Gollum Gollum 20 mars 2018 16:16

@tous


Quelques aphorismes de Nietzsche tirés d’Aurore.. Je ne m’en lasse jamais. smiley

440.
Ne point abdiquer ! — Renoncer au monde sans le connaître, comme une nonne, — c’est aboutir à une solitude stérile, peut-être mélancolique. Cela n’a rien de commun avec la solitude de la vie contemplative chez le penseur : lorsqu’il choisit cette solitude il ne veut nullement renoncer ; ce serait tout au contraire pour lui du renoncement, de la mélancolie, la destruction de soi-même, de devoir persister dans la vie pratique : il renonce à celle-ci, puisqu’il la connaît, puisqu’il se connaît. C’est ainsi qu’il fait un bond dans son eau, c’est ainsi qu’il gagne sa sérénité.

441.
Pourquoi le prochain devient pour nous de plus en plus lointain. — Plus nous songeons à tout ce qui était, à tout ce qui sera, plus nous apparaît atténué ce qui fortuitement se trouve dans le présent. Si nous vivons avec les morts et si nous mourons de leur agonie, que sont encore pour nous les « prochains » ? Nous devenons plus solitaires, — et cela parce que le flot de l’humanité tout entière bruit autour de nous. L’ardeur qui est en nous, l’ardeur qui embrase tout ce qui est humain, augmente sans cesse — c’est pourquoi nous regardons tout ce qui nous entoure comme si c’était devenu plus indifférent, plus semblable à un fantôme. — Mais la froideur de notre regard offense !

491.
À cause de cela la solitude ! — A : Tu veux donc retourner dans ton désert ? — B : Je ne suis pas leste, il faut que je m’attende moi-même, — il se fait chaque fois tard jusqu’à ce que l’eau du puits de mon moi monte jusqu’au jour, et souvent il faut que je souffre de la faim plus longtemps que je n’en ai la patience. C’est pourquoi je vais dans la solitude, pour ne pas boire dans les citernes qui sont là pour tout le monde. Au milieu du grand nombre je vis comme le grand nombre et je ne pense pas comme je pense ; au bout d’un certain temps j’éprouve toujours le sentiment que l’on veut m’exiler de moi-même et me dérober l’âme — et je me mets à en vouloir à tout le monde et à craindre tout le monde. J’ai alors besoin du désert pour redevenir bon.

566.
Vivre à bon compte. — La façon de vivre la meilleure marché et la plus insouciante est celle du penseur : car, pour dire tout de suite ce qui importe, c’est lui qui a le plus besoin des choses que les autres méprisent et abandonnent. — Il se réjouit du reste facilement et ne connaît pas les coûteux accès au plaisir ; son travail n’est pas dur, mais, en quelque sorte, méridional ; ses jours et ses nuits ne sont pas gâtés par le remords ; il se meut, mange, boit et dort selon la mesure qui convient à son esprit, pour que celui-ci devienne de plus en plus tranquille, fort et clair : il se réjouit de son corps et n’a pas de raison pour le craindre ; il n’a pas besoin de société, si ce n’est de temps en temps, pour embrasser ensuite sa solitude avec d’autant plus de tendresse ; les morts le dédommagent des vivants et il trouve même à remplacer ses amis, en évoquant parmi les morts les meilleurs qui aient jamais vécu. — Que l’on se demande une fois si ce ne sont pas les désirs et les habitudes contraires qui rendent la vie des hommes coûteuse, et par conséquent pénible et souvent insupportable. — Dans un autre sens pourtant la vie du penseur est la plus coûteuse, — rien n’est trop bon pour lui ; et être privé de ce qu’il y a de meilleur, ce serait pour le penseur une privation insupportable.


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