Frédéric Mahé Frédéric Mahé 28 août 2007 11:00

Vous avez fait une excellente synthèse des facteurs poussant à la hausse. Il faudrait ajouter à mon avis l’avidité des intermédiaires, importateurs et autres grandes surfaces, qui se sucrent régulièrement sur le dos des producteurs, en maquillant ça en « baisse des prix » et « super-promotions ». De façon sous-jacente à la problématique soulevée, il y a une question philosophique qui reste à trancher : un pays doit-il chercher l’autosuffisance alimentaire ? Deux écoles s’affrontent dans le monde :

1. Non, on pourra toujours acheter à l’extérieur ce qui manque : c’est la réponse « moderne », si l’on veut, adoptée entre autres par le Royaume-Uni depuis Thatcher, pour des raisons idéologiques, ou le Japon d’après-guerre, pour des raisons géographiques et démographiques. L’agriculture devient alors une activité économique « comme une autre », et on peut même la sacrifier sur l’autel de la rentabilité, on importera ce qui manque. Du coup, on se retrouve à gérer cette agriculture comme un centre de profits, dans un cadre de libre-échange, qu’on va border par quelques normes de sécurité alimentaire plus ou moins sérieuses. Dans ce cadre, c’est le prix et la demande du client qui prime, tempérées par les rapports de force entre producteur et client. La subvention massive des productions européennes et américaines ne répond qu’à favoriser cet export « forcées ». Dans ce système, les petits trinquent à la moindre surproduction mondiale : ils produisent moins, donc un peu plus cher, et leur taille ne leur permet pas de fausser les prix de production par la subvention (l’exemple le plus criant en ce moment est le coton malien, moins cher que le coton américain, et concurrencé par l’Inde et la Chine, et qui ne trouve pas preneur).

Quand on sait que les Etats-Unis sont les premiers exportateurs de céréales et de viande, cela éclaire de nombreux accords « commerciaux » ou « culturels » avec des pays moins bien lotis en force de frappe politique et militaire. A cela s’ajoutent des considérations géopolitiques : vendre des armes et de la nourriture à un même pays peut servir à accroître sa dépendance économique... et militaire.

Les barrières sanitaires servent également de garde-fous à l’invasion par des denrées « économiquement et politiquement non souhaitables », ce qui n’est pas leur rôle premier. La lutte entre l’Europe et les USA sur les hormones rentre principalement dans ce cadre, et seulement accessoirement dans le cadre d’une protection du consommateur, qui a été pris comme prétexte (encore qu’à mon avis, le consommateur européen a raison sur ce cas précis).

Le jeu national consiste alors pour un pays, à garantir la nourriture de ses habitants au meilleur prix, tout en bloquant ce qui gêne la politique des affaires courantes.

2. Deuxième réponse : oui, un pays doit être autosuffisant alimentairement. C’est l’attitude « ancienne », préconisée par nos anciens dirigeants depuis Louis XIV, au simple motif que les forces armées (et leurs chevaux), nécessaires, doivent être nourries sur place, et que le peuple, mauvais garçon, se révolte quand il n’y a plus à manger. On détermine alors des plans de développement rural, qui servent d’ossature au développement économique national : régions dédiées (à la culture céréalière, à l’élevage, etc.), infrastructures locales et régionales fortes, tendance à l’autonomie alimentaire également des régions, culture culinaire...

La politique consiste alors à garantir la production nationale, destinée en priorité aux habitants, de façon à limiter l’import aux matières « facultatives » (caviar, tabac, soie), puis à développer l’export pour s’enrichir « de surcroît ». C’est plus ou moins la politique des USA.

Le problème chez nous, c’est que l’Europe a élaboré une Politique Agricole Commune tendant à ménager la chèvre et le chou, à savoir les deux attitudes : autonomie alimentaire d’accord, mais on ne va pas gêner l’export, qui fait rentrer de la devise fraîche, et puis le libre-échange, c’est sacré, il faut en mettre partout, même dans le droit social et dans l’agriculture. Du coup, la France, traditionnellement du côté des « anciens », se retrouve culturellement entre deux chaises, coincée entre le productivisme effréné (largement subventionné) et le « tout bio ».

Les habitudes alimentaires sont un piège supplémentaire : ce qui permet à nos pauvres de se nourrir (à peu près) correctement fait appel aux céréales (pain, nouilles) et aux viandes dites « peu chères » (dinde et porc), qui consomment beaucoup d’eau et de... céréales consommatrices d’eau (maïs).

Les fruits et légumes, pourtant facilement produits chez nous, sont constamment importées pour des raisons de prix, mais surtout parce que les consommateurs on pris l’habitude de manger des tomates en hiver et des aubergines au printemps. Toute une éducation alimentaire est à refaire dans les pays développés. La surconsommation de protéines, coûteuse pour l’environnement, devient délirante, et à côté de ça, des milliers d’hectares sont en jachère.

Le reste du monde, lui, penche nettement pour une attitude « moderne » : on produit en masse, on exporte en masse, et on subventionne au cas où les prix tirent un peu à la production. Prenez l’exemple du Brésil (source OCDE), qui veut devenir le deuxième exportateur agricole mondial (devinez qui sera le premier...), et réserve des sols à la culture OGM, à la culture sans OGM, bientôt à la culture bio, de manière à répondre à la demande des marchés internationaux.

Ce qui veut dire que mondialement, la machine est prête à s’emballer, comme vous le dites très justement, et qu’elle s’emballera, et sans espoir de retour en arrière. Les « modernes » gagnent largement aux points sur les « anciens ».

Tous les autres points que vous citez (biocarburant, etc.) en sont les facteurs aggravants. Il va falloir s’habituer à manger plus cher. Jusqu’ici, les ménages à faible revenus économisaient sur la nourriture pour sauver leurs loisirs, maintenant, la malnutrition guette même dans les pays développés. Entre les pays pauvres, réduits à la famine, et les pauvres des pays riches, qui y courent, nous allons vers des crises de grande envergure...


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