aquad69 30 avril 2008 14:00

 

Bonjour Michel,
 
votre article, très simple, est une bonne remarque.
 
Mais, sans vous en faire le reproche, il y a quelque chose de déplaisant dans cette manière très répandue que l’on a aujourd’hui de "nommer" un sujet par un simple mot, un titre ou une formule-slogan, le plus souvent "à la mode" du jour, pour frapper les esprits et essayer de mieux se faire entendre au milieu de ce gigantesque "bruit de fond" qui nous entoure.
 
La "mondialisation", qu’est -ce que celà veut dire ? Est-ce une cause en elle-même, ou un ensemble très complexe de processus divers que personne n’est capable de maîtriser vraiment ?
 
On pourrait en dire autant par exemple de la "globalisation", du "libéralisme", du "capitalisme", de "l’économie", etc...
 
"Nommer" les choses ainsi, si l’on n’y prend pas garde, celà finit par revenir presque à les identifier comme des "entités", des ensembles cohérents et doués de puissances, des "personnalités", en somme ; et donc de les déifier, d’en faire de véritables idoles !
 
"C’est la faute à qui ? C’est la faute à..."
 
Le résultat de tout celà, c’est qu’aujourd’hui tout le monde mélange tout, les causes et les effets, les maux et leurs symptomes, les éléments importants et ceux de détail. Celà ne sert à rien, sinon à augmenter les confusions et les désordres, quand il vaudrait mieux décortiquer et comprendre les vrais processus qui sont à l’origine de ces maux.
 
Pour en revenir à votre remarque de ce changement cartographique du monde et à ses causes, une parmis les autres me paraît significative, en tous cas : l’exode rural.
 
C’est à mon avis une des choses que l’on n’analyse pas assez aujourd’hui, et que l’on ne remet pas en question, sur lequel on sent même un déni : l’exode rural serait normal, absolument "fatal", car lié a la modernisation, elle-même la plus fatale des nécessités...
 
Prenons comme exemple un pays comme la France ( je prend ce que j’ai sous la mains), car il est assez significatif" sur une durée qui ne fait tout de même que huit siècles, cad peu de choses en regard de l’histoire humaine :
 
Si l’on avait pu observer ce pays par satellite aux alentours du treizième siècle, on lui aurait remarqué une homogénéité dans la densité démographique à faire rêver ; des bourgs presque insignifiants, des campagnes et des montagnes beaucoup plus peuplées, vivantes et soignées qu’aujourd’hui, et enfin des axes de transports et d’échanges qui existaient assurément du point de vue culturel et pour certains produits, mais sans aucun rapports avec ces flux indispensables que sont les transports actuels dont la simple interruption, même sur une durée moyenne, entraineraient les conséquences les plus catastrophiques et menaceraient même la survie humaine !
 
La caractéristique de la société humaine à cette époque ? L’autonomie, tout simplement, et aussi le fait que la "propriété privée" telle que nous la connaissons aujourd’hui, sur les éléments essentiels à notre vie comme par exemple les terres, l’eau et les aliments, n’existait quasiment pas ; chaque communauté assurait elle-même la production de ce qui lui était indispensable, et n’avait recours à l’échange commercial (le marché) que pour l’accessoire, les denrées que l’on pourrait dire "de luxe" ou exotiques, qui n’étaient pas produites sur place.
 
On s’est évidemment beaucoup étendu sur les malheurs des ces époques, à un point tel qu’on a fini par les décrire presqu’exclusivement par eux : à écouter certains historiens vulgarisateurs, ainsi que certains programmes scolaires, la vie de ces gens n’était chaque mois ou chaque semaine, et celà en permanence, qu’une succession de viols, pillages, famines, épidémies de peste et de choléra, on en en passe et des meilleures !
 
C’est à se demander quand ces pauvres gens ont pu avoir le loisir de construire et de produire ce dont nous admirons les restes aujourd’hui...
 
Nous nous plaisons à prouver notre supériorité occidentale en comparant notre niveau de vie au leur, mais c’est oublier que notre opulence n’est absolument pas représentative de la moyenne mondiale, et qu’elle est même précisément en rapport avec la misère "nécessaire" du reste du Monde.
 
On peut considérer que les débuts de l’exode rural en France correspondent à la fondation des nouveaux bourgs et villes "libres", et les débuts de la "bourgeoisie", au cours du "moyen-âge" considéré comme la fin de l’époque féodale et les débuts de ce que l’on a appelé la Renaissance ; mais cet exode rural là n’était pas une fuite subie par les couches les plus défavorisées pour des raisons de pauvreté ; au contraire, ce sont les populations les plus dynamiques d’alors qui, pour échapper à l’étouffement d’une tutelle seigneuriale qui ne se justifiait plus par ses services rendus et aussi par sa perte de prestige, ont arraché, souvent par conflit, le privilège bourgeois de pouvoir se gérer eux-même.
 
Les débuts d’un exode de masse véritablement rural,moderne, causé par la misère, datent en fait de l’apogée de la Renaissance et des débuts du monde commercial et industriel ; on peut le faire coincider avec l’époque du phénomène des "enclosures" en Angleterre, quand des populations entières se sont retrouvées spoliées de leurs ressources par des grand propriétaires éleveurs qui ont "cloturé" leurs domaines et qui leur ont donné le statut de propriété privée. C’est là ce qui a produit l’embryon, la première origine des masses prolétariennes dépendantes, définies par le fait d’être obligées d’acheter pour manger et donc d’être salariées pour pouvoir acheter .
 
C’est aussi à cette époque que sont apparues les nouvelles théories libérales et de la dictature du marché, et qu’a explosé la "révolution industrielle".
 
Une des superstitions les plus répandues chez nous voudrait que le système de marché libéral "crée" de la richesse, ce qui ferait de nous le plus "religieux "des peuples par notre foi en le miracle permanent !
En réalité, le système se contente de concentrer la richesse dans les zones qui jouent le rôle de centres économiques, au dépend des régions économiquement périphériques ; parallèlement à l’enrichissement des villes, il y a un appauvrissement très réel de cette périphérie, et c’est bien là l’origine de l’exode des paysans obligés de "suivre" les déplacements des richesses.
 
Et c’est bien là qu’apparaît l’iniquité absolument monstrueuse de notre époque :
 
Quand au siècle dernier, forcé par la misère, le breton ou l’auvergnat quittait son "pays" et sa vallée, il pouvait légalement rejoindre Paris ou Lyon au nom de l’unité nationale du pays ; on ne lui a jamais reproché d’être un immigré qui venait "manger le pain" des parisiens ou des Lyonnais.
 
Mais aujourd’hui le phénomène est devenu mondial : à l’échelle des continent, les richesses et capitaux des régions économiquement périphériques rejoignent les zones économiquement dominantes, mais il est interdit aux peuples ainsi subtilement spoliés de les suivre.
 
Quand on voit l’étonnement que provoque auprès du public et des médias la découverte des famines actuelles, on se demande qui l’emporte : la bêtise la plus insondable, ou l’hypocrisie la plus noire ?
 
A l’évidence, ces famines et cette masse de misère humaine ne sont pas arrivées par hasard ; elles sont inhérent au système même, produit direct des concepts que nous vantons depuis trois siècles, et sur lesquels nous avons fondé notre image et notre prospérité d’hommes "modernes.
 
Il est parfaîtement clair que cela va, non seulement se poursuivre, mais s’aggraver de plus en plus vite et concerner des populations de plus importantes aussi longtemps que l’on n’en reviendra pas à l’autonomie alimentaire des régions, et au protectionnisme le plus draconiens !
 
Le résultat le plus évident de ce modernisme dont nous sommes si fiers aura été de transformer le Monde en un radeau de la méduse peuplé de survivants obligés de s’entre-dévorer pour survivre ; nul doute que celà ne transforme l’aspect de la planète de manière sensible...
 
Cordialement Thierry

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