Francis BEAU Francis BEAU 18 octobre 2006 10:46

Merci pour ces quelques remarques qui m’ont vivement intéressé. Elles tranchent en effet (ainsi que quelques autres) avec la « marée » d’intolérance qui a envahi l’espace des réactions à mon article ainsi que de nombreux autres débats sur le discours de Ratisbonne. Ce serait effectivement très intéressant d’avoir une idée de la réponse faite à Paléologue II par son interlocuteur, mais sans la connaître, gageons toutefois qu’elle a été, sinon moins violente, au moins plus sensée que d’innombrables réactions suscitées par les propos du Pape.

Vous constatez que la « pratique » religieuse n’a pas été avare de violence, et vous suggérez que la « raison » n’y a pas pris grande part. Je pense comme vous et considère ce constat comme une raison de plus pour promouvoir cette dernière. Dieu merci, et contrairement à ce que pourrait laisser penser les nombreuses réactions déjà évoquées, c’est ce que nous essayons de faire, le Pape à Ratisbonne, vous (je le vois) comme moi (j’espère que vous n’en doutez pas), ainsi que beaucoup d’autres.

Foi et raison sont complémentaires : chez les croyants, la foi ne doit en aucun cas exclure la raison, pas plus que chez les non-croyants, la raison ne doit exclure la foi.

Reconnaître cela, c’est faire le premier pas fondamental vers la tolérance ; c’est le seul moyen d’ouvrir la voie à ce « dialogue fécond entre philosophes et religieux des 3 religions monothéistes » que vous semblez à juste titre regretter.

Votre première remarque, néanmoins, me « titille » là où ça dérange. Lorsque j’écris, « en philosophie la justesse du raisonnement n’est plus vérifiable par l’expérience puisqu’on a quitté le domaine de la physique pour aller au-delà (métaphysique), la vérité universelle n’existe plus en tant que réalité physique, mais la validité de la logique demeure parfaitement appréciable à condition que le langage soit précis (vocabulaire et syntaxe) », je ne confonds pas philosophie et métaphysique, mais il n’en reste pas moins, je l’avoue, que je doive me reprocher un manque de précision dans le vocabulaire. Un comble pour quelqu’un qui, comme moi, prône l’impérieuse nécessité de la précision dans le langage pour prétendre au raisonnement juste !

A vrai dire, n’étant pas philosophe de formation (dans le sens où je n’ai jamais appris la philosophie), je ne suis pas sûr de savoir bien cerner les contours de la philosophie. Pourtant, comme Kant, je pense qu’on ne peut apprendre « la philosophie » : on ne peut qu’apprendre à philosopher. La philosophie étant une activité de la pensée, j’essaye donc d’apprendre à penser. Le domaine de la philosophie (qui englobe tout) est si vaste, que je ne pense pas qu’on puisse facilement en cerner les contours. En revanche, je cerne mieux ceux de la métaphysique. Pour m’appuyer sur un vocabulaire précis et tenter ainsi de raisonner justement, j’aurais dû rester sur ce terrain plus facile.

Le mot, si on se fie à son étymologie mais également à son usage, désigne tout ce qui va au-delà de la physique, c’est-à-dire, au-delà de l’expérience, donc de la connaissance scientifique ou empirique. C’est le sens que lui donne Kant qui la récuse comme prétention dogmatique à la connaissance de l’absolu, mais la défend comme inventaire critique, systématiquement ordonné, de tout ce que nous possédons par la raison pure. Faire de la métaphysique, c’est penser plus loin qu’on ne sait et qu’on ne peut savoir ; c’est penser aussi loin qu’on peut et qu’on doit. Ce que nous appelons en français les « Méditations métaphysiques » de Descartes s’appelait en latin « Meditationes de prima philosophia » : en toute rigueur, on devrait les nommer méditations de « philosophie première ». La métaphysique est donc une partie de la philosophie, celle qui porte sur les questions les plus fondamentales (questions premières), la question de Dieu et son rapport à la raison par exemple.

J’ai donc commis indéniablement un abus de langage en employant le mot « philosophie », là où j’aurais dû utiliser celui de « métaphysique ». En toute rigueur, ma proposition est inexacte : elle ne s’applique pas à toute la philosophie, mais seulement à une partie, la « philosophie première », celle qui porte sur les questions fondamentales qui sont l’objet de la réflexion du Pape et de nos commentaires respectifs. Si faute il y a contre la précision du langage, c’est donc, j’espère que vous me le pardonnerez, une faute par omission (oubli de préciser qu’il s’agit bien de la partie de la philosophie qui nous occupe dans ce débat sur le thème de la foi et de la raison).

Cette faute par omission m’oblige néanmoins à me poser la question de la justesse du raisonnement global : faut-il remettre en cause l’exactitude de la proposition générale qui en découle ? Je ne le pense pas, car si la philosophie (pratique théorique non scientifique ayant pour objet le tout) a bien pour moyen la raison (et pour but la sagesse), il n’est pas faux d’observer que la justesse du raisonnement n’y est « plus » (comme en sciences) « vérifiable par l’expérience » et que la « vérité universelle » ne s’y rencontre « plus en tant que réalité physique », mais que « la validité de la logique y demeure parfaitement appréciable ».

Concernant l’intimité de l’acte de foi, comme vous, je ne crois pas que la foi soit un acte (une pratique) uniquement intime. Je pense néanmoins qu’étant, comme je l’ai observé, (fondamentalement) « le résultat d’une révélation », son déclenchement « ne peut appartenir qu’à la sphère privée de l’individu », « même si sa pratique (en réalité la pratique religieuse) peut difficilement se priver de la constitution d’une communauté (communauté religieuse) » et qu’il est inévitablement influencé de manière plus ou moins forte par son environnement culturel (familial et social). L’acte de foi (son fondement, non pas sa pratique) ne doit pas et ne peut pas « s’imposer de l’extérieur par la contrainte (le dogme) » : en ce sens, il demeure à mon avis une action personnelle (qui relève de l’intime), de celles qui font toute la grandeur de l’individu « pensant » et libre.


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