Xenozoid Xenozoid 9 octobre 2021 15:51

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes confrontés à un nouveau phénomène qui va au-delà du désenchantement et de la suspicion mutuelle entre les citoyens et le pouvoir, un phénomène qui touche l’ensemble de la planète. Ce qui se passe est une transformation radicale des catégories avec lesquelles nous avons l’habitude pensé à la politique. Le nouvel ordre de la puissance mondiale est basée sur un modèle de gouvernance qui se définit comme démocratique, mais qui n’a rien de commun avec ce que ce terme signifie. Le fait que ce modèle est, du point de vue de la puissance, plus économique et plus efficace, est prouvé par le fait qu’il a été adopté même par les régimes qui étaient jusqu’à tout récemment des dictatures. Il est beaucoup plus facile de manipuler l’opinion des gens par le biais des médias et de la télévision que d’avoir à imposer de façon permanente toutes les décisions au moyen de la violence. Les formes politiques que nous connaissions - l’état-nation, la souveraineté, la participation démocratique, les partis politiques, droit international - sont arrivées à la fin de leur histoire. Ils continuent à faire partie de nos vies comme des formes vides, mais la politique contemporaine prend la forme d’une « économie », c’est à dire un gouvernement de choses et d’hommes. Alors que notre seul recours est de penser d’un seul tenant, sur la base du principe que nous avons précédemment défini par l’expression, qui est d’ailleurs aussi obscure, de la « vie politique ».

L’état d’exception dont vous avez lié à la notion de souveraineté semble prendre aujourd’hui le caractère d’une situation normale, mais les citoyens sont toujours perdant face à l’incertitude de leur vie quotidienne : est-il possible d’atténuer ce sentiment ?

Nous avons vécu pendant des décennies dans un état d’exception, qui est devenu la règle, comme dans le cas de l’économie, dont la crise est l’état normal. L’état d’exception qui devait être limité dans le temps a pris la place du modèle normal de la gouvernance aujourd’hui et cela est vrai même dans les Etats qui se disent démocratiques. Peu de gens sont conscients du fait que les règlements de sécurité introduites après le 11 Septembre (ils avaient été mis en place en Italie depuis les années de plomb ) sont pires que ceux qui étaient imposés sur les livres sous le fascisme. Et les crimes contre l’humanité commis sous le nazisme ont été rendus possible par le fait que Hitler ayant pris le pouvoir et avait alors proclamé un état d’exception qui n’avait jamais été abrogé. Hitler, cependant, n’a pas eu les mêmes possibilités de contrôle (données biométriques, caméras de surveillance, les téléphones cellulaires, cartes de crédit) qui sont à la disposition de nos Etats contemporains. On pourrait très bien dire aujourd’hui que l’Etat considère chaque citoyen comme étant un terroriste virtuel. Cela peut avoir comme conséquence de diminuer et rendre impossible la participation à la vie politique qui est censée définir la « démocratie ». Une ville dont les places et les rues sont contrôlées par des caméras de surveillance ne peut pas être un lieu public : c’est une prison.

 l’avenir sera-t-il meilleur que le présent ?

L’optimisme et le pessimisme ne sont pas des catégories utiles pour la réflexion. Comme l’écrivait Marx dans une lettre à Ruge : « c’est précisément la situation désespérée qui me remplit d’espoir ".

16 août 2012

https://www.ragusanews.com/articolo/28021/giorgio-agamben-intervista-a-peppe-sava-amo-scicli-e-guccione


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe