popov 4 décembre 2019 03:00

@kimonovert

Je connais très bien la différence entre la chimie et la physique nucléaire. Pour faire simple, les interactions chimiques se font à des niveaux d’énergie de l’ordre de l’eV tandis que pour les réactions on est dans le domaine du MeV. On peut donc difficilement imaginer qu’il puisse y avoir le moindre rapport entre ces deux types de réactions.

Et pourtant, il se passe des choses bizarres dans les solides. Prenez par exemple la conductivité dans un métal. Les atomes du métal mettent en commun le ou les électrons de leur dernière couche électronique : ce sont les électrons libres (ou électrons de conduction). Les autres électrons et les noyaux forment les cœurs ionique qui constituent les mailles du cristal. On pourrait penser que la résistivité est due aux collisions entre les électrons libres et les cœurs ioniques. Il n’en est rien. Une analyse par la mécanique quantique montre que les électrons libres se déplacent comme des électrons dans le vide sous l’effet d’un champ électrique, avec cette différence qu’ils se comportent comme s’ils avaient une « masse effective » qui dépend de leur vitesse et des paramètres du réseau cristallin. Les électrons de conduction ne « voient » pas les mailles du réseau cristallin. La résistivité est finalement due aux collision entre ces électrons et les phonons thermiques ou les défauts de la structure cristalline.

Revenons à la fusion nucléaire chaude. Que faut-il pour que deux deutérons fusionnent ? Il faut qu’ils entrent en collision avec une énergie cinétique suffisante pour vaincre la répulsion électrostatique (barrière ce Colomb) et s’approchent l’un de l’autre à une distance suffisamment petite pour que la force qu’on appelle interaction forte prenne le dessus sur la répulsion électrostatique. Il faut en outre qu’il y ait une densité de deutérons suffisante pour qu’ils aient des chances de se rencontrer. Au centre du soleil, ces deux conditions sont remplies. Dans un réacteur comme l’ITER, la densité est beaucoup plus faible et il faut compenser par des températures encore plus élevées que celle qu’on trouve au centre du soleil.

Dans un commentaire précédent (3 décembre 08:11), j’ai expliqué comment les muons peuvent rapprocher deux deutérons suffisamment pour qu’ils fusionnent sans qu’il aient besoin d’énergie cinétique pour vaincre la barrière de Coulomb.

Revenons maintenant à la « fusion froide » de l’expérience de Pons et 3 décembre Fleischmann. Il faut d’abord savoir que le palladium est une véritable éponge à hydrogène : les noyaux d’hydrogènes (protons ou deutérons) peuvent occuper toutes les mailles du réseau cristallin et s’y déplacer librement. Quand le palladium est saturé de deutérium, le deutérium s’y trouve à une densité légèrement supérieure à celle de son état liquide, ce qui est de loin supérieur aux densités obtenues dans l’ITER à grand renfort de champs magnétiques. Mais avec une énergie cinétique pratiquement nulle, ces deutérons ne sont pas encore assez proches l’un de l’autre pour pouvoir fusionner.

Hypothèse (un peu folle, je l’admet) : j’ai expliqué plus haut que les électrons de conduction acquièrent une masse effective qui peut être beaucoup plus élevée que celle des électrons dans le vide. Ne se pourrait-il pas que ces électrons « lourd » puissent agir un peu comme les muons et rapprocher les noyaux de deutérium prisonniers dans le réseau cristallin du palladium jusqu’à provoquer leur fusion ? La théorie de Widom et Larsen va un peu dans ce sens. Au stade actuel, cette théorie contient quelques erreurs, mais le débat est loin d’être clos.

En conclusion : je reste sceptique quant à la possibilité de fusion froide ou autre réactions nucléaires dans les solides, mais je laisse un coin de la porte ouverte. Après tout, on est loin de tout savoir sur la physique des solides et celle des réactions nucléaires. Je comprends qu’il y ait des scientifiques qui continuent à faire des recherches dans ce domaine. C’est un peu comme acheter un billet de loterie : on sait au départ qu’on n’a qu’une chance sur des dizaines de millions de gagner, mais on sait aussi qu’il y a toujours un gagnant.


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