Guy Laflèche Guy Laflèche 29 novembre 2017 01:56


Orélien Péréol, votre article sur le prétendu style « inclusif » est le quatrième et dernier que je trouve sur AgoraVox à ce sujet, après celui de Sylvain Rakotoarison, Lucchesi Jacques et Gilbert Spagnola (qui a sur la question le style le plus humoristique). C’est à votre article que je réagis, d’abord parce que vous êtes le dernier auteur sur la question, mais ensuite et surtout à cause de son titre, qui est évidemment des plus justes. Mais tous les quatre, vous écrivez la même chose et vous avez parfaitement raison. J’ajoute tout de même mon grain de sel, pour de toutes petites suggestions critiques.

D’abord, la France retarde un peu. Le même débat sur le sujet sévissait au Québec vers 1985. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ! Comme je suis linguiste de formation (et je ne dis cela ni pour me vanter, ni pour me donner d’avance raison, mais pour expliquer ce qui suit), j’ai alors étudié la question, ce qui a donné un article d’une trentaine de pages qui s’intitule justement du nom que j’ai (correctement, je crois) donné au phénomène, et c’est « le style bigenre », soit un épouvantable charabia (en dehors de l’adresse, en effet inclusive, que l’on peut mettre en tête d’une allocution très formelle et officielle, soit le célèbre « Français, Française » du général). L’article est paru dans mon ouvrage intitulé Polémiques (Laval, Singulier, 1992, p. 277-307), que l’on peut consulter en bonne partie gratuitement sur Recherche de Livres de Google.

Après le nom correct, je crois, du style aberrant en question, mon analyse présente de manière un peu plus précise qu’on ne le fait habituellement la morphologie des genres dans nos langues indo-européenne (les langues des Indiens d’Amériques articulent aussi le genre, mais il s’agit non pas du féminin, mais de l’animé). Le système n’oppose pas, comme on le croit et comme on l’enseigne, le « masculin » et le « féminin ». Ce n’est pas vrai. Il existe un seul et unique genre dans nos langues indo-européennes et c’est... le féminin. Mais il s’agit d’un système binaire que la morphologie utilise de trois façons : (1) la morphologie marque le féminin ; (2) si le genre n’est pas marqué, alors c’est, comme son nom l’indique, le genre non marqué (que l’on peut bien désigner comme le « neutre ») ; (3) et c’est ce genre non marqué que la morphologie du français utilise pour désigner ce que l’école appelle le « masculin ». La langue française, comme l’ensemble des langues indo-européennes, marque le féminin, et le féminin seulement, parce qu’il est considéré comme plus précieux, plus noble, plus remarquable. Les Innus ou les Montagnais, eux, c’est le genre animé qu’is marquent. Mais le système est le même.

Bref, si l’on parle d’une, deux, trois chattes, on précise le genre ; si l’on parle d’un groupe de chats et de chattes ou de la catégorie, on ne marque pas le genre (« si le chat avait six pattes, ce serait un insecte ») ; enfin, si l’on désigne un chat, c’est que ce n’est pas une chatte, puisqu’on ne marque pas son genre. C’est un système morphologique vraiment économique, très efficace. C’est par ignorance qu’on imagine qu’il peut y avoir là du sexisme, alors que c’est évidemment le contraire qui est vrai, puisque le français privilégie absolument le féminin, c’est le seul genre qui est marqué, le « genre marqué ».

En revanche, et c’est encore une règle importante, dès que l’on désigne UNE personne ou UN groupe de personnes du genre féminin, la langue française impose absolument qu’on le désigne morphologiquement au féminin. On ne dit pas, dans la logique du français, une « femme médecin », mais... une médecine. Oui, je sais, on sera mort de rire. Pourtant, c’est pour des raisons strictement historiques et sociologiques que l’on ne peut employer le mot que la langue française impose de par sa logique. Vous connaissez peut-être l’anecdote de celui qui attend de voir un médecin (correct) et qu’on lui dit, « mais il vient de sortir, vous ne l’avez pas vu ? ». Réponse : mais non, je n’ai vu qu’une femme passer ! En français, on devrait dire, « mais la médecine, elle vient de sortir, vous ne l’avez pas vue ? ». C’est pas demain la veille qu’on parlera ainsi français. Surtout en France ! si vous me permettez la pointe.


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