Une finale perdue d’avance ?
Le rideau vient de se baisser sur l'édition 2014 de la Coupe Davis, qui s'est terminée par une nette victoire (3-1) de la Suisse sur la France. Si l'on se prête à une revue d'effectif sur la semaine de la finale, on constate que le résultat ne s'est pas seulement joué sur le terrain, et témoigne d'un problème bien plus profond dans l'équipe de France et dans le tennis français.
Le choix de la surface
Pour la troisième fois consécutive, l'équipe de France a perdu une finale de Coupe Davis sur ses terres et, comme les deux précédentes de 1999 et 2002, la finale s'est disputée sur terre battue. Je ne crois pas à la loi des séries, en revanche le calcul des Français sur le choix de la surface me semble, pour cette finale 2014, largement discutable.
L'un des arguments forts pour le choix de la terre battue a été la tenue du Masters la semaine précédant la finale, compétition disputée sur surface rapide, à laquelle ont participé Federer et Wawrinka, mais aucun des joueurs français. L'hypothèse était probablement que quatre jours d'adaptation seraient une période trop courte pour nos duettistes helvètes, alors que l'équipe de France disposait de plusieurs semaines pour s'acclimater à la terre battue.
En examinant de près les références des différents protagonistes sur cette surface, ce présupposé vole en éclats. Georges Deniau, qui connaît bien l'équipe suisse pour en avoir été l'entraîneur, rappelait qu'en quelques minutes seulement Federer était capable, venant d'une autre surface, de retrouver ses automatismes sur terre. Ces propos sont largement confirmés par le palmarès de Roger, auquel s'ajoute celui de Wawrinka : en 2014, pour leur premier tournoi de la saison sur terre battue, ils se sont affrontés en finale du Masters 1000 de Monte Carlo. Ce tournoi est d'ailleurs un excellent révélateur des facultés des uns et des autres à s'adapter rapidement ou non à la terre battue. Monte Carlo est le premier tournoi d'importance sur la route de Roland Garros, et beaucoup de joueurs qui y participent font leurs premiers pas de la saison sur terre battue. Federer, multiple finaliste, et Wawrinka, vainqueur en 2014 mais aussi vainqueur de... Federer en 2009, y ont un palmarès nettement supérieur aux actuels joueurs français, pour qui Monte Carlo n'est que le début d'une montée en puissance vers Roland Garros, où ils ont obtenu, si l'on regarde bien, des résultats nettement plus probants.
Ce que cette finale de Lille a révélé, c'est avant tout que les joueurs français (à l'exception de Gaël Monfils) ont besoin, pour s'acclimater à la terre battue, d'une longue période de préparation à cette surface, non seulement d'entraînements, mais aussi de matchs. En d'autres termes, la terre battue n'est pas leur surface naturelle ; et à cet instant, il est difficile de ne pas évoquer la baisse du nombre de terrains en terre battue en France, jugés trop coûteux à entretenir. La France, qui accueille chaque année le Grand Chelem sur terre battue, est également un pays où cette surface si particulière est en voie d'extinction. Ancien joueur de seconde série, je garde de la terre battue beaucoup de souvenirs de terrains catastrophiques car non entretenus, où une glissade sur une ligne peut la décoller, où les faux rebonds sont légion, et où je finissais par monter au filet systématiquement afin, justement, d'empêcher le rebond... Bien peu de clubs ont aujourd'hui les moyens de se payer un entretien digne de ce nom de terrains en terre battue. Le problème, il est là aussi.
Deuxième argument, c'est sur terre battue que le palmarès de Federer est le moins éloquent, et en particulier ces dernières années où il est apparu vieillissant à Roland Garros. C'est vrai sur le papier, mais là encore il convient d'examiner précisément les faits. Federer ne s'est certes imposé qu'une fois Porte d'Auteuil, mais il y a disputé également quatre finales (2006, 2007, 2008 et 2011), vaincu à chaque fois par le plus grand joueur de tous les temps sur cette surface, Rafael Nadal. Si l'ogre de Majorque avait été contemporain de Borg, Lendl ou Wilander, je doute que leur palmarès à Roland Garros serait aussi éloquent qu'il ne l'est... En revanche, il est vrai que Federer, au fil des années, a commencé à perdre en vitesse et en puissance, et son "vieillissement" est particulièrement visible sur la terre battue de Roland Garros, où Tsonga, notamment, l'a nettement battu en 2013. Quant à Wawrinka, c'est un joueur complet qui a obtenu de bons résultats sur toutes les surfaces, qui a atteint la finale du Masters Series de Rome en 2008, et dont 4 des 7 titres décrochés à ce jour l'ont été sur terre battue...
Pour résumer, l'hypothèse que les joueurs suisses seraient réellement gênés par la terre battue ne tient pas, et l'hypothèse que les joueurs français seraient, eux, compétitifs sur terre battue sans y avoir disputé de matchs ne tient pas non plus. Il est probable, en raison des réserves sur Federer évoquées plus haut, que malgré tout la terre battue reste un choix plausible, mais sûrement pas un choix décisif.
La dispute de Londres
Les presses suisse et française ont fait les choux gras de la discussion probablement musclée qu'ont eu Federer et Wawrinka à l'issue de leur magnifique demi-finale du Masters de Londres, moins d'une semaine avant le coup d'envoi de Lille. Ce match s'est terminé de la pire manière pour les deux : le premier, vainqueur sur le fil, en est ressorti essoré physiquement et blessé au dos, au point de ne pouvoir disputer la finale le lendemain contre Novak Djokovic ; quant au second, il subissait une défaite sans doute un peu injuste et imméritée, qui le mortifia. Enfin, les propos intempestifs de l'épouse de Roger durant le match ont contraint le maestro à une explication de texte dans les vestiaires avec son vaincu du jour, à un moment où il avait sans doute mieux à faire... à commencer par se faire soigner !
Notons au passage que nous tenons au départ l'info de McEnroe, à qui je me dis depuis longtemps qu'on devrait interdire les micros (cf. ses propos sur le double, entre autres) ; si les officiels des tournois prenaient enfin ce problème à bras le corps, je leur suggère d'étendre leur interdiction aux vestiaires, puisqu'il est incapable de garder pour lui les infos du vestiaire ; et à y être, les toilettes également devraient lui être interdites (eh oui, il s'en passe aussi des choses dans les toilettes...). Longue vie à son néant narcissique.
Il convient ici de rendre hommage aux deux champions que sont Federer et Wawrinka. Le premier a consacré sa semaine à se soigner, dans l'unique but d'être rétabli et compétitif pour la finale de Lille. Je reviendrai plus loin sur le niveau réel de chacune de ses prestations du week-end, mais force est de reconnaître que c'est avec un grand professionnalisme qu'il s'est employé, d'abord à être présent sur le court, ensuite à y faire de son mieux compte tenu de sa blessure. Quant au second, il a montré encore une fois sa force de caractère, en se relevant d'une cruelle défaite, pour revenir encore plus fort six jours après. Les deux dernières semaines qu'a vécues Stan sont un parfait résumé de sa carrière : grandissant dans l'ombre tutélaire du grand Roger, il a compensé ses complexes et l'indifférence de ses compatriotes par un travail acharné, pour devenir finalement l'un des meilleurs joueurs du monde. Immense respect à lui.
Enfin, si nous ne connaîtront jamais l'ampleur du problème qui les a opposés à Londres, il est manifeste qu'en personnes intelligentes qu'ils sont l'un et l'autre, ils ont réglé entre eux, seulement entre eux et pour de bon, leur différend. Avis aux amateurs de petites phrases par presse interposée...
Sur cet embrouillamini de Londres, une question reste en revanche en suspens : l'équipe de France a t-elle été impactée par cette histoire ? C'est à Arnaud Clément et aux siens de répondre. Mais je me souviens d'une phrase prononcée par Noah à la suite de la victoire de 1991 : "Si nous avions lu la presse dans les jours et les semaines précédant la finale, nous n'aurions pas gagné". Yannick avait raison, personne ne croyait en leurs chances à l'époque. Les journalistes n'ont pas manqué de poser ces questions annexes aux joueurs français tout au long de la semaine, annexes mais tellement insistantes qu'elles pourraient bien avoir fini par ne plus être si annexes que cela. Je veux croire que tous, sans exception, ont réellement fait fi de cette histoire ridicule, et qu'ils se sont réellement préparés mentalement à affronter, comme ils le disaient eux-mêmes, un super Federer et un super Wawrinka ; mais encore une fois, c'est à eux de répondre.
Dernière chose à ce sujet : le "chambrage" de Wawrinka à l'issue de la rencontre peut sembler injustifié par rapport aux joueurs français. Il a raison de pointer du doigt la presse française, qui s'est délectée la semaine durant des tensions supposées au sein de l'équipe suisse ; à ma connaissance, les joueurs français ne se sont pas prêtés à ce jeu. Mais il est vrai que McEnroe était absent de Lille, et les discussions de vestiaires sont restées, fort heureusement, confidentielles.
Tsonga (I) : le match contre Wawrinka
Je n'ai jamais été un grand fan du personnage, tout en admirant ce qu'il est capable de faire raquette en main. Ce type m'a semblé rencontrer des difficultés à desserrer ses chaussures. Ce week-end, le masque est tombé.
Mais commençons par parler tennis, et donc du match contre Stan. Honneur au vainqueur, le n°2 suisse a fait un match superbe, très abouti, ne flottant que l'espace de quelques minutes au deuxième set. De son côté, le Manceau, sans passer totalement à côté de son match, a livré une prestation franchement moyenne. Je retiendrai notamment la multitude de décalages coup droit dont nous a gratifié Jo, tournant avec une certaine obsession autour de son revers, pour en arriver à chaque fois à une simple remise, du gâteau pour Stan qui avait le court totalement ouvert... Cette stratégie a de quoi interroger : tout joueur qui se décale sur son côté revers est conscient qu'il ouvre le terrain à son adversaire, et que sa stratégie n'est efficace que si son coup droit est gagnant. La répétition de cette séquence traduit un cruel manque de confiance ; en son revers d'abord, qui ne m'a jamais semblé être un point faible de son jeu, mais ce vendredi il semblait décidé à en frapper le moins possible ; en son coup droit ensuite, placé beaucoup trop loin des lignes sur cette séquence pour être décisif face à Stan. Tsonga, qui nous avait gratifié en 2008 à l'Australian Open, face à Nadal, d'une prestation lunaire en la matière, est censé savoir de quoi il parle...
La blessure de Tsonga à la suite de son match ne me semble pas appeler de nombreux commentaires. Pas plus que sur Arnaud Clément, pris en flagrant délit de mensonge sur la composition du double français et sur l'identité de son n°1 le dimanche, mais qui en l'occurence se devait d'en dire le moins possible ; c'est de bonne guerre.
Tsonga (II) : la sortie contre le public
Concernant Tsonga, je m'en tiendrais volontiers à ces considérations purement tennistiques, si n'était venue se greffer la sortie contre le public de Lille qui ne l'aurait pas suffisamment supporté. Essayons d'examiner les faits.
D'abord, il faut parler un peu de la salle. La jauge de plus de 27000 spectateurs a permis à cette finale de battre le record d'affluence pour une rencontre de Coupe Davis. La FFT semblait attachée à ce record. Car pour le reste, j'ai en effet peu entendu le public tout au long de cette finale. Compte tenu de son immensité, les cris du public, bien réels, étaient largement atténués. Sauf pour les premiers rangs, occupés par les supporters suisses qui se sont largement faits entendre tout au long du week-end, et en grande partie par des officiels.
A la fin de sa carrière, le champion de double américain Robert Seguso, adversaire malheureux des Français lors de la finale de 1991, rendait un hommage oblique au public de Gerland, en expliquant qu'il n'avait jamais vu un public aussi surchauffé, sûrement pas antisportif mais poussant son équipe comme un seul homme. Pendant trois jours, la salle s'était transformée en un chaudron en ébullition, les adversaires n'étaient pas gênés, non. Ils étaient envieux. Mais quel rapport, me direz-vous ? Cette salle ne proposait que 8000 places.
D'aucuns trouvent déplacée la présence de costards-cravates aux premiers rangs. Je voudrais juste mettre un bémol en rappelant :
- que beaucoup de ces personnes ont œuvré à l'organisation de cette rencontre, d'un point de vue technique, tourisme, sécurité événementielle, communication, etc., le tout dans un délai de deux mois. A ce titre, leur réserver des places est la moindre des choses.
- que ces personnes sont des élus locaux, des industriels en vue de la région, des hauts fonctionnaires, voire même le Président de la République, bref des personnes susceptibles de faire l'objet d'un dispositif de sécurité. Les rassembler en un seul lieu, à proximité des sorties, me semble logique.
- que certaines de ces personnes, peu intéressées elles-mêmes par le tennis, choisissent de céder leur billet à leur famille, leurs amis, voire un club de tennis local... Pour en avoir bénéficié à l'époque de feu le tournoi ATP de Toulouse (et j'étais loin d'être le seul), je me dois de le rappeler et de les remercier pour ce geste.
- que les mêmes pratiques existent dans bien d'autres endroits, notamment à Roland Garros, et je n'ai jamais entendu Tsonga (ni aucun joueur) ruer dans les brancards.
Le public français de cette finale a t-il été un peu éteint lors du match Tsonga-Wawrinka ? Sans doute. Et la raison est que Jo lui a donné peu d'occasions de s'enflammer. Point. Le même public s'est beaucoup plus fait entendre lors du match de Monfils. Gaël a mis le feu au public grâce à sa prestance et à ses coups de folie. Et au passage, Gaël a aussi embrasé le public du dernier US Open, qui je crois n'était pas constitué que de Français. Jo doit s'interroger sur la qualité de son match, et sur son attitude générale. Je ne suis pas certain que le public français lui fera une longue ovation la prochaine fois. Et en tout cas ses déclarations ne l'y aideront pas.
Tsonga (III) : les larmes
Suite du psychodrame : la crise de larmes de Tsonga le samedi au moment de la présentation des équipes, juste avant le double. Nul ne conteste à Jo le droit de se sentir frustré d'être trahi par son corps en une occasion si importante. Mais s'il ne s'agissait que de cela, il lui incombait de garder cette frustration pour lui ; la rencontre n'était pas terminée, et ses coéquipiers avaient besoin de son regard bienveillant. Ses larmes, ce n'est pas seulement de la frustration, c'est un signal envoyé à ses partenaires, aux adversaires et au public. Quel est le message ?
Première hypothèse : la fierté blessée de ne plus pouvoir peser sur la rencontre. Si la France gagnait, il était à ce moment-là certain que ce serait sans lui, et même malgré lui. La victoire de Gaël la veille au soir à déjà dû être un coup dur pour lui ! La perspective d'une victoire d'une équipe de France qui se serait passée de ses services lui était insupportable. L'égocentrisme dans toute sa splendeur. Son capitaine Arnaud Clément s'est lui-même retrouvé dans cette situation en 2002, lorsqu'il s'est blessé avant la finale contre la Russie (absence qui a pesé lourdement sur le résultat final). Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu Clément chialer en public juste avant le double. Parce qu'il se devait d'envoyer le maximum d'énergie positive à ses coéquipiers.
Deuxième hypothèse : la défaite déjà certaine, puisqu'à ses yeux il était le seul à pouvoir réellement rivaliser avec Federer et Wawrinka. Autrement dit, ses coéquipiers seraient incapables de ramener deux des trois points qui restaient à jouer. Manque total de confiance en ses partenaires, esprit d'équipe totalement absent. Que le résultat final donne raison à cette hypothèse ne change rien au problème. Ici se trouve sans doute l'unique erreur d'Arnaud Clément (d'autres reproches lui sont faits, auxquels je ne m'associe pas) : il est grand temps qu'il signifie à Tsonga que la Coupe Davis est une épreuve par équipes, que ses coéquipiers ne sont pas ses faire-valoir et qu'il serait opportun que le Manceau efface ce sentiment de supériorité, qui est hors de propos en Coupe Davis.
Je ne peux, hélas, qu'accorder un crédit au moins partiel à chacune de ces deux hypothèses.
Gasquet, Federer
Richard a été exactement là où je l'attendais. Ni plus, ni moins. Ce garçon surdoué a choisi de n'être qu'un quidam du tennis professionnel, et il faut respecter son choix. Il a choisi de jouer en reculant et de ne faire confiance qu'à son bras en or pour gagner des matchs. Ce qui lui vaut, au passage, une honnête carrière.
Concernant le niveau de Federer durant cette rencontre, j'ai un point de vue dont j'assume l'originalité, ne l'ayant lu nulle part. Sans rien enlever au match sublime qu'a réussi Gaël le vendredi, il est manifeste que Roger avait le dos bloqué, ce qui ne l'empêchait pas de jouer, mais il compensait beaucoup avec son bassin la raideur de son dos, il était lent et emprunté dans ses déplacements, et il ne servait pas toujours à 100%.
Je n'ai pas douté que Federer serait aligné en double. N'ayant qu'une moitié de terrain à couvrir et n'ayant à servir qu'un jeu sur quatre, ses problèmes de dos n'allaient pas l'empêcher de tenir sa place. De fait, il a tenu sa place. Par contre, je n'imaginais pas que son dos serait suffisamment rétabli pour lui permettre d'attaquer à 100% sa rencontre du dimanche, et je continue à en douter fortement. Si j'étais Roger, c'est avec un grand sourire que j'aurais accueilli la nouvelle du remplacement de Tsonga par Gasquet le dimanche. Depuis plus de dix ans qu'il est au sommet du tennis mondial, personne, à ma connaissance, ne l'a jamais battu en lui jouant des balles au centre sans consistance. Ce fut l'option choisie par Gasquet, parce que c'est son tempérament et parce que l'idée de sauver son équipe en ramenant ce point crucial ne semble pas avoir effleuré Richard.
Le dos de Roger l'a-t-il fait souffrir le dimanche ? Je n'en sais rien. Il n'avait pas à courir, il avait juste à s'appliquer pour lâcher des coups gagnants. Le scénario était écrit pour lui.
Noah
Quelques jours après la défaite française, voila donc l'ancien joueur qui hausse le ton.
J'apprécie toujours les avis de Yannick, qui sont souvent discutables mais jamais insensés. Je le rejoins sur les jérémiades de Tsonga contre le public lillois. Je suis plus réservé sur sa capacité de transcender les joueurs de l'actuelle équipe de France, qui ont une génération d'écart avec lui et un état d'esprit général tendant bien plus à l'individualisme qu'à la notion de collectif. Je suppose que notre époque n'y est pas pour rien, ce n'est pas la faute de Yannick mais je ne crois pas qu'il pourrait changer quoi que ce soit à des comportements qui relèvent avant tout de l'éducation.
Je n'apprécie que rarement son mode de communication. Son habitude est de tenir des propos supposément définitifs, mais sûrement pas de rentrer dans un débat constructif avec les personnes concernées. Noah était absent à Lille, il était absent du stage de préparation de cette finale, mais il est en mesure de dire que cette finale était perdue avant d'être jouée ? L'oracle parle, et on ne répond pas à l'oracle.
Enfin, en y regardant de près, Noah reste un homme de coups d'éclat, mais pas un homme qui construit. Son capitanat en Coupe Davis se résume à deux courtes périodes dans les années 90, et il a lui-même arrêté car il en avait assez. Arnaud Clément doit-il céder sa place à Yannick Noah pour une ou deux saisons, le temps pour Yannick de se lasser du poste ? Guy Forget, avec ses 14 saisons de capitanat, affiche un véritable bilan, il avait sans doute ses défauts mais c'était un bâtisseur, et Arnaud Clément est sans doute également un bâtisseur. Noah, lui, est un magicien, qui continue à exercer un magistère sur le tennis français mais qui, au final, n'aura pas construit grand chose. La victoire de 1991 est étroitement liée à la proximité qu'avait le jeune retraité Noah avec ses deux joueurs Forget et Leconte ; il les connaissait bien. La victoire de 1996 est largement circonstancielle, due aux défaites prématurées des grosses équipes cette année-là et à la blessure d'Edberg en finale ; l'équipe de 1996 est loin d'être la meilleure du monde.
Plaidoyer pour le double
Il fut une époque, pas si lointaine, où il n'aurait pas suffi à deux partenaires de double d'être classés n°2 et n°4 mondiaux en simple pour remporter une rencontre de Coupe Davis. Wawrinka et Federer ont fait parler leur puissance et leur percussion, mais ils étaient loin d'avoir leurs automatismes. Ils ont gagné parce que l'équipe adverse avait le même problème, et parce que la science du double de Benneteau ne pouvait compenser les hésitations de Gasquet sur tout un match. La campagne 2014 de l'équipe de France de Coupe Davis ne doit pas faire illusion : la victoire sur Berdych et Stepanek en demi-finale s'explique largement par le non-match de Berdych et la blessure au dos de Stepanek.
Il fut une époque, pas si lointaine, où la plupart des joueurs (y compris les meilleurs) alignés en simple dans un tournoi disputaient également le double. Ils trouvaient cela plus sain que de s'échauffer deux heures avant chaque simple, et ils n'en mourraient pas. Emblématique de cette époque, Nastase, qui ne s'entraînait presque jamais, mais qui s'alignait en simple, double et double mixte... Des équipes nationales se formaient et faisaient leurs armes sur le circuit, s'alignaient en Grand Chelem et, au moment des rencontres de Coupe Davis, elles avaient leurs automatismes. Lorsque Forget et Leconte battent Flach et Seguso lors de la finale de 1991, Guy et Henri se connaissent parfaitement, ils ont trouvé depuis longtemps leurs automatismes et leurs réflexes, et ils connaissent aussi parfaitement leurs deux adversaires, eux-mêmes l'une des meilleures équipes du monde depuis plusieurs années. Le terrain leur est familier.
Il fut une époque, pas si lointaine, où le double existait dans les médias français, et où la FFT en assurait la promotion et en favorisait la pratique. Lors des rencontres interclubs, les points de double étaient cruciaux car souvent décisifs, et on voyait tout de suite qui avait travaillé le double et qui ne l'avait pas travaillé. Les règles débiles du type no-ad ou super tie-break en guide de troisième set n'existaient pas, et les doubles ne se jouaient pas à la roulette russe. Les rencontres pouvaient se terminer tard les dimanches pluvieux, mais les joueurs de tennis amateurs étaient des passionnés qui ne comptaient pas leur temps, et ça faisait de grands souvenirs pour tout le monde.
Il fut une époque, pas si lointaine, où deux joueurs de 36 ans, les frères Bryan, occupant les profondeurs du classement en simple, n'auraient jamais été n°1 mondiaux en double. Les paires McEnroe-Fleming, Edberg-Jarryd, Noah-Leconte, Apell-Björkman, Flach-Seguso ou encore Woodbridge-Woodforde les auraient battus à plate couture.
Je regrette pour les jeunes générations qu'elles n'aient pas connu cette époque. Le tennis en double est aussi intéressant que le simple, ça fait travailler la volée, et la recherche d'une complémentarité avec son partenaire est un exercice très intéressant car il oblige à une réflexion sur les situations de jeu qu'ensuite on peut utiliser aussi en simple. Et, comme le disait récemment Stépanek, le double est très utile pour retrouver ses sensations lorsqu'on les perd en simple.
Monsieur le Président de la FFT, à bon entendeur...