Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 7 février 2014 04:21

@ Soi même

Votre véhémence offre un défi intéressant.
Qu’est ce qui fait chez vous un féroce obstacle à une approche démocratique de l’éducation ?
Je crois que vous nous donnez la réponse à cette question lorsque vous affirmez ceci :

« Car vous prenez l’enfant pour un adulte et en aucun, c’est un adulte. »

C’est à partir de cette certitude que vous croyez pouvoir affirmer qu’il est illusoire de vouloir amener l’enfant à :

"respecter des engagements librement consentis sous peine de sanctions elles aussi préalablement et librement consenties."

Pardonnez l’explication qui va suivre mais je ne peux pas ne pas reconnaître ici le principal défaut de la pensée philosophique qui consiste à traiter des choses en terme de catégories élévées au rang d’absolu de sorte qu’il n’existe aucun moyen terme (cf. le principe du tiers exclu)

Selon cette pensée canonique mais néanmoins simplette, une chose est A ou non A, et rien d’autre. Ce qui peut s’illustrer par la boutade philosophique selon laquelle il existe deux sortes d’homme : ceux qui répartissent toute chose entre deux catégories et les autres... smiley

En référence à une époque lointaine, on a appelé ça, entre autres, du manichéisme.
Il faut reconnaître que c’est très utile pour penser dans l’abstrait, dans l’idéal mais dès qu’on vient aux choses concrètes, ça crée des catastrophes parfois aussi comiques que celle consistant à affirmer que l’homme est un bipède sans plumes.

Pour vous, par définition un enfant n’est pas un adulte donc c’est folie que de penser retrouver chez lui des compétences qui sont celles de l’adulte.

Sauf qu’une multitude de compétences qui sont celles de l’adulte sont aussi celles de l’enfant : respiration, digestion, langage, communication, intention, effort, réflexion, calcul, etc., l’enfant le fait très bien.

Dès lors où est la limite si ce n’est dans l’arbitraire sociétal qui consiste à poser que tel est adulte et tel ne l’est pas parce qu’il a un tel ou tel âge biologique jugé suffisant (en France c’est 18 ans, ailleurs c’est davantage ou parfois beaucoup moins (12, voire même 7 ans me semble-t-il)) ?

Le caractère arbitraire de ce découpage est, je crois, peu contestable car nous savons tous que nombre de personnes de plus de vingt ans ne sont pas adulte et nombre de jeunes, adolescents ou enfants le sont devenus prématurément en raison de trajectoires de vie difficiles et donc exigeantes.

Ceci dit, je ne fais pas partie de ceux qui veulent nier l’existence de l’enfance pour en faire des adultes de plein droit.

Non, non, non, l’enfant a droit à l’enfance, cad, entre autre chose, à l’éducation, qui le prépare à devenir l’adulte... qu’il n’est pas smiley

C’est là où la pensée catégorique coince : dans le devenir adulte.
Je vous le rappelle, le devenir n’existe pas pour qui pense seulement en terme de A ou non A.
C’est d’ailleurs pourquoi il y avait chez les Grecs cette idée folle que le mouvement n’existe pas (cf. le paradoxe de Zénon d’Elée qui était une tentative de démonstration).
Roland Magdane a joué de cela avec son sketch sur la date de péremption des boîtes de conserve.
Il se demandait ce qui se passait dans la boîte à minuit quand de consommable elle devenait périmée.

C’est pareil pour votre logique catégorique : elle est incapable d’expliquer le devenir adulte.
Rien d’essentiel ne se passe dans une personne au moment où elle a juste ses 18 ans.
Elle change instantanément de statut social : de mineure, elle se retrouve la seconde d’après majeure.
Elle a le droit de signer des contrats en son nom, elle devient responsable d’elle-même, etc.
C’est idiot mais c’est comme ça que ça fonctionne socialement parlant.

Conclusion : nous n’avons aucun besoin de préparation pour devenir adulte au sens sociétal du terme.
Il suffit pour cela de survivre jusqu’à ses 18 ans.

L’éducation par contre prépare au devenir adulte au sens psychologique du terme, et par exemple, celui dont vous parle Morpheus en référence à l’analyse transactionnelle.

Et comment se prépare-t-on à devenir autre chose que ce que l’on est ?

je vous le donne en mille...

En faisant « comme si » on était déjà ce que l’on veut devenir.
C’est cela en quoi consiste l’essentiel des jeux des enfants : le «  »faire semblant« qu’on est des grands » et, ce faisant, pratiquer le rôle, s’entraîner et donc, acquérir progressivement les compétences qui permettront un jour, au terme de l’apprentissage, de sortir du jeu pour entrer, fin prêt, dans l’âge adulte.

Autrement dit, on devient adulte en ne cessant de faire comme si on l’était déjà.

Corollaire : on devient un sujet, citoyen de plein droit, libre autant que responsable par un constant entraînement à "respecter des engagements librement consentis sous peine de sanctions elles aussi préalablement et librement consenties."

CQFD

Ce qu’il vous faut comprendre ici qui devrait vous rassurer c’est que l’enfant ne cesse pas d’être sous la tutelle de l’adulte parce qu’il se trouve engagé dans une pédagogie institutionnelle basée sur la co-construction des règles de vie.
L’adulte continue d’être le garant responsable de la sécurité de l’enfant.
Et c’est précisément cela qui permet le libre exercice de ses compétences d’acteur social éduqué au rapport démocratique plutôt qu’au rapport Ancien Régime de soumission à l’autorité.

Bon voilà, je pense n’avoir rien oublié d’essentiel.
Je compte sur vous dans l’éventualité où ça ne serait pas le cas smiley
Pour finir, je joins juste après une citation excellent d’un psychologue de qualité, Edmond Marc, qui fait le point sur la coopération enfantine et dit excellemment ce que je n’ai que laborieusement pointé.



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