Frédéric Mahé Frédéric Mahé 26 juin 2006 11:41

Après lecture de votre excellent article, je suis au regret de dire que je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur l’ID.

- le néo-darwinisme explique des phénomènes (dans le sens de décrire) : recombinaison, mutation, duplication, etc. Ces phénomènes ou processus sont censés expliquer la variété du vivant. L’arrivée de l’Homme en haut de l’échelle de l’évolution est volontiers ajoutée dans ce grand projet. Il fait appel à ce qu’on connaît déjà, les interactions chimiques, classiquement connue en chimie organique et en biochimie (ce que vous appelez « la force bio-mécanique », je ne vois pas bien pourquoi), qui suffiraient apparemment à décrire la totalité des phénomènes observés, tout du moins, c’est le but : ne pas faire appel à d’autres causalités pour rendre compte de la totalité des événements dans ce champ de recherche.

- Mais attention : « expliquer » est un mot un peu traître, qui recouvre deux sens très différents. Tout d’abord, « donner une cause médiate ou immédiate au phénomène (a est causé par b, et avec l’aide de c) : on est dans le »comment« . Mais aussi, »expliquer« , ça peut vouloir dire également : donner un sens à un phénomène ( »pour quoi se produit-il ? Dans quel but ? Quel sens a ce phénomène ?"). C’est sur ce deuxième sens que les tenants de l’ID s’engouffrent, et c’est là qu’ils ne faut pas les suivre à mon avis, car il ne s’appliquent qu’aux actions intentionnelles (humaines, par exemple). Postuler qu’il y a une intention (une Cause avec un grand C), puis chercher à la détecter relève d’un raisonnement circulaire, et permet d’esquiver le postulat (si je cherche une Cause, c’est qu’il doit y en avoir une).

- l’argument trouvant « étonnant » que tout cela se résume à une interaction chimique est très faible, et renvoie au raisonnement circulaire ci-dessus : si je suis étonné, c’est que je crois à une autre causalité, donc je vais la chercher. C’est fructueux heuristiquement, certainement, mais tant qu’on n’arive pas à un test réfutable (expérimentation dont le réultat peut éventuellement réfuter la théorie, c’est-à-dire la mettant vraiment en jeu), ça ne donne rien de tangible. Or, pour les tests, on attend toujours l’ID.

- Le passage par les interactions atomiques est à mon avis une erreur théorique, car les phénomènes ne se passent pas à la même échelle. Les intercations fortes et faibles sont des facteurs importants pour comprendre la cohésion atomique, pas forcément pour des molécules composés de milliers (millions) d’atomes. C’est un peu comme faire du vélo : la physique newtonnienne est suffisante pour comprendre la cinétique et l’attraction (la chute de vélo), pas la peine de descendre si profond dans l’analyse et de relier ma chute de vélo aux quarks et aux gluons, ou de l’éclairer par la théorie de relativité et le paradoxe EPR : les échelles sont différentes. Et s’il y a bien une chose que l’étude de la complexité nous apprend, c’est justement à ne pas mélanger les échelles et les ordrs de grandeur.

- Il manque néanmoins un échelon dans l’analyse néo-darwinienne, entre le gène et le caractère extériorisé (phénotype). On sait que ce n’est pas une relation bi-univoque simple (un gène = une caractéristique et inversement). Il existe une écologie complexe des gènes entre eux, et une interaction permanente avec leur environnements intérieur et extérieur, et c’est loin d’être clair à formaliser, car c’est très très complexe. Certains gènes deviennent actifs, puis se rendorment, certains en inhibent d’autres (parfois, mais pas tout le temps), d’autres ne correspondent encore à rien de connu, bref, les investigations ne sont pas finies. Il est abusif de faire croire que tout est déterminé par le gène : on nous casse les pieds régulièrement avec la découverte du « gène de... » (de la maladie de Truc ou de Machin, de l’homosexualité, de l’alcoolisme, et plus récemment de la confiance, etc.), c’est de l’abus de confiance. Il est certain qu’une part de la tentation de l’ID repose dans la réaction à ces abus débiles (mais souvent bien intéressants financièrement ou politiquement). Mais ça n’est une justification théorique de l’ID.

Excusez la longueur de ma réponse, mais vous conviendrez que ce n’est pas un domaine où les réponses courtes et simples sont obligatoirement les plus pertinentes !


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