Christophe 19 octobre 2022 18:10

@l’auteur

D’abord votre titre : « Vivre comme individu, survivre en tant qu’espèce... » est un très vieux thème abordé par les philosophes de l’antiquité, sujet qui se résume : bien que l’individu soit mortel, il n’en resterait pas moins que l’espèce humaine pourrait devenir immortelle, thème relevé par John Stuart Mill dans Principles of Political Economy (1920).

Lorsque vous abordez la science et la technique, cela m’a renvoyé à mes lectures de l’école philosophique allemande, principalement l’école de Francfort. Les écrits philosophique de Max Weber et sa « désillusion du rationalisme » à Jürgen Habermas en passant par Karl Otto-Apel ont beaucoup étudié ce sujet de la science qui s’autosuffit.

Je garde à l’esprit les propos de Lucien Sfez : il ne serait sans doute pas venu à l’esprit d’un Grec du cinquième siècle de voir dans la cité une « société de communication ». Un citoyen grec ne doutait pas des vertus du langage et de la discussion, mais à ses yeux une idée de ce genre n’aurait pas représenté beaucoup plus qu’une tautologie sans intérêt : « On ne parlait pas de communication dans l’Athènes démocratique, car la communication était au principe même de la société. » Le contraire se produit à ce jour sous nos yeux. Après le « tout politique » qui séduisit jadis plus d’un esprit, après le « tout langage » dont on connaît également l’influence sur un plan plus spécifiquement intellectuel, l’heure est désormais celle du « tout communication »

Il faut souligner que vous abordez aussi l’aspect économique, la science et la technique étant en quelque sorte une forme de bras armé de l’économie. Le moment bascule de notre histoire reste la révolution industrielle, Dans un de mes précédents articles datant de 2007 sur l’économie thermodynamique, j’écrivais : Jusqu’au début du XIXe siècle, les sociétés ont exclusivement eu recours aux énergies renouvelables : force animale, bois, eau, vent. Un changement radical intervient avec la révolution industrielle et la mise en œuvre du mode de production capitaliste. Ce phénomène est à l’origine de nouveaux rapports entre l’homme et la nature ; à travers la maîtrise de l’énergie c’est la domination de l’homme sur la nature qui se manifeste. Ce nouveau système énergétique joue sur une raréfaction ou une prédominance des ressources fossiles.

Pour le totalitarisme au sein des sociétés libérales, il faut bien comprendre que libéral n’est pas vu au sens social mais au sens économique et que la rupture entre le social et l’économique est consommé depuis les Chicago Boys dans les années 1960. Le totalitarisme débute principalement sur une modélisation des esprits pour admettre que la science est notre seule voie de progrès et de survie, alors qu’aujourd’hui c’est elle qui porte les stigmate de notre destruction engagée.

Quand j’ai étudié l’économie thermodynamique de Georgescu-Roegen pour les besoins d’un article, faisant référence à l’évolution des sciences menant à la thermodynamique des processus irréversibles (Prigogine) et l’évolution de l’économie, il est incontestable que si les sciences ont évoluée de leur côté, l’évolution des sciences n’a pas du tout influencé la théorie économique. Georgescu-Roegen a été vilipendé par ses paires car il ne prônait plus une économie totalement libre .. des marchés.

Les sciences ne sont pas en elles-mêmes bonnes ou mauvaises, c’est surtout ce que nous en faisons qui pose problème et l’orientation que nous faisons au préalable de s’engager sur une voie ou une autre ... les intérêts économiques n’ayant aucune valeur morale.

Concernant nos régimes politique, nous sommes sans doute dans le « despotisme démocratique » cher à Tocqueville. Manuel Zafra Victor exprime bien je pense la dérive démocratique que nous avons subi et subissons encore : Le risque et la menace qui pèsent sur les démocraties ne sont pas seulement à identifier dans l’arbitraire ou les abus de pouvoir, mais surtout dans l’émergence d’un pouvoir qui, sans recours à la violence et dans le respect des libertés civiles, privera de liberté des citoyens se focalisant sur leurs intérêts particuliers. Ce despotisme ne saute pas aux yeux, et n’est pas fondé sur la peur comme le décrivait Montesquieu. Au contraire, il exerce sa domination de manière subtile : il ne réprime pas, il corrompt ; il bloque toute impulsion altruiste ou civique pour favoriser l’isolement et l’indifférence entre les individus. Il s’agit d’un pouvoir insaisissable, l’égalité de conditions rend le poids de l’opinion générale immense sur chaque individu, et ce phénomène s’explique plus par la constitution de la société que par les lois politiques. (…) Par conséquent, l’espèce de despotisme que les nations démocratiques ont à craindre se caractérise par une extraordinaire souplesse, surtout à travers l’insignifiance du détenteur formel du pouvoir ou de leur nombre, qu’il s’agisse d’un seul ou d’une assemblée ; l’aspect décisif n’est pas qui domine, mais plutôt le comportement des dominés, l’attention doit se porter sur la structure de l’obéissance plutôt que sur celle de la domination.

Toute la difficulté de vivre dans un système complexe, qui s’est complexifié à dessein, tend à ne pas laisser à tout un chacun les outils pour s’extraire de cette nasse dans laquelle il est enfermé chaque jour de plus en plus.


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