bluebeer bluebeer 20 juillet 2013 11:21

Bonjour Peretz1.

Ne vous y trompez pas, j’aime bien Spartacus (quoique je pense qu’il se soit trompé dans le choix de son pseudo, shérif de Nottingham eût été plus adapté). Il revient inlassablement prêcher pour sa chapelle, auprès des mécréants d’agoravox, et je trouve que ça force quand même le respect cet esprit missionnaire. Comme un des autres intervenants plus haut, je m’interroge néanmoins sur son statut réel : s’il est réellement cet entrepreneur à succès qu’il prétend être, quand et pourquoi consacre-t-il autant de temps à la réaction de ses billets et de ses commentaires sur ce site ? Il me semble qu’à sa place, j’aurais mieux à faire que perdre mon temps à convertir des socialistes... L’hypothèse alternative est que Spartacus ne rencontre pas autant de bonheur dans ses affaires qu’il l’affirme ici, et que son missionariat est d’abord destiné à le rassurer lui-même sur la solidité de son monde intérieur. Ne riez pas, ça arrive tout le temps.

Mais foin de ces spéculations. Disons que je ne puis m’empêcher de relever dans son texte et dans ses commentaires un certain nombre de procédés qui participent à mon sens de la culture dialectique des intervenants « de droite », si ce terme est pertinent.

D’abord, le fort caractère émotionnel de l’argumentaire. Le choix d’une histoire « vécue », d’un protagoniste sympathique auquel on ne peut que s’associer, confronté à l’hostilité et à l’hypocrisie de ses proches ou de ses employés. La méfiance est de mise, mais la loyauté est récompensée, systématique par l’argent dont le rôle est davantage symbolique que matériel (l’ami reçoit beaucoup d’argent, avec surprise ; les patrons font confiance au professionnalisme de Bertrand et lui permettent de s’enrichir parce qu’il le mérite). L’argent simplifie les relations, il les réifie ; plus besoin de se casser la nénette pour savoir qui pense quoi. Ceux qui entravent Bertrand sont des parasites médiocres et envieux, qui au bout du compte l’empêchent de créer de l’emploi. C’est une culpabilisation indirecte de l’adversaire. De nouveau, argumentaire émotionnel bien plus que rationnel.

Ensuite la généralisation et le contraste. Aucune nuance. La famille qui n’investit pas est « altermondialiste » - autrement dit des connards, tout se tient. Le bonhomme qui rouspète est un cégétiste fils de cégétiste - un gang mafieux, une race honnie, tout se tient. La ministre socialiste est une énarque arrogante, imbue et démagogue. Comme d’hab, tout se tient. Les journalistes sont des gauchistes. Un pléonasme, tout se tient. C’est trop beau pour être vrai, la vie imite l’art. Les patrons eux ont les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Comme ils doivent faire du profit, ils n’ont pas droit à l’erreur, donc ils prennent les bonnes décisions. CQFD. Tous les acteurs sont là avec leur costume de scène, la pièce peut commencer.

A noter que Bertrand est confronté à la crise des subprimes comme le paysan du XVIIème siècle à l’épidémie du mildiou. Fatalilté. Dérive de la folie du capitalisme financier ? Que nenni ! Aberration concomitante à l’avènement d’une oligarchie cupide ? Certainement pas. Le mildiou, la peste, le phylloxéra , les vents contraires... Passons sur ces détails. Spartacus reste rivé sur le nombril de Bertrand, il ne s’en éloigne pas. Prendre du recul est dangereux, cela détruirait l’harmonie de sa démonstration. Les banquiers qui interviennent sont neutres, ils obéissent à la loi intangible de l’argent. Ils sont là comme les parques, pour nous rappeler de l’existence de forces supérieures, au-delà du bien et du mal. Seul le profit est lumineux, le reste n’est que ténèbres.

Car le système, sa finalité, ses mécanismes et ses ressorts, ne sont jamais contestés ou contestables. Il n’y a qu’un seul dieu, le profit, et l’entreprise est son église. Le thème est complètement éludé : Bertrand entreprend, point barre. Sans lui, pas d’emploi, pas d’économie. L’argent est l’intermédiaire obligé entre l’individu et la société. Que les gens puissent réfléchir à la meilleure manière d’organiser la vie commune et le progrès est impensable. Ils peuvent se mettre ensemble pour construire des voitures, des gratte-ciel, des scanners à positons, des vaccins, des satellites, mais organiser le mode de vie de la société, non, impossible. Ici, la seule issue est entrepreneuriat individuel, régulé par l’offre et la demande, motivé par le profit personnel. TINA, tout est dit, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. Si des martiens débarquent un jour sur terre, je suis sûr que ce sera pour étendre leur propre marché intergalactique et participer de l’universalisation des formes de vie de l’univers, dans un esprit de libre entreprise et de libre compétition. Sinon, comment auraient-ils pu atteindre ce stade d’évolution supérieure ? Des super capitalistes à coup sûr.

Et donc, si on conteste cette vision, c’est qu’on est jaloux. Vous et moi sommes jaloux. Tout au fond de nous même, nous ambitionnons d’être des types de la trempe de Spartacus et de Bertrand. De pouvoir contempler fièrement, et même palper le fruit de notre labeur et de notre saine gestion du risque. De posséder cette mâle assurance qui fait que lorsque nous nous avançons dans une pièce, les cégétistes courbent instinctivement la nuque et les prunelles des femmes se dilatent mécaniquement.

Bon, je m’égare de nouveau. Je le répète, Spartacus ne m’est pas antipathique. Je le sens animé de bonnes intentions. Je pense qu’il a un bon fond. Mais vivement qu’il grandisse.


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