Disjecta Disjecta 29 octobre 2018 13:01

@Marion Sigaut
Ma réponse, également sur le fil de votre article :

Chère Marion Sigaut,

Vos zélotes m’accusent bien vite de me défiler. On va voir s’ils sont aussi ouverts à l’argumentation qu’ils le prétendent dans ce fil et s’ils sont capables de lire jusqu’au bout les arguments de leurs contradicteurs (et de les comprendre !). Nous passerons évidemment sur l’accusation d’ « ignorance » à mon sujet : ça ne mange pas de pain après tout, mais cela ne doit pas permettre d’ignorer à bon compte les arguments de son contradicteur. « Personne n’a rien à gagner à l’ignorance » en effet. Le problème évidemment est que cela risque de tourner à l’affrontement source contre source. Mais je vais tâcher de répondre à au moins deux points de votre argumentation, qui vous permettront peut-être de constater qu’il ne s’agit probablement pas dans cette histoire d’ignorance d’un ou de l’autre camp, mais de parti-pris et d’idéologies politiques.

Pour ce qui concerne la « trahison » du roi : évidemment, c’est une affaire de point de vue. En fuyant à Varennes et en tentant de rejoindre les armées coalisées des monarchies européennes, le roi Louis XVI ne trahit pas son camp et plutôt souligne-t-il par là combien les monarchies européennes, malgré leurs guerres picrocholines, constituaient un bloc d’intérêts convergents. Son but est bien d’organiser la contre-révolution et assurément, puisque celle-ci tend à remettre en cause son pouvoir, il est quelque part à sa place. Du point de vue monarchiste (et donc du vôtre), le roi est dans son rôle. Souffrez cependant de considérer que, du point de vue adverse (et notamment celui de Robespierre qui est celui que je défendrai pour l’essentiel dans ces lignes), le roi est un traître vis-à-vis d’une patrie (au sens de Robespierre) qui est en passe de se doter d’une organisation politique nouvelle et qui ne considère pas que c’est aux cours européennes de lui imposer leur diktat.

A ce sujet, il est bien surprenant (ou pas ?) de constater que le site Égalité et Réconciliation se fait régulièrement le pourfendeur d’une Europe qui prive les peuples de leur souveraineté mais défend la coalition des armées monarchistes qui visait à empêcher la France de se donner un autre mode de gouvernement.

C’est votre choix de défendre l’idée d’un monarque de droit divin, voire comme certains de vos lecteurs l’idée que la France a reçu de Dieu la mission de défendre le culte catholique sur terre (sorte de « peuple élu » qui rappelle pour le coup un autre « peuple élu » et montre bien à quel point les religions et les religieux ne sont jamais très originaux...). Et donc de considérer que le roi Louis XVI n’était pas un traître. Comprenez cependant que, dans le camp adverse, et notamment du côté de Robespierre, le roi – qui n’était plus considéré comme une solution politique viable – ne pouvait être vu que comme un traître après sa fuite à Varennes.

Votre argumentation souffre à mon avis d’une myopie qui a indéniablement ses avantages pour votre démonstration mais qui risque cependant de vous pousser à la caricature. Si Clemenceau a pu affirmer que la révolution française est un « bloc » dont il ne faut rien distraire (discours du 29 janvier 1891), il le fait dans le cadre de la Troisième République, née sur les cendres de la Commune, et en tâchant ainsi d’associer deux pans distincts de la révolution : les girondins et les jacobins. Association tactique destinée à unir le camp républicain face aux monarchistes (encore très puissants). Je pense au contraire, et bien d’autres avec moi bien sûr, que la révolution française ne peut être considérée d’un seul tenant. Vous l’accusez d’être bourgeoise, vous l’accusez d’avoir favorisé l’essor du capitalisme et, par là, l’exploitation du prolétariat, et vous avez à bien des égards raison. Mais c’est là une thèse qui est également défendue dans ce qu’on pourrait appeler le « camp robespierriste ». La révolution française passe par une multitude d’étapes et a de multiples facettes : vous ne pouvez par exemple ignorer la fusillade du Champ-Mars, le 17 juillet 1791, qui fait des dizaines de victimes dans le camp de ceux qui veulent la déchéance du roi : où classer alors ceux qui ont commandé cette fusillade (La Fayette et Bailly, pour l’essentiel), sont-ils du côté de la révolution ou de la contre-révolution ? S’agit-il de terreur révolutionnaire ou de terreur blanche ?

Et à qui attribuer la terreur en Vendée : à la révolution ou à la contre-révolution ? Les thermidoriens (Tallien, Carrier, Fouché) qui assassinèrent Robespierre et ses partisans ne sont-ils pas ceux-là mêmes qui commirent les pires atrocités dans les provinces françaises, soi-disant au nom de la révolution française, révulsant Robespierre (qui y voyait notamment un moyen pour la bourgeoisie de discréditer la révolution aux yeux du peuple) et l’inclinant à les dénoncer à l’assemblée avant cependant que ses ennemis le privent de parole et l’éliminent ?

Vous gagnerez en vérité en crédibilité si vous acceptiez de réajuster votre lunette d’historienne et de ne pas tomber dans ce piège de la bourgeoisie de faire de la révolution un événement n’allant que dans un sens et au profit d’un seul camp. Vous remarquerez par ailleurs, puisque vous parlez de « propagande républicaine », que la propagande en question a pris un sacré tournant depuis plusieurs décennies et qu’elle n’a plus du tout l’ambition de concilier girondins et jacobins, mais bien d’exclure les montagnards du tableau, entre autres en marquant du sceau de l’infamie Robespierre.

Je ne saurais trop vous conseiller, ainsi qu’à vos lecteurs, de ne pas adhérer au récit thermidorien de la révolution, qui est bien celui aujourd’hui défendu dans nos écoles, et de comprendre combien la révolution telle que la concevait Robespierre était bien différente de celle qui permit (et là nous sommes d’accord) de transférer le pouvoir à la bourgeoisie.

Les références ne manquent pas à ce sujet, évidemment tout le travail d’Henri Guillemin mais également :

- La Réaction thermidorienne, d’Albert Mathiez (avec notamment un chapitre sur la Terreur blanche, que vous semblez bien commodément oublier, comme vous n’évoquez guère les massacres de Machecoul ou de Cholet)

- Robespierre, d’Hervé Leuwers

- Robespierre, la probité révoltante, de Cécile Obligi

- La Terreur, vérités et légendes, de Jean-Clément Martin

Et à tout seigneur, tout honneur :

- Pour le bonheur et pour la liberté, recueil de discours de Robespierre publié chez la Fabrique.

Pour conclure, il ne fait aucun doute que nos positions politiques et idéologiques sont parfaitement antagonistes. Et, à l’attention plus large du site Égalité et Réconciliation, il serait peut-être temps pour celui-ci d’accorder ses violons : il est impossible de défendre à la fois Franco, Pinochet, Mussolini voire Bolsonaro (tout juste élu au Brésil) et Chavez, Maduro ou Castro ; comme il est impossible de défendre à la fois le roi et Robespierre (oui, chose curieuse, on trouve cela sur le site).

Libre à vous de penser que le bonheur du peuple passera par le roi et la religion : tout indique le contraire, notamment pour ce qu’on a vu dans l’histoire récente avec Franco et le roi Juan Carlos, mais l’espoir fait vivre après tout.

Bien à vous,

Disjecta


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