Axel_Borg Axel_Borg 27 septembre 2019 14:00

Guère intéressé par les sports à l’exception notable du sumo, Jacques Chirac a cependant entretenu un rapport priviligié avec le Tour de France

Jacques Chirac ne s’intéressait pas plus au cyclisme qu’il ne s’y connaissait en football. Il préférait le sumo, c’est comme ça. Mais si le sport était pour l’ancien président de la République, disparu le 26 septembre, une langue étrangère mal maîtrisée, il aimait ceux qui la parlaient : les sportifs. Sur Twitter, le Tour de France a d’ailleurs salué jeudi « la mémoire d’un de ses plus grands amis ».

Il faut dire qu’avec sa fonction de maire de Paris, Jacques Chirac (né en 1932, Tour gagné par le titi parisien André Leducq) n’a presque jamais raté l’arrivée sur les Champs-Elysées, avec le redoutable honneur de remettre le maillot jaune au vainqueur. Mais pas la première année de son « règne » parisien, en 1977. D’où une histoire abracadabrantesque, comme il aurait pu le dire. Le maire de Paris est absent et envoie à sa place un de ses adjoints, l’ancien Premier ministre Maurice Couve de Murville.

Mais entre la présidence de la République et Chirac, c’est la guerre. Valéry Giscard d’Estaing, qui avait fait le déplacement en 1975 pour la première arrivée sur les Champs et la victoire de Bernard Thévenet, demande au ministre des Sports, Jean-Pierre Soisson, de le représenter. Casse-tête diplomatique pour les organisateurs : qui va remettre le maillot jaune ? Couve ou Soisson ? La mairie de Paris ou le pouvoir exécutif qu’entend bien défier Jacques Chirac depuis sa citadelle ? Le directeur du Tour, Xavier Louy, a une idée : à l’adjoint au maire le maillot jaune, à charge pour le ministre de remettre un cadeau au nom du président. Ainsi est née la tradition du vase de Sèvres remis chaque année au vainqueur du Tour. Il paraît même qu’on l’a appelé « le vase de Soisson (s) », mais il n’est pas sûr que les jeunes générations aient appris ce haut-fait historique à l’école…

En grand cumulard comme l’époque les aimait, et de surcroit époux d’une conseillère générale, Jacques Chirac accueillit aussi le Tour en Corrèze. Premier ministre en 1987, il donne d’abord le départ du Tour à Berlin avec son homologue allemand, deux ans avant la chute du mur, et est ensuite présent à l’arrivée de l’étape de Chaumeil (gagnée par Martial Gayant). Il écrit simplement sur le livre d’or : « Génial ! (dirait ma fille) ».

En 1998, Bernadette Chirac a bataillé ferme pour obtenir une étape « chez elle », en l’occurrence un contre-la-montre de 58 kilomètres (c’était le bon temps !) entre Meyrignac-l’Eglise et Corrèze. La France sort de la victoire en Coupe du monde de football. Jacques Chirac a revêtu le maillot tricolore et embrassé le crâne de Fabien Barthez. Va-t-il aussi enfiler un maillot jaune ? Non, mais il est aux premières loges : la veille de l’étape, le patron du Tour Jean-Marie Leblanc et son illustre prédécesseur Jacques Goddet sont les invités du couple Chirac au château de Bity. Leblanc constate que le président est « très costaud » sur la bière. Il faut bien se consoler : en exclusivité, il vient d’annoncer que Richard Virenque et son équipe seraient exclus du Tour le lendemain. L’affaire Festina a jeté son ombre sur le Tour. Jan Ullrich gagne l’étape et remet à Jacques Chirac un maillot jaune dédicacé. Mais tout le monde a la tête ailleurs.

Le soir, soulagé que la journée commencée par une rencontre avec Hafez-al-Assad s’achève enfin, Jacques Chirac regagne le château de Bity après avoir déclaré : « Je suis reconnaissant au Tour d’avoir pris en compte le désir de ma femme au cœur de ce pays. » Les journalistes des agences de presse sont encore avec lui et racontent qu’on apporte alors au chef de l’Etat un petit billet confidentiel : le corps du navigateur Eric Tabarly, disparu en mer en juin, vient d’être retrouvé. La journée du président n’était donc pas terminée.

Pour les cent ans du Tour de France, en 2003, Jacques Chirac confie enfin aux organisateurs un texte montrant qu’il n’a pas oublié 1998 et qu’il sait utiliser la construction européenne quand ça l’arrange : « Le Tour est bien plus qu’un événement sportif, écrit-il. Il a pris dans l’imaginaire collectif la place d’un mythe. Il raconte, à sa façon, l’histoire des passions françaises. A travers un siècle d’évolutions sociales, il a su s’adapter, accompagner des phénomènes aussi différents que l’essor de la pratique sportive et des loisirs ou symboliser, à sa manière, la construction européenne, qui le conduit régulièrement à d’amicales incursions sur les routes de nos voisins. Il doit poursuivre cette évolution pour tirer le meilleur parti d’un sport de plus en plus professionnel tout en le préservant de ses dérives, car il en va de sa pérennité et de sa crédibilité. C’est ce mouvement permanent qui fait du Tour une institution et lui assure une ferveur populaire qui ne s’est jamais démentie ».

Cette ferveur ne pouvait laisser indifférent, bien au-delà de l’homme politique chasseur de voix, l’amoureux de la France qu’était Jacques Chirac. Les campagnes présidentielles ne constituent-elles pas, une fois tous les cinq ans, un autre Tour de France ?


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