Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 29 novembre 2021 09:21

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Et quel est le deuxième facteur  ?

Il s’agit pour moi de l’emprise de la technique sur nos vies. Le numérique a en effet pris possession de nos existences sociales sans que l’on ne demande jamais notre avis. Il façonne nos existences, tout passe par lui et on ne peut vivre sans, qu’on le veuille ou non. Cela accroît le sentiment d’impuissance et a des conséquences de très longues portées auxquelles on ne pense pas forcément. En réalité, ce qui est emporté sous nos yeux, ce qui disparaît progressivement sous ce tsunami numérique, ce n’est pas tant la démocratie elle-même (il y a toujours des institutions qui disent le droit), mais ce sont les valeurs fondamentales sur lesquelles repose la démocratie.

Lesquelles  ?

L’une d’elles en particulier, qui est la recherche coopérative de la vérité, ou consensus. La démocratie est née sur la conscience que personne n’est détenteur de la vérité, que personne ne bénéficie d’un accès direct à la vérité  : ni le roi, ni le pape, ni aucun expert. On en a tiré comme conclusion que la meilleure chose à faire était de se rassembler pour approcher ce qui convient le mieux à chacun. Nous nous mettons d’accord sur quelque chose et nous décidons de nous y soumettre, même si nous sommes dans la minorité. Or, le tsunami numérique nous fait entrer dans la post-démocratie. Plutôt que d’être incités à la recherche coopérative de la vérité, nous devenons de plus en plus incités à exprimer l’affirmation de soi  ; à travers les réseaux sociaux, ou au sein de bulles numériques où les gens se retrouvent entre eux. Cela a des effets délétères. Ce qui importe n’est plus la vérité, mais l’affirmation de soi, et le fait de donner du sucre à son cerveau, de le satisfaire en discutant ou en s’alliant avec ceux qui pensent à l’identique. Il en résulte des sociétés clivées et polarisées où chaque groupe s’enferme dans sa bulle numérique. On tourne par-là le dos aux valeurs démocratiques. On a l’impression que la démocratie et sa recherche du consensus importent moins que l’affirmation de soi et le plaisir qui en est tiré.

En quoi le numérique engendrerait cela  ?

Contrairement à ce que certains affirment, aucun outil n’est neutre. Il est faux de croire que nous pouvons faire du numérique ce que nous voulons en faire. Chaque outil induit un rapport particulier au monde, qu’on le veuille ou non. Le numérique nous offre énormément de satisfactions immédiates. C’est par cela qu’il étend son emprise. Il nous connaît, prévoit nos réactions et cherche à nous procurer du plaisir, ce que nous attendons, et nous enferme par là dans notre bulle de plaisir.

En quoi cela expliquerait-il la défiance envers nos gouvernants  ?

Ce système numérique qui répond à tous nos désirs immédiats favorise à son tour, au jour le jour, un individu souverain. Plus que jamais, les mesures contraignantes imposées par un gouvernement qui n’a plus notre légitimité apparaissent comme des obstacles intolérables posés à notre volonté.

À vous entendre, nous confondrions la liberté (avoir les capacités de poser un choix dans le cadre du bien commun) avec le fait de pouvoir bénéficier de tous les droits.

Nous sommes élevés dans une culture qui nous vend une liberté de supermarché  : vous êtes libres parce que vous pouvez choisir, acheter ce que vous voulez… À cet individu, il est plus difficile de dire qu’il est nécessaire de restreindre ses libertés pour protéger autrui. Mais attention  : la révolte de certains opposants aux mesures sanitaires ces dernières semaines témoigne d’un malaise existentiel, lié entre autres au sentiment de dépossession. Il serait dramatique de ne pas l’entendre  ! Même s’il repose sur une conception naïve de la liberté.

 


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