Francis, agnotologue JL1 6 janvier 2012 14:37

@ Gens_d_Ormesson, et aux autres,

je conseille à tous la lecture de ce texte fondamental qui dit cent fois mieux que moi ce que j’essaie d’expliquer ici dans mon combat contre le RU.

A ce sujet, pour les gens pressés et les peu courageux amateurs de RU, j’ai établi un petit florilège que je me permets d’éditer ici, en demandant pardon à son auteur si j’ai omis les choses les plus pertinentes et aussi, ce qui est très compliqué :

"Dans une société du temps libre, au contraire, les gains de productivité seraient affectés en priorité à la réduction du temps de travail selon le principe « travailler moins pour travailler tous » qui fonde une société égalitaire. La revendication d’un emploi pour tous est donc la seule base possible d’un socialisme démocratique fondée sur un principe d’échange généralisé entre la société et l’individu : l’apport de l’individu à la société fonde la réalité des droits dont il dispose.

Mais surtout le recyclage des revenus sociaux n’est pas acceptable. Le droit à un revenu garanti s’échangerait en effet contre la suppression de pans entiers de la Sécurité sociale (chômage, allocations familiales et retraites). Il équivaudrait à un énorme transfert au détriment des retraités et des chômeurs.

Fondamentalement, les projets de revenu universel reposent sur un flou absolu quant à cette question de bon sens : d’où vient la richesse ainsi distribuée ? Encore une fois, cette question n’est pas celle d’un économiste rabat-joie, car les rares réponses disponibles, comme on vient de le voir, débouchent sur des arrangements sociaux inacceptables.

Enfin, le grand point faible des projets de revenu universel est qu’ils visent à étendre le champ de la marchandise, puisqu’ils proposent un revenu sous forme monétaire. Le « caractère liquide de ce revenu, donc non affecté » est ainsi clairement affirmé par Yann Moulier Boutang. Ce point de vue peut être considéré comme réactionnaire puisqu’il équivaut à une véritable désocialisation. Tout progrès social passe en effet par un degré de socialisation accru : les fameux « prélèvements obligatoires » qui constituent la cible des néolibéraux recouvrent par exemple l’éducation et la santé, l’une et l’autre en principe gratuites.

Un projet progressiste viserait au contraire à rétablir et à étendre le champ de la gratuité, à élargir les droits sociaux garantis sous forme de libre mise à disposition des services correspondants. Les tenants du revenu universel proposent aux « multitudes » de faire marche arrière, avec l’instauration d’un revenu monétaire et individualisé, et cette perspective se substitue de fait à la mobilisation pour une réduction radicale du temps de travail.

La reconnaissance effective des droits sociaux passe par la mise à disposition de manière gratuite de biens communs, comme la santé, et non par la distribution de revenus qui s’y substitueraient. Dans le cas du logement, quelles sont les solutions réellement progressistes : une politique de municipalisation des sols et de construction de logements sociaux, ou l’augmentation des allocations logement ? 

Les chômeurs, les précaires, les exclus ne sont évidemment pas plus libres parce qu’ils sont moins longtemps salariés que les autres travailleurs. Marx le dit très clairement : « la condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail ». Mais celle-ci ne peut acquérir un contenu émancipateur que si le temps de travail est lui-même libéré du joug capitaliste.

Dans Les luttes de classes en France, Marx écrit aussi que «  le droit au travail est au sens bourgeois un contresens, un désir vain, pitoyable ». Cette affirmation devrait plaire aux contempteurs du «  travaillisme », mais Marx ajoute immédiatement ceci, qui change tout : « derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital, l’appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c’est-à-dire la suppression du salariat, du capital et de leurs rapports réciproques ».

Cette phrase de Marx esquisse une démarche transitoire autour de la réduction du temps de travail, qui est aujourd’hui d’une grande actualité. Le combat pour une réduction massive du temps de travail s’appuie en effet sur des exigences élémentaires, d’ailleurs certifiées par le droit bourgeois (un emploi et des conditions d’existence décentes), mais il s’oppose frontalement au capitalisme contemporain qui fonctionne plus que jamais à l’exclusion.

Aujourd’hui une répartition égalitaire des heures de travail conduirait à une durée hebdomadaire de l’ordre" de 30 heures, qui pourrait baisser encore par suppression des emplois inutiles rendus nécessaires par la non-gratuité des services publics ou par la croissance des dépenses liées à une concurrence improductive. Le niveau de vie serait amélioré principalement par l’extension des droits sociaux (droit à l’emploi, à la santé, au logement, etc.) assurée par un financement socialisé (gratuité ou quasi-gratuité). "


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