’élite dès la saison prochaine ».

Tous les analystes sportifs le clament haut et fort, le « FCNA » ne peut rester longtemps dans l’ombre. Le club possède l’un des plus beaux palmarès du football français avec 8 titres de Championnat de France et 3 Coupes de France. Le « jeu à la nantaise », vif et technique, basé sur le mouvement collectif et la rapidité, est étudié dans toutes les grandes écoles de football et son centre de formation produit régulièrement des joueurs de très bon niveau pour l’équipe première. De nombreux internationaux français en sont issus, dont Maxime Bossis, Henri Michel, Didier Deschamps, Christian Karembeu et Marcel Desailly.

« Aujourd’hui nous sommes l’équipe à battre, ce qui ajoute une pression supplémentaire, le club a une longue vie en ligue 1 et n’est pas vraiment habitué au jeu de la ligue 2. Mais tout le staff technique veille au grain, et nous sommes réellement complémentaires. Michel (Der Zakarian) s’appuie sur les valeurs de combativité, indispensable aux sportifs de haut niveau et, moi, je parie sur la technique et l’offensif. Deux écoles, qui pour le moment, fonctionnement bien ensemble ». Le club figure parmi les premières équipes de la ligue 2 et la remontée en L1 s’annonce envisageable. « Honnêtement, c’est un plaisir d’être reconnu par des grands clubs, et nous sommes quelques compatriotes a partager cela : Freddy Antonetti, José Pasqualetti, Paul Marchioni entre autres. Ce n’est pas tant une question de légitimité mais de conduite personnelle qui est récompensée ».

Aujourd’hui, c’est loin de l’île que Bati réussi son parcours professionnel, mais cela ne l’empêche pas de se sentir toujours préoccupé par le devenir des équipes insulaires. D’ailleurs, fort de son expérience, il y apporte des pistes de réflexion : « nous devons être capable de tirer profit de nos richesses, les forces sont bien présentes, il y a beaucoup de talents, mais les méthodes d’exploitation sont totalement dépassées. Nous sommes dans une nouvelle ère footballistique et l’île vit encore du bricolage alors que les enjeux sont vraiment importants et pas seulement sur le plan économique, c’est surtout sur le terrain social que tout se déroule. Le sport est un ouverture sur le monde, une ouverture vers les autres, il doit être une locomotive pour notre région ».

Même si la Corse souffre d’un problème d’infrastructures, des progrès ont été réalisés. Actuellement, deux équipes évoluent en deuxième ligue, les clubs amateurs sont bien positionnés dans leurs championnats, et de nombreux joueurs corses foulent les pelouses des terrains professionnels. Mais Bati Gentili, nous le promet « l’île est toujours en moi, il y a ma famille, mes amis, et tous les jours je pense à mon pays. D’ores et déjà je peux dire que ce que je vis avec le FC Nantes me servira pour l’avenir. Mon désir le plus fort est d’un jour en faire profiter le football corse ».



1 réactions


  • stephanemot stephanemot 29 septembre 2007 17:32

    Ravi de voir que Derzoum a « Bati pour durer », et que Gentili n’a pas quitté le FCNA avec Gravelaine et Dayan.

    Il me fait pas mal penser à Pasqualetti dans son approche à la fois très pro et très humaine.

    Par ailleurs, Ajaccio et Bastia doivent enfin avoir des stades à la dimension du foot corse. Cela ne parait pas une infrastructure prioritaire mais pour un coût relativement limité on pourrait redonner une fierté à des clubs qui le méritent, et je ne doute pas un instant que le public et les résultats suivraient rapidement. N’attendons pas la prochaine montée pour prendre les devants et investir.


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