Emmanuel Cattier 14 juillet 2019 00:50

@Bertrand Loubard

Vos considérations périphériques n’arriveront pas à noyer le poisson. Elles évitent de répondre à l’essentiel de mon message : Pourquoi des Français ont-ils reçu l’ordre de notre état-major d’informatiser le fichier central rwandais et notamment le fichier « PRAS » des Personnes à Rechercher et A Surveiller, dans un contexte pré-génocidaire où les Tutsi étaient clairement ciblés ? 

Ce fichage des Tutsi est un élément caractéristique d’une stratégie génocidaire à laquelle les autorités françaises ont clairement, mais secrètement, apporté leur concours technique entre 1990 et 1994 et alors qu’elles connaissaient l’intention de génocide des autorités rwandaises ouvertement exprimées dès 1990, selon le rapport et les auditions de la mission d’information parlementaire française, dont le président a soigneusement évité de faire une présentation honnête à la presse en décembre 1998 et dont j’ai rappelé des éléments fondamentaux dans mon premier message.

Tant qu’on évitera cette question essentielle, liée à la définition même du génocide par les instances internationales, je n’irai pas plus loin dans le débat. C’est le nœud du problème de ce qu’il faut bien appeler la complicité des autorités françaises dans le génocide des Tutsi et le mensonge, négationniste de cette complicité, qui l’accompagne. C’est sans doute ce que le chef d’état-major français actuel appelle, avec l’espoir naïf de l’étouffer, une « vérité simple ».

Désolé pour mon exigence, mais on ne pourra pas éternellement éviter cette question en se contentant de naviguer de façon imprécise sur les événements périphériques, graves certes, mais très secondaires par rapport à la magnitude violente d’un génocide. Rien ne peut excuser le recours à un génocide, ni le soutien objectif à une intention de génocide. 

Certes on peut supposer, faiblesse de Français à l’égard de son pays sans doute, que les autorités françaises ne partageaient pas cette intention. Mais cela ne fut jamais exprimé. Peut-on rester neutre devant des forces génocidaires ? Ai-je des raisons objectives d’être si bienveillant avec mon pays ? La France n’a même pas respecté le premier des cinq accords de paix d’Arusha, alors que les autorités de l’époque ne cessent de clamer qu’elles les ont encouragés. Double langage. Mensonge.

Dans un génocide les mots sont essentiels. Ce n’est pas la violence des souffrances subies par les personnes ciblées qui font d’un massacre de masse un génocide, mais l’intention des tueurs et donc leurs mots, surtout s’ils sont suivis d’actes hélas cohérents avec ces mots.

Pas une seule fois les autorités françaises n’ont prononcé des mots pour décourager leurs alliés de commettre un génocide. Non, elles n’ont pas cessé de les soutenir, militairement, diplomatiquement et financièrement en faisant comme s’il n’y avait pas de génocide en projet, puis en cours, puis même après son accomplissement. Elles n’ont pas exprimé d’intention de génocide, mais les intentions de génocides exprimées n’ont pas enrayé sa stratégie de soutien à ceux qui les exprimaient. Le FPR n’a rien à voir avec cette stratégie française de négation de fait, à l’époque, d’un génocide. Le négationnisme est au cœur de l’entreprise génocidaire.

J’observe d’ailleurs que dès sa création le FPR militait au contraire dans ses fondamentaux pour mettre fin à l’ethnisme rwandais, dont le directeur de recherche émérite du CNRS Jean-Pierre Chrétien, spécialiste de la région des Grands lacs, démontra la dérive irrationnelle de son développement. Une fois au pouvoir les mots du FPR se sont traduits en acte et les cartes d’identité ethniques furent rapidement abolies, avant de rendre illégale cet ethnisme dans la constitution rwandais, et de lutter aujourd’hui encore contre l’idéologie de ce « nazisme tropical », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Chrétien.

Évidemment les stratèges français et les alluvions des génocidaires accusèrent le FPR d’abandonner l’ethnisme parce que cela les arrangeait politiquement. Les Français et le Hutu power avaient pourtant fait au FPR le procès d’intention de vouloir faire un génocide des Hutu.

En réalité, le FPR a combattu les génocidaires Hutu pour bloquer leur projet génocidaire effectif et clairement manifesté. Cela ne fut pas un génocide des Hutu, Non seulement cela n’a pas eu lieu, mais la majorité actuelle de la population rwandaise aurait une carte d’identité de Hutu si ces cartes n’avaient pas heureusement été abolies.

Les mots et les actes ont un sens. Il n’y a d’ailleurs scientifiquement toujours eu qu’une seule ethnie au Rwanda dans les derniers siècles. Cette ethnie parle une seule langue, le Kinyarwanda, partage les mêmes croyances ancestrales, coloniales, puis post coloniales, et toute la population fut toujours intégrée dans le même espace, sans cloisonnement géographique. C’est l’ethnie rwandaise.

J’espère faire toucher du doigt au lecteur la complexité de cette soi-disant « vérité simple ».

Si elles avaient exercé un esprit critique sur l’héritage des colonisateurs et des églises chrétiennes, notamment catholique, les autorités françaises n’auraient pas suivi l’idée simpliste et fausse des « ethnies » rwandaises. Elles auraient été plus intelligentes à temps et ne se seraient pas laissées embobiner par le Hutu power.

Une stratégie erronée ne peut pas gagner la paix. Elle ne crée que des conflits.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe