mercredi 23 novembre 2022 - par Yoann ô 4 vents

Thru-hiking, une autre façon de voyager

Le thru-hiking, une autre façon de voyager. Loin du tourisme de masse, c'est une invitation au dépassement de soi offrant aux thru-hikers la possibilité de voir le monde différemment. 

J'ai marché plus de 5 000 killomètres seul, depuis la France jusqu'en Géorgie et je vous partage ici mon sentiment.

Thru-hiking, une autre façon de voyager

Thru-hiking, qu’est ce que c’est ?

Le phénomène thru-hiking vient des États-Unis, il fait initialement référence au PCT (Pacific crest trail), à l'Appalachian trail et au CDT (Continental divide trail). Il désigne une activité sportive de marche à pied longue distance, réalisée sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Le thru-hiker marche généralement le sentier de bout en bout et dort dans sa tente.

 

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Thru-hiker sur le Transcaucaian trail, Svanétie.

 

Marcher, pour quoi faire ?

La marche est l’une des plus anciennes manières de parcourir le monde. En effet, de récentes études scientifiques ont rapporté que des poissons anciens se déplaçaient sur les fonds marins ou encore sur le littoral, en marchant sur leurs nageoires, alors que les premiers bipèdes hominidés auraient développé la marche terrestre il y a seulement 2 millions d'années. 

La marche est longtemps restée le principal moyen de déplacement terrestre avec la course. L’exemple du nomadisme, caractérisé par des déplacements réguliers liés à la survie de l’espèce, définit considérablement l'humanité jusqu’en 1500, où encore 60 % des Hommes étaient nomades. Durant longtemps la marche longue durée était associée au pèlerinage, aux expéditions scientifiques ou encore aux échanges marchands. 

De nos jours ;

Les thru-hikers, ou marcheurs longue distance, sont de plus en plus nombreux, et de nombreuses longues randonnées, ou plus communément désignées par trail, voient le jour chaque année. Aux États-Unis les thru-hiker les plus acharnés sont érigés au rang de célébrités et peuvent prétendre au titre de “triple crown hiking” ; pour se faire il faut être “finisher” des trois plus célèbres trail aux États-Unis : la Pacifique crest trail, l’Appalachian trail et la Continental divide trail. Ce titre est décerné depuis 1994 par l’American long distance hiking Association. Mais il y a autant de philosophie de la marche qu’il y a de marcheurs et depuis quelques années de nombreuses associations s’investissent pour ouvrir des trails en Europe. J’ai parcouru plusieurs d’entre eux tels que l’Alta via trail en Italie, la Via adriatica trail en Croatie, la Via dinarica trail dans les Balkans, le Sufi trail en Turquie ou encore le Transcaucasian trail en Georgie. Ils sont encore loin d’égaler les très célèbres PCT, AT, CDT (Pacific crest trail, Appalachian trail, Continental divide trail) avec plusieurs milliers de kilomètres, mais ils restent des expériences inoubliables dans des espaces naturels préservés.

Mais pourquoi des femmes et des hommes se lancent le défi de parcourir plusieurs milliers de kilomètres par mont et par vaux ? Pour y répondre, je vais vous parler de mon expérience personnelle. Loin de vouloir prétendre connaître les motivations de chacuns de ces marcheurs je souhaite vous livrer simplement mon approche personnelle.

 

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Imereti, Géorgie.

 

La préparation, un indispensable.

Avant le 1er août 2021 je n’avais jamais marché plus de 2 semaines consécutives, pourtant durant la première période de confinement en France, m’est venu la folle idée de partir parcourir le monde en marchant. Grand amateur de roman de voyage, j’ai toujours été fasciné par les écrivains baroudeurs, sillonnant le globe carnet en poche et cherchant à retranscrire une réalité du monde différemment. Jack London, Jack Kerouac, Bruce Chatwin ou encore aujourd’hui Sylvain Tesson et les éditions “Transboréal" d’ Émeric Fisset, ont façonné une multitude de récits qui ont nourris ma soif d’aventure. 

Alors en juin 2020 je me décide. Je me donne un an pour me préparer et je pars pour une longue marche. Parce qu'être thru-hiker cela ne s’improvise pas, il faut aborder la logistique, la préparation physique et mentale le plus sérieusement possible. Marie Couderc et Nil Hoppenot m’ont énormément inspiré. Leur périple “deux pas vers l’autre”, plus de 10 000 km de marche depuis le Portugal jusqu'à Istanbul, à galvanisé mon projet. Indirectement ils m'ont aidé pour l'aspect purement technique, et n'ont eu de cesse de nourrir mon rêve aux travers de leurs récits de voyage.

Pourquoi pratiquer le thru-hiking ?

Alors évidemment, il y a plusieurs raisons de vouloir voyager en marchant et la plus évidente c’est d’aller lentement. Une façon d’explorer en privilégiant les cinq sens. En parcourant de longues distances à pied, nous avons la possibilité de renouer avec des aptitudes sensorielles endormies ; car nous sommes sans cesse distraits par nos écrans, par le vacarme citadin et tant d’autres choses et nous perdons le temps de prendre le temps. Ainsi marcher longuement, plus particulièrement en solitaire, loin des villes et au plus proche de la vie sauvage, rétablit nos plus infimes aptitudes sensorielles. Alors nous pouvons plus aisément expérimenter la source de nos émotions. Être thru-hiker, c’est avant tout une expérience spirituelle. Je me souviens lorsque j’ai quitté l’Aveyron en août dernier, que j’ai laissé derrière moi ma famille, mes amis et tous mes cartons, et avec comme seul bagage un sac à dos de 8 kg ; j’avais l’esprit submergé de doutes. Puis au fil des premiers kilomètres parcourus, j’ai rapidement compris que mon corps cherchait à me transmettre un message : "désormais, on ne fait plus qu’un.”

Ne faire qu’un, voilà une des plus belles façons de définir ce qu’est être thru-hiker ; puisque choisir de voyager uniquement en marchant, c’est faire un pacte avec son corps tout en restant extrêmement connecté à l’environnement extérieur. 

Mon sentiment sur le terrain.

En 1 mois j’ai parcouru mes premiers 1000 km, depuis Rodez, en Aveyron, jusqu'à la frontière italienne à Menton, en ne prenant que les sentiers de grande randonnée. J’ai traversé plus de 10 parcs naturels, rencontré des centaines de personnes, goûté des dizaines de pains au levain, observé une richesse floristique et faunistique incroyable et savouré les délices que la nature offre gratuitement. L’effort physique est devenu mon quotidien, il y a des jours avec et des jours sans, mais il y a toujours un panorama superbe, une rencontre joyeuse ou bien un foisonnement de plaisirs simples pour nous faire oublier le poids du sac et le dénivelé du chemin. Le froid, la canicule, le manque d’eau, parfois à court de provision, des ampoules aux pieds, tous ces facteurs font que nous allons toujours plus puiser au fond de soi, de son vrai soi probablement. Peu importe la mentalité avec laquelle on aborde une randonnée longue distance puisque le temps finit toujours par nous synchroniser entièrement, et alors on peut goûter à l’immense joie de se sentir connecté avec le tout. Paradoxalement, après plusieurs centaines de kilomètres et plus particulièrement lorsque j'étais seul en montagne et livré à moi-même, j’ai fait l'expérience de l’oubli de soi. Le corps s'élance dans l’espace sans influencer le champ de la pensée, le souffle se répète avec précision et un état de pleine conscience est possible. L’horizon offre une déclinaison magistrale de sommets entremêlés de nuages, le vent caresse mon visage, mes pieds savent exactement où se poser ; c’est alors que je rêve éveillé.

 

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Alta via trail, Toscane

 

Plus de 1000 km sur les crêtes des Apennin jusqu'à l'Emilie-Romagne, puis le nord de la Slovénie, où j’ai rencontré mon premier ours sauvage, jusqu’aux confins balkaniques. Voyager en marchant, c’est se donner l'opportunité de voir un pays sous un angle différent. Tandis que la plupart des touristes ont pour point de chute les grandes villes, leurs monuments et la foule ; le marcheur, lui, s’offre les vastes étendues sauvages et peut contempler chaque coucher de soleil depuis le pinacle des montagnes. Pratiquer le thru-hiking est une incroyable expérience de soi, et même si les rencontres humaines sont plus rares elles n’en sont que plus magiques. C’est aussi la chance d’aiguiser ses aptitudes en pleine nature, de faire taire les ruminations du cerveau, décupler sa créativité ou encore affûter ses capacités cognitives. Il y a tant de bénéfices à tenter l’aventure des randonnées très longue distance. Par ailleurs, aujourd'hui, il est fondamental de remettre en question nos manières de consommer, le voyage en est un exemple fort et se déplacer en marchant est la manière la plus résiliente qui soit.

Je ne dis pas que partir marcher plusieurs semaines est fait pour tout le monde, néanmoins aujourd’hui je suis en Georgie, j’ai parcouru plus de 5 000 km majoritairement en marchant, et même si le retour à la réalité n’a pas été évident au début, je peux vous assurer que ce périple m’a profondément changé. Il m’a fait (re)prendre conscience que nous sommes avant tout des produits de la terre et non pas des âmes errantes en hors-sol et déconnectées de la beauté en toute chose. Malgré l'énorme engagement physique, une logistique implacable et le goût prononcé du challenge que le thru-hiking implique, je suis sûr que certains d'entre vous pensent déjà à lever l’ancre pour tenter l'expérience ; car comme le dit si bien Andrée Maillet : 

“Il faut apprendre à marcher seul dans l’existence”. 

 

 

Chemin de Stevenson, Lozère. {JPEG}

 

 

Yoann Ô 4 vents

Sources : sante-nutrition.org ; thru-hiking.com ; futura-sciences.co



6 réactions


  • velosolex velosolex 24 novembre 2022 12:08

    Bel article, un ôde à la liberté et à la joie liée à la dépense du corps, et à celle de la découverte. La photo qui conclue la fin de l’article, c’est celle de la vision qui nous ennivre, quand on marche. Celle que retranscrivit si bien Rimbaud, dans son poème sensation. https://bit.ly/3tV4SuH ’interprété par Robert Charlebois) Comme pour beaucoup de voyageurs, « L’usage du monde », de Nicolas Bouvier, les récits de jack Kerouac me poussèrent vers le voyage, d’abord en stop, en moto, en vélo, et enfin à pieds. 

    Je n’ai jamais fait de si longs périples à pied. Si longtemps. Avec une telle intensité. . Plus jeune, j’ai pratiqué beaucoup tout de même les GR naissant, dans les années 70. Un de mes plus souvenirs fut une semaine passée sur le mont athos, en Grèce, qui était bien déserté. Le monastère ortodoxe Russe, de la grande Lavra, avait encore une poignée de moines, présents depuis la révolution, qui m’acceuillirent, et me soignèrent mes ampoules...

    Le gouvernement Grec pensait y construire une autoroute...Comme dans la vallée de la Névache dans les Alpes...Hallucinant..Néanmoins, l’extension des routes et du béton a bien dénaturé des endroits, depuis cette époque. 

    Je pense à ce long trekking au Népal que je fis en 73, absolument pas préparé, improvisé sur place. Mais ces endroits n’étaient pas alors investis et « sécurisés », comme ils le sont maintenant, jusqu’à l’indécense, quand on voit l’Everest souillé par les déchets. Le tourisme de masse a été une catastrophe. Finalement j’ai eu autant de plaisir à marcher en France, où au moins la barrière de la langue et des coutumes, n’est pas réditbitoire. Il faut prévilégier maintenant la proximité, et je me contente des monts d’arrée, maintenant où je vis. La marche, mais aussi le vélo, nous font entrer avec la partie sensible du monde ! C’est un gage de santé, d’équilibre, de dépouilement et de ressourcement, dans un monde qui n’a jamais tourné si étrangement, et qui nous font réfléchir à l’être et à l’avoir, bien plus que toutes les théorisations.. C’est sans doute pour cette raison que ces activités, qui étaient jugés ringardes il y a un demi siècle intéressent tant de gens maintenant. 

    Ah, j’aillais oublié. Partez avec un journal de bord, et un carnet d’aquarelle. Même si vous ne vous croyez pas doué pour ces techniques, le hasard des routes et des rencontres, vous souffleront des idées. Le vent guidera votre main, et vous vous améliorerez à toute allure,. Ainsi vous entrevez que plusieurs voyages se superposent, comme les glacis d’aquarelles sur votre feuille. 


    • Yoann ô 4 vents Yoann ô 4 vents 24 novembre 2022 13:02

      @velosolex
      Merci d’avoir posé vos mots cela me touche. L’échappée est toujours plus belle lorsqu’elle n’est pas une fuite en avant. Marcher, pédaler, nager, planer, rêver, les moyens d’exploration sont multiples, et je pense qu’il est vital, parfois, de fuir les sentiers trop balisés. J’ai aussi parcourus plusieurs GR en France et c’est un enchantement permanent, de découvrir la beauté de ce pays. Tout comme Rimbaud l’a si bien exprimé, sentir et ressentir valent mille visions, et j’ai appris sur la route que rien ne sert de chasser l’ horizon, puisque la Nature est partout ; et elle est de toute beauté. 

      À Aurore
      George Sand

      La nature est tout ce qu’on voit,
      Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
      Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
      Tout ce que l’on sent en soi-même.

      Elle est belle pour qui la voit,
      Elle est bonne à celui qui l’aime,
      Elle est juste quand on y croit
      Et qu’on la respecte en soi-même.

      Regarde le ciel, il te voit,
      Embrasse la terre, elle t’aime.
      La vérité c’est ce qu’on croit
      En la nature c’est toi-même.

      George Sand



    • velosolex velosolex 24 novembre 2022 18:59

      @Yoann ô 4 vents

      Un nuage chargé de grèle
      M’annoncera un hiver précoce
      Il s’étirera sur un fleuve large comme la mer
      Il me faudra trouver la clé de l’autre rive
      L’hiver annoncé déchirera peut être les arbres
      Et la lumière tombera sur la neige surprise
      Puis ai je entendre alors la conversation de l’éternel
      De mon coeur apaisé j’espère trouver l’entrée

      Au carrefour imprévu, quel chemin prendrais je ?
      Quel pont ? Sur quel fleuve ?
      Il faudra m’a t’on dit, traverser bien des landes
      Et quelque haut plateau, après l’hiver
      Il faudra décrypter la moindre rumeur
      Le long des ogives, le long des linteaux
      Mais saurais je entrevoir, à la fin
      Dans la pénombre des bois
      Les ailes déployées, de cet ange musicien
      Dont on m’a tant parlé               Alem Surre Garcia


  • alinea alinea 24 novembre 2022 18:54

    Je partirai si je pars, à pied, mais avec mes chevaux et mon chien, comment faire pour franchir la vallée du Rhône ? ou bien suivre Stevenson ou encore jusqu’à la saint Glinglin la route de Saint Jacques, jusqu’au Portugal ? Il faut une carte bleue ; je n’en ai pas.

    Ce sont des défis touristiques, aller quelque part, oui, c’est cela. Ne pas hésiter à prendre un train, ou lever le pouce dans une plaine infinie de monotonie.

    J’ai envie d’aller en Turquie, j’ai envie d’aller en Russie, partout où l’on peut aller d’ici sans mer.

    Peut-être irais-je jusqu’en Margeride ? Je peux le faire sans rencontres civilisées. En attendant quatre heures par jour j’arpente les chemins, les sentiers, les raccourcis qui rallongent, les contre-jours, les vents contraires, c’est du détail qui chaque jour s’enrichit !!

    Sinon, c’est quoi ce mot ? Je ne l’aime pas !!

    J’espère qu’il est pas un new age du jogging marathonien, le trekking du sportswear...

    partons plutôt sans mot, sans publicité du plaisir que la sans-tout-ça nous apporte !

    Merci pour votre voyage énoncé


    • Yoann ô 4 vents Yoann ô 4 vents 24 novembre 2022 19:58

      @alinea Je vous comprends, je lis entre vos lignes et je retrouve l’énergie qui m’anime pour suivre les chemins de traverse, même s’il ne sont qu’à quelques foulées de mon jardin. Ce mot n’est qu’un mot. Il fait juste parler. Pourquoi ne pas baptiser un long voyage á pied une grande traversée. 

      Merci pour votre retour.

      P.S. La carte bleue n’a que peu d’usage lorsqu’ on est lové au creu des grandes forêts.


    • alinea alinea 24 novembre 2022 20:19

      @Yoann ô 4 vents
      Je sais, elle, la cébé, a sa place dans les gîtes, mais même sans elle il y a l’à peu-près artifice, qui ne m’empêchera pas de partir, mais qui empêche le rêve, le rêve de sa puissance à être, ailleurs, admis, normal...quand tout cela se résume à un chèque ;
      Il faut déjà être loin pour trouver l’authenticité d’un voyageur et de ses hôtes de hasard.
      J’ai tellement peur que tout soit frelaté dans notre monde, tout en sachant que la moindre rencontre au bout de la rue ne le sera sûrement pas..
      Vous voyez ?


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