Imperator Djanel III Imperator Djanel III 10 mai 2014 18:09

@ l’auteur

Vous dites vivre à l’étranger. Je ne sais pas quels sont vos contacts avec la France, à quelle fréquence vous y retournez, quelles sont vos relations dans notre pays.

Ici, sur AV, mais c’est un trait récurrent des mentalités françaises actuelles, vous n’arriverez pas à grand-chose en voulant faire comprendre qu’au bout de quarante ans… comme vous dites, il faut passer à un autre regard sur un individu. Comprenez bien une chose, ne pourrez pas “leur” faire modifier leur regard sur les immigrés, parce qu’il faudrait pour cela transgresser un de leurs tabous, qui est qu’on ne modifie jamais une grille d’analyse issue d’un passé vu comme glorieux. A l’époque, on était dans les clichés de “momo le balayeur”, “Rachid le Sonacotra”, on prenait ses aises avec eux, et il est hors de question d’en changer. Mais c’est pareil partout ailleurs, en économie, en éducation, dans tous les aspects sociaux et civilisationnels, on croit en France que l’on peut garder les lunettes d’il y a quarante ans.

Plutôt que d’abandonner leurs idées mortifères actuelles, vos contradicteurs préféreront accuser le monde extérieur de tous les maux, quand on dit extérieur, il faut comprendre tout ce qui est différent, par exemple chez Hergé, de Séraphin Lampion et de sa femme. Différence qui inclut le monde extérieur (méchants Allemands, salauds de Chinois, les bronzés, les roms, les Africains, les Américains, Israéliens et j’en passe) et les ennemis de l’intérieur (immigrés, travailleurs pauvres qui le sont trop pour être considérés comme pouvant intégrer la classe moyenne, chômeurs et allocataires sociaux divers).

Au vu de votre avatar et de votre pseudo, je trouve intéressant de vous faire repenser aux dernières paroles de Bouddha, “Khaya-vaya-dhamma sankhara (...).” Chose que vous êtes à mon avis tout à fait capable d’entendre, sans vous mettre à tout casser ni piquer une crise de rage incontrôlable. Mais allez dire ça aux deux tiers des Français pour leur faire comprendre que l’on ne peut vivre éternellement sur des cadres de pensée vieux d’un siècle... Ils vivent sur une sorte d’espace temps mythique et complètement fossilisé, qui mélange des éléments des Trente Glorieuses et d’autres de l’entre deux guerres, la nostalgie d’une France peu urbanisée et pas véritablement entrée dans la modernité. Comme toute personne de bon sens, vous leur diriez “Il y d’autres horizons possibles dans le monde que de rêver à une France qui serait immuablement celle de Gamelin et Daladier, c’est quand même pas ça pour vous le paradis terrestre ?”. Mais aussi incroyable que ça vous puisse paraitre depuis l’étranger, toute réflexion un peu sérieuse sur ce qu’est le pays profond, à part les minorités ethniques et une partie (et encore) de la société éduquée du pays, renvoie à cette conclusion. Et quand j’en parle avec des proches, c’est à peu près le même diagnostic qui me parvient. Je termine sur ce point avec un article du Spiegel qui est à mon sens un point de vue bien senti, équilibré et nuancé sur le pays. Et non seulement la France veut vivre ainsi, mais elle n’arrive pas à accepter que son choix ne soit pas partagé par tous.

Au fond je n’ai pas de réponse à vous donner. Bien descendue de son piédestal, la France pourrait se donner comme projet d’être un pays à peu près semblable au Canada, à la Suède, aux Pays-Bas, Danemark, Finlande, voire même à des états qui profitent de rentes de situation comme les EU, la Suisse, le Luxembourg, la Norvège. Des pays où l’on peut accepter de prendre la vie comme elle est, tout simplement, sans enserrer toute action potentielle dans les rets de constructions mentales pseudo-identitaires pathétiques et complètement à côté de la plaque.


La revue Esprit a fait un numéro le mois dernier qui n’est certes pas parfait, mais pose au moins ce qui me parait la bonne question, quand elle se penche sur des époques où des états se sont livrés à ce qui n’est au fond rien d’autre qu’une fatigue de vivre et une volonté d’annéantissement (1ère GM en Europe notamment). Et ça renvoie à d’autres questionnements. C’est le sentiment que le monde véritablement contemporain, celui qu’on commence à voir dans les films américains des années 30 (des costumes, des appartements qui font désormais plus proches d’aujourd’hui que des vieilles classes supérieures de la Belle Epoque), ou dans la première période allemande de Fritz Lang, que ce monde, qui n’était déjà pas accepté par la France à l’époque, ne l’est au fond pas plus aujourd’hui. Pour les vieilles classes d’âge en France (à mon avis la majorité à partir de 50 ans), c’est une lutte véritablement métaphysique et un défi symbolique, la France des casseroles en cuivre au mur et des nains de jardin d’un côté, Shangai et la Silicon Valley de l’autre, sans aucun compromis que la victoire (dans le cadre français) de l’un ou l’autre camp. Issue qui ne fait de toute façon aucun doute à terme.



Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe