FAUST FAUST 25 octobre 2007 23:49

Cher monsieur Agir-et-réagir, je suis navré de vous faire quelques reproches. J’espère qu’ils seront justes et vous inciteront à approfondir votre recherche avant de corriger votre copie certes fournie mais franchement confuse. Elle présente un premier très grave défaut, celui de mettre dans un même panier des univers particulièrement différent. Les mèdecins, un monde, de professions libérales, régulées par des instances nationales, avec un ministère de tutelle. Les salariés du privé, des syndicats totalement autonomes, regroupés en fédération, élus lors d’élections professionnelles et sérieusement encadrés par les lois, le code du travail s’appliquant. Les salariés de la fonction publique, organisés et dépendant de ministres, avec des syndicats sur le modèle du privé mais avec une relation à l’employeur (l’état) tellement différente de celle qu’ont les syndiqués privés avec leurs interlocuteurs : patron et syndicats patronaux de branches. Voyez vous, je suis syndicaliste, élu d’une grosse boîte à capitaux issus de fonds de pensions américains. Mon quotidien est dirais-je, situé au point milieu de la barbarie et de l’alliénation : je suis une cible. Au mieux pour moi, je me tiens tranquille, ne faisant rien de bien méchant et ne communiquant rien de ce que je peux déduire des rares informations qui me parviennent. Au pire, je peux m’agiter, défendre les salariés et contredire les dirigeants quand ils font ou disent n’importe quoi (ce qui évidemment arrive aussi chez les syndiqués, mais dans ce cas, autant vous le dire, la punition est immédiate). Je peux m’opposer. Et alors je serais placé au centre de la cible, je deviendrais le nuisible, la chose à éliminer car elle empêche d’avancer la belle machine. Sachez que j’ai une démarche assez tranquille avec mes collègues, je ne leur fait pas l’article du syndicalisme. Au contraire : mon discours c’est plutôt si tu viens tu vas trinquer. Si tu viens, tu vas avoir une carrière super interressante, au placard. J’ai de nombreux supporters, des partisans, des gens qui attendent que je bouge et je bouge. Ma carrière est morte il y a 4 ans, mon salaire est une ligne plate. Allez donc vous syndiquer dans ces conditions. J’ajoute que la maison qui m’emploie à créer un système de syndicalisme local assez efficace qui noyaute et dirige les IRP (institutions représentatives du personnel) au point qu’aucune de nos revendications n’est reçue. Et on continue de se battre. Et on continue de participer à l’animation du tissu social, à l’activité syndicale transversale (dans la région, dans les institutions politiques, dans les milieux sociaux professionnels, incluant les écoles). Dans quelques temps je vais rencontrer des syndicalistes allemands, des anglais. On va parler de nos vies, de nos frustrations, de nos succès. ça me donnera envie de pleurer, parce que je suis dans un pays de lâcheté institutionalisée, qui délègue tout car élevé dans l’assistanat. Malheureusement, le nombre de syndiqués est faible au point que ce sont ceux qui triment et suent en dehors des heures de boulot souvent, pendant le boulot parfois, qui vont se faire démolir par les médias. Le patronat via son syndicat s’est montré sous un visage passablement petit. Dommage, une telle affaire l’année où le président vient en personne les saluer lors de leur université d’été, cela fait mauvais effet. J’ai mis trente seconde à réaliser qu’en menant des combats syndicaux j’allais vivre en plein l’ingratitude des gens. Quand en France 30% d’une unité de production font grève et bloque l’usine, ils obtiennent parfois une augmentation de salaire collective des 100% des salariés. Et parmis tous ces gens combien se syndiquent ? Dites vous que l’activité est forte, intense, épuisante et ingrate. Dites vous que vos mots ne servent à rien, la réaction n’est pas possible à ce niveau. Nos chers concitoyens sont des veaux avachis sur le canapé du salon, à maudire leur propre image qui passe en boucle sur l’écran de télé. Ou à s’ébahir devant le luxe indécent étalé à grand coup de glamour par les TF1 et consors. Et tant qu’il y a des matchs de foot, des stars et de la bidoche à 3 euros le kilos chez le discounter du coin, ils ne broncheront pas. Ils laisseront faire les autres, ceux qui sont assez fous pour se mettre debout et dire « allez vous faire foutre » aux dirigeants. Moi, je finirais par renoncer, c’est inéluctable. Je me fais plaisir égoïstement, je m’achète une conscience pour plus tard. Je fais ma guerre, contre l’injustice, contre l’esclavagisme subi par mes collègues à mi-temps, sous-smicard(e)s. Contre les types à gallons qui fouettent des gens la nuit, pendant des années, devenant eux même zombies. Contre les financiers qui détruisent le tissus social déjà fragile par nature en supprimant les outils de travail pour de simple petit gain d’1% de rentabilité. Je finirais par me rasseoir, mais je pourrais me dire que je me suis battu pour mes enfants et pour ceux des autres, ceux que je méprise. Défendre les humains tout en les méprisant, reconnaissez moi au moins ce magnifique paradoxe !

Vous avez écrit une magnifique bulle d’air : personne dans ce pays n’a le centième de la volonté nécessaire à participer à l’action syndicale. Agir c’est se compromettre, et là, difficile de trouver du volontaire.

J’ai peur d’être un redoutable gâcheur d’espoir, mais à force de cottoyer des moutons et des veaux, je deviens un peu chien.

Je laisserai les spécialistes vous commenter sur le volet « médical » et sur celui de la fonction publique.

Meilleures salutation, Faust.

Ayant relu, je maintiens, mais en estimant que mes propos sont relativement durs et un peu radicaux. Ne voulant pas laisser la place au doute sur la conviction que j’ai que ce pays est sans âme, j’ai certainement enfoncé le clou. Votre article reste une ouverture à débat, et d’actualité. Je vous souhaite beaucoup de commentaires et de plus positifs que le mien. smiley


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