Philippe VERGNES 8 décembre 2015 14:13

@ PIPO, bonjour,


Oui, je suis bien d’accord. L’aspect émotionnel est bien au cœur de cette pathologie. Ce problème est également connu sous le nom d’alexithymie, un concept qui permet de définir différemment les pervers narcissiques ou autres psychopathes tout en les soustrayant de la charge moralisante que connotent ces expressions.

Je devais en faire un article depuis quelque temps, mais l’on m’en a gentiment dissuadés. (Ce sera pour plus tard.)

« Ils envient chez les autres ces réactions émotionnelles qu’ils n’ont pas, et tentent de s’approprier vos émotions positives ou utilisent les négatives pour vous détruire si vous refusez de leur céder les premières. »

C’est très exactement cela. C’est notamment vrai pour les sentiments positifs, d’où le fait qu’ils « pourrissent » chez autrui toutes manifestations de joie, de bonne humeur, de pensée positive, etc. J’indique ici ce que j’évoquerais lors d’un prochain article : pour P.-C. Racamier, « le moteur de la perversion narcissique, comme de toute perversion, c’est l’envie ». (Au sens kleinien du terme et donc accompagné de son cortège d’avidité, de jalousie et de cupidité.)

Ne connaissant pas la vision E. TODD que vous m’aviez précédemment évoqué, je ne pouvais répondre. Vos précisions sur son exposé de la structure familiale germanique et son mode de fonctionnement « autoritariste » (à ne pas confondre avec l’autorité bien tempéré) me permettent de vous donner quelques indications supplémentaires.

P.-C. Racamier a découvert la perversion narcissique en étudiant la paranoïa qu’il classe toutes deux dans les pathologies narcissiques perverses. Autrement dit, pour P.-C. Racamier, le paranoïaque est aussi un pervers dans le sens où il fait porter à autrui le poids de ses propres failles et responsabilité.

Avant de présenter la perversion narcissique, Racamier était le psychiatre/psychanalyste qui s’était le plus intéressé à la paranoïa.

En psychanalyse, le cas emblématique de paranoïa qui a permis l’étude de cette pathologie est celui du Président Schreber, mais comme le précise Racamier, il y a eu une grande confusion au début de la découverte de la paranoïa entre la schizophrénie paranoïde (cas du Président Schreber) et la paranoïa pure. Le premier est un psychotique dont l’affection est semblable à la paranoïa sensitive de Kretschmer, le second est un pervers.

Or, le véritable paranoïaque dans la famille Schreber était le père, Moritz Schreber, qui a eu une importance considérable dans le développement des jeunesses hitlériennes. Ce dernier, médecin, a écrit un livre sur l’éducation des enfants qui relatent des méthodes éducatives qui sont proches de la torture.

Je n’ai pour l’heure pas réussi à me procurer cet ouvrage qui date du XIXe siècle - j’ai juste eu accès à quelques extraits -, mais ses méthodes se sont « démocratisées » dans toutes l’Allemagne à la fin du XIXe siècle et au début du XXe au travers de ce qui était appelé des Schreber-garten : « Le père de Schreber était un homme très connu, médecin en vue, chargé de cours à l’Université de Leipzig, auteur de nombreux ouvrages de médecine traitant en particulier de l’éducation des enfants,et directeur d’un Institut orthopédique ; Schreber Senior fut à la tête du mouvement de culture physique en Allemagne et il fut un temps où les jardins d’enfants s’appelaient des Schreber-Garten. [...] Le Dr Schreber, père du patient, était l’inventeur convaincu et obstiné d’un système d’éducation basé sur la contrainte, la soumission et le renoncement. Il écrivait des livres, qui étaient lus, et sa renommée s’étendit à toute l’Allemagne, au point que les jardins d’enfants portèrent le nom de Schreber-Garten. Il est extrêmement curieux de se pencher après Niederland sur un ouvrage, illustré, du célèbre Dr Schreber. Il avait en particulier inventé une surprenante série d’instruments orthopédiques visant à redresser les dos voûtés, les fronts penchés et les attitudes un quelque peu négligées des enfants, et le moins qu’on puisse en dire est qu’ils évoquent irrésistiblement les instruments de torture du Moyen Age. » (P.-C. Racamier et J. Chasseguet-Smirgel, 1966, « La révision du cas Schreber »)

Toutefois, concernant le fait d’accepter plus facilement la tyrannie d’un pervers narcissique, c’est le sujet que je développe pour mon prochain article et il va de soit que ce qui marchait dans la méthode éducative du père Schreber n’était pas les moyens en eux-mêmes, mais les effets qu’ils produisaient sur les enfants : c’est-à-dire la peur. Tel est la base du développement choisi pour la suite de ce billet.

Bon, il faut j’y aille et je n’ai pas encore eu le temps de répondre au message d’Hervé. Ce que j’essaierais de faire en rentrant du boulot ce soir.

Bonne journée,

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