Daruma 14 octobre 2020 17:26

Il y a un film qui pose bien le problème du libre arbitre, c’est « Minority report ». La question que pose le héros « Qu’allez-vous faire maintenant ? » montre que le choix qui va être fait n’est pas nécessairement le plus probable parmi les divers futurs possibles en concurrence, et qu’il n’est pas toujours la simple résultante d’une chaîne causale plus puissante que les autres. L’erreur classique des partisans du déterminisme intégral, qui est en réalité une illusion rétrospective (cf. Bergson et l’illusion rétrograde du vrai), c’est de croire que si un événement se produit (ici, un choix) c’est parce qu’il devait nécessairement se produire. Après coup, on peut toujours expliquer le choix qui a été fait, et il est vrai que, la plupart du temps, nos choix sont déterminés. Mais ils ne le sont pas toujours, surtout quand il s’agit de prendre une décision très importante. Je pense qu’il y a autre chose que le simple déterminisme, une dimension de la conscience qui transcende le temps, une sorte de « Ô déterminisme, suspends ton vol ! ».

Comme l’a bien montré Spinoza, le libre-arbitre tel qu’on se le représente habituellement est l’illusion de la liberté résultant de la conscience qu’a l’individu de ses inclinations et de l’ignorance des causes qui l’ont conduit à avoir de telles inclinations. Mais il n’est pas que cela.

Le libre-arbitre est la faculté, que l’on peut en théorie exercer à tout moment, de suspendre les influences extérieures et intérieures (qui ne sont que des influences extérieures intériorisées), de les mettre sur pause pour écouter la voix de sa conscience. C’est une trouée de conscience dans la poche d’inconscience qui nous entoure et nous maintient captifs. C’est l’irruption, malheureusement trop rare dans nos vies, du silence. Dans le silence peut enfin se faire entendre la petite voix de la conscience, qui nous montre ce qui est juste. La petite voix ne nous dit pas comment choisir entre une pêche et un brugnon, elle nous demande simplement : « Ce que tu vas dire ou faire respecte-t-il l’autre ? Contribue-t-il à ton bien-être en même temps qu’à celui de l’autre ? Provient-il d’un désir égoïque ou fait-il grandir en toi l’aptitude à l’empathie ? Apporte-t-il de l’harmonie ou de la disharmonie, de l’union ou de la division ?  »

La liberté est ce choix que nous faisons, consciemment ou inconsciemment : le choix de suivre la pente des inclinations et des déterminations qui nous maintiennent dans un état d’inconscience et qui font de nous les marionnettes des circonstances et des événements, ou bien le choix de la conscience du moment présent qui nous connecte à la part de nous qui est transcendante. Mais bien peu de personnes, me direz-vous, sont capables d’accéder à cet espace de silence, bien peu de personnes sont capables de suspendre leurs croyances, leurs connaissances et leurs convictions et se délester du connu. C’est vrai, et c’est pourquoi nous vivons dans l’illusion, avec seulement de rares incursions dans un espace de liberté, dans un espace où les pensées se taisent enfin et où les désirs et les pulsions ne nous mènent pas par le bout du nez. Une promenade en forêt peut interrompre le bavardage incessant du mental, une méditation, regarder un enfant jouer, caresser son chat ou son chien, écouter de la musique, s’absorber dans une activité manuelle ou artistique où l’ego s’efface. Nous pouvons choisir d’écarter ces moments d’un revers de la main et retourner à la « vie réelle », en se disant que c’étaient des instants d’égarement et de rêverie inutile. Mais nous pouvons aussi choisir d’explorer ces moments de plénitude et de paix pour grandir en conscience. Le véritable libre-arbitre ne s’exprime pas dans le choix de mettre telle chemise plutôt que telle autre, ou dans le choix de prendre du fromage ou du dessert. Le véritable libre-arbitre réside dans le choix de se libérer ou de continuer à vivre dans l’illusion.


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