Luc DUSSART Luc DUSSART 6 juin 2006 10:48

@ Hume

J’ai vu des contributions sur Internet relatives à la neuro-psycho-immunologie : il est probable que c’est par une approche pluridisciplinaire que l’on avancera. Mais il faut beaucoup de courage pour se lancer dans cette voie : comme ces émigrés qui ne sont reconnus ni d’un pays ni de l’autre (je pense aux Harkis), et rejetés partout. La Science aime bien les disciplines et la discipline, l’obéissance à un maître.

Jean-Pol Tassin à l’INSERM a publié récemment sur ces problèmes d’addiction, avec une couverture médiatique remarquable dans Le Monde. J’ai l’impression que vous connaissez cela mieux que moi. Ma réflexion fut la suivante : on cherche sous le lampadaire, comme l’homme qui a perdu ses clés. Mais rien ne dit que les clés ne soient pas plus loin, dans l’ombre. Ce que je veux dire par là, c’est que la science a besoin de budgets pour se financer (c’est le lampadaire) et que l’on cherche surtout là où il y a un levier industriel potentiel. D’où la focalisation sur la pharmacochimie.

J’apprenais hier une décision de l’OMS visant à réformer le système mondial de la recherche pharmaceutique. Il ne tourne plus rond, et les pays pauvres ne veulent plus financer les chercheurs des pays riches. Ils n’en ont pas les moyens de toute façon...

Je comprendrais donc votre focalisation personnelle sur des sujets où il y a potentiellement un travail rémunéré derrière : c’est humain.

Ce que je tente de montrer c’est qu’il existe des pistes bien débroussaillées maintenant permettant à opérer la bascule sur OFF par l’utilisation du seul esprit. Ce n’est pas cher à apprendre, reproductible sans coût et inusable ! Donc il n’y a pas vraiment de budget pour paver cette voie déjà tracée , parfois au prix d’une prise de risque importante en termes économiques.

En suivant Antonio Damasio (L’erreur de Descartes et autres ouvrages), on vérifie bien l’interaction du physiologique et du cognitif. Ce que je crois possible de tester avec quelques expériences simples, c’est la capacité du cerveau à considérer le craving comme un leurre, à ne plus y attacher d’importance et d’émotions négatives. J’ai mis au point un geste mental, que je nomme ‘Gommenvie’, qui permet au fumeur de s’affranchir de sa sensation de manque. L’inspiration en vient de Peter Kelder, auteur d’une petite merveille de littérature intitulée Les 5 tibétains (Vivez Soleil, 1989, ISBN 2 88058 398 5, original US © 1985, Washington, Harbor Press). C’est un remake du mantram hindhou, avec des accents de ce brave Emile Coué (dénigré en France parce que pas assez académique, son empreinte aux USA fut plus pérenne). Académiquement cela ne relève pas du corps mais de l’esprit. Et je ne sais si ma technique serait opérante dans le cas de dépendance autre que le tabagisme. Mais ce phénomène mental qui permet de reprendre le contrôle ne fait aucun doute. Mon job est de le permettre sur commande et non d’attendre qu’éventuellement il survienne de façon spontanée ou provoquée accidentellement. Quelques heures de formation y pourvoient et le problème est réglé, presque infailliblement.

Personnellement je ne suis pas favorable à la prise de contrôle de l’étude des phénomènes psychologiques par les sciences expérimentales. La médecine a ses modèles, la psychologie et le fonctionnement de l’inconscient en a d’autres. On veut à tout prix rendre rationnel ce qui ne l’est pas : erreur méthodologique. D’ailleurs l’influence de l’irrationnel prime sur le rationnel dans notre vie quotidienne. Je n’irai pas voir un médecin caractériel même si c’était un puits de science : chacun met le curseur où il lui plaît. Et ce qui plaît est de l’ordre de l’irrationnel (pensons à l’amour !). Il y a là une tentation totalitaire. La science n’a pas de valeur éthique par elle-même : voyons Tchernobyl, le sang contaminé, etc...Je ne prends pas la science comme une religion du savoir.

Je me suis dans le passé intéressé à la mise sous contrôle, au sens statistique, des proces-sus de changement humains, comme l’apprentissage par exemple. Peut-on assurer, au sens de l’assurance de la Qualité, qu’un élève va apprendre quelque chose ?

Il y a bien les modèles de l’ISO, repris par l’AFNOR. Mais le terme du processus, ce que l’élève va avoir acquis ou appris, cela dépend d’abord de ses motivations, du sens qu’il met dans l’acte d’apprendre ce que l’on lui propose. J’en suis arrivé à la conclusion que l’on peut assurer le processus ... à condition de lâcher la prise du contrôle précisément. Cela est tout à fait paradoxal.

La science expérimentale est basée sur la logique d’Aristote, et l’exclusion du tiers : une qualité est A ou n’est pas A mais ne peut être par exemple et A et non A. Mais qu’est-ce qui prouve que le fonctionnement du cerveau obéit à cette logique ? Aristote ne le disait pas : il disait seulement que c’était simple de raisonner comme cela.

Pour revenir à nos problèmes d’addiction, je suis convaincu que la logique aristotélicienne est mise en défaut. Et tant que l’on se limitera à une science qui la présuppose, on ne saurait décrire ce qui se passe. On ne voit pas le relief avec une seule longue vue : il faut une binoculaire.

Pour en revenir à votre proposition de recherche FONDAMENTALE, je propose alternativement que l’on remette en cause plutôt certains fondements mêmes de notre exploration du réel. La psychologie a fait sa mue depuis Freud (ce qui ne fut pas chez lui sans de sérieux états d’âme...), et le tableau proposé échappe aux évaluateurs de l’INSERM : c’est beaucoup trop COMPLEXE pour eux, qui veulent toujours tout maîtriser et comprendre. C’est au contraire en acceptant une part d’inconnu, de non maîtrisable impossible à reproduire expérimentalement, que l’on avancera (vous pointez notamment le problème de la différence, naturelle dans la construction du cerveau à cause de sa plasticité par ex.). En d’autres mots, les scientifiques positivistes droits dans leurs bottes ont du mal à quitter le piédestal que le XXème siècle leur a permis de bâtir : le prix à payer est lourd d’avoir à se remettre en question sur les fondements même de sa légitimité et de ses connaissances. Une révolution intellectuelle est requise : à la fois diplômé en sciences dures (chimie) et en sciences molles (formation), je sais qu’inventer une cohérence, même partielle et transitoire, n’est pas facile. On y perd quelques cheveux ! Mais comme le plongeur sous-marin, ce que l’on découvre alors est coloré et merveilleux : un monde nouveau se dévoile, au prix du risque. Michel Serres rappelait récemment dans sa chronique sur France Info que ’péril’ est à la racine du terme ’expérience’. Plongez donc ! C’est profond, vertigineux parfois. Bonne chance !


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