Luc DUSSART Luc DUSSART 7 juin 2006 08:04

Merci beaucoup pour ces références. Je me procurerai l’ouvrage de Patricia Churchland, qui date déjà de 1986 : il semble qu’elle soit au cœur des questions difficiles. Cela semble assez pointu en effet.

Je ne savais pas non plus que l’effet de l’ibogaine sur l’addiction tabagique avait été étudié. Je vais regarder cela de plus près. Cela reste une substance hautement narcotique ce me semble. Le produit tel quel a peu de potentiel chez les industriels du médicament car il s’agit d’herboristerie et la protection intellectuelle (brevet) est limitée... Il est possible qu’il reste donc un épiphénomène pour ce qui concerne l’aide à l’arrêt du tabac. Un transparent 52 de la présentation de New York le 25 février dernier est explicite sur les obstacles au recours à cette substance A suivre cependant. Merci encore.

Ceci me donne l’occasion de solliciter votre avis : les fumeurs de tabac sous la forme cigarette ne cherchent en général pas un effet particulier du produit. Le tabagisme a ceci de particulier que l’on ne sait pas vraiment avec quel projet on fume, si ce n’est de ressembler à un acteur que l’on a vu fumer à l’écran (et qui généralement est sponsorisé par l’industrie cigarettière), faire comme le grand frère, se donner un genre ou encore tout simplement s’occuper plutôt que de rester les bras ballants... C’est très différent de l’alcoolique ou du fumeur de cannabis, qui recherche une ivresse, ou du consommateur de stimulants. Le fumeur fume sans raison : c’est la raison pour laquelle il est éthiquement acceptable de l’inciter à mettre un terme à une dépendance furtive, omniprésente et cependant incompréhensible.

L’addiction se caractérise par une saillance : c’est le terme que l’on donne au comportement auquel on aura recours dès que l’on cherche à stimuler son cerveau en accroissant la sensation de plaisir. Il y a bien une saillance dans le tabagisme : quelle que soit la situation vécue, ennui, stress, besoin de concentration, désir de relaxation, qui sont respectivement contradictoires par paires, le fait de fumer apporte une sensation - fugace - de bien-être.

Mais il y a une différence notable que je ne sais pas bien analyser ni en mesurer la conséquence. La saillance du junkie ou du joueur pathologique se concrétise par une centration de tous les instants d’éveil sur du comportement alors que le tabagisme ne crée pas cette polarisation. Est-ce dû au fait que le tabac est en vente libre dans un magasin proche, à un prix réduit ? La vie du fumeur ne tourne pas autour du tabac. Ce serait plutôt l’inverse : la fumée l’entoure à longueur de journée. Tout se passe comme si les fumeurs ne savaient pas pourquoi ils fument, dans quel but. Dans ces conditions, un comportement alternatif, fut-il aidé par une substitution a moins de chance d’éliminer la dépendance.

Vous dites aussi qu’il y a avantage à associer pharmacothérapie et intervention cognitive : il a été reconnu qu’associer une thérapie comportementale et cognitive (TCC) accroissait les chances de succès d’un accompagnement du sevrage avec palliatifs nicotiniques.

Pour ce qui est de mes propres interventions psychocognitives, j’ai constaté - empiriquement - que l’usage prolongé de patchs ne rendait pas l’abstinence durable plus probable et que les patchs étaient un facteur de rechute. Sur la base de cette observation qui s’impose à tout esprit scientifique, avant les théories, je déconseille d’associer les deux protocoles palliatifs + TCC dans le cas du tabagisme d’un fumeur sans co-morbidité. La première raison est que la promesse de gain par rapport au placebo est minime (j’ai lu de l’ordre de 3% seulement en évaluation contrôlée). Une autre étude à plus long terme par Yudkin indique que l’écart n’est pas significatif. Il n’est pas correct de le cacher.

Les TCC seules sont relativement efficaces, mais je suis en peine de trouver une évaluation comparative contrôlée avec et sans le protocole pharmacologique considéré comme étant la référence (c’est à dire comparant TCC avec ou sans palliatifs, les thérapies psychologiques ne s’évalauant pas de la même faàon que les traitement allopathiques). S’il n’y a pas recours à un produit susceptible de servir d’étalon placebo, les modes d’évaluation contrôlée valables en biomédecine ne sont plus utilisables : et comme on ne sait pas évaluer on affirme que ce n’est pas évalué. On boucle, comme le serpent qui se mord la queue. Ce type de raisonnement tautologique doit être écarté.

Je préfère déconseiller l’usage de tout palliatif nicotinique pour une autre raison : ils n’aident pas la réappropriation d’une identité de Non Fumeur. Celui-ci est abstinent grâce au palliatif mais reste fumeur dans l’image de soi. Un fumeur à qui il manque quelque chose. En terme d’apprentissage d’une renaissance à la vie sans tabagisme, le palliatif est un frein. Je montrerai en détail comment dans un prochain billet. L’usage d’une aide médicamenteuse n’a pas que des avantages (cela déresponsabilise notamment) et dans le cas des palliatifs nicotiniques pour le sevrage tabagique la balance est défavorable. C’est la raison de l’intitulé de mon papier.


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