Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 juillet 2020 10:45

La fraternité, en tant qu’extension à une communauté humaine du lien supposé entre frères et sœurs, est, comme chacun sait, inscrite dans la devise de la République française. Il est vrai qu’elle n’y figure qu’en troisième position, après la liberté et l’égalité qui apparaissent dès 1789. La fraternité n’y est ajoutée qu’un an plus tard et relève d’un devoir et non d’un droit comme les deux premiers : elle est d’ordre moral. Est-ce la raison pour laquelle, après divers avatars au cours des régimes qui ont suivi, il faudra attendre les ordonnances de 1945 pour la promouvoir institutionnellement ? Mais le terme apparaît avant la Révolution et fréquemment au cours du siècle des Lumières, même si certains (les francs-maçons par exemple) l’évitent en raison de ses connotations religieuses. On le trouve même beaucoup plus tôt dans un écrit de jeunesse d’Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, écrit vers 1546-1648, mais qui ne sera publié qu’en 1789 après avoir largement circulé dans des versions pirates et variables. Je le cite dans la version en français moderne, établie par Myriam Marrache-Gouraud : « […] s’il y a bien quelque chose de clair et d’apparent […], c’est le fait que la nature, ministre de Dieu et gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et comme il semble, selon un même moule, afin que nous nous reconnaissions tous comme compagnons ou plutôt comme frères. » (La Boétie, 1546-1548 [4][4]Je dois à Alain Molas, collègue d’une école analytique sœur,….) Puis, il lie la fraternité à la question de l’égalité, sous forme dénégative : constatant que tous n’ont pas reçu de la nature les mêmes avantages, il précise qu’« elle n’a pas pour autant eu l’intention de nous mettre en ce monde comme en un champ clos, et n’a pas envoyé ici-bas les plus forts ni les plus avisés comme des brigands armés dans une forêt pour y brutaliser les plus faibles. Au contraire, il faut plutôt croire que, faisant ainsi des parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle voulait faire place à la fraternelle affection afin qu’elle eût où s’employer, les uns ayant la possibilité de donner de l’aide, les autres ayant besoin d’en recevoir. » (Ibid.) Il la lie également à la question de la liberté : « […] il ne faut pas douter que nous soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous compagnons. Et il ne peut venir à l’esprit de personne que la nature en ait mis certains en servitude, puisqu’elle nous a tous fait membre d’une compagnie. » (Ibid.) Et, pour faire bonne mesure, elle nous a dotés du regard et de la voix : « Elle nous a tous logés en quelque façon dans la même maison, nous a tous façonnés selon le même patron afin que chacun pût se mirer et quasiment se reconnaître en l’autre […], elle nous a donné à tous ce grand présent de la voix et de la parole pour nous rapprocher et fraterniser davantage. » (Ibid.)

4Dans ce texte, clairement humaniste, que certains voient comme inaugural des sciences humaines, y rattachant Sigmund Freud aussi bien que Marcel Mauss (et, pourquoi pas, comme l’indique la citation précédente, Jacques Lacan et le stade du miroir ?), Étienne de La Boétie situe donc la fraternité, à l’inverse de la servitude qui est consentie, comme relevant de la nature. Ce qui va à l’encontre de toute la mythologie, comme le note Jacques Attali dans un livre intitulé Fraternités. 


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