Senatus populusque (Courouve) Courouve 29 septembre 2008 14:34
Ce débat, un temps polarisé sur les adjectifs "ostentatoire", "visible" ou "ostensible", avant de retenir la "manifestation" de croyances religieuses, a rarement tenu compte de ce qu’avec ce voile islamique, sorte de heaume textile composé de plusieurs pièces, parfois étendu, tel un uniforme, à l’ensemble du corps, ce n’est plus la personne qui porte un signe ou un insigne (telle la légion d’honneur à la boutonnière), mais au contraire le signe qui enveloppe et cache la personne, à la grande différence de la kippa juive ou de la vieille médaille chrétienne. Or la plupart des commentateurs dissertent sur la symbolique du voile et en négligent la réalité essentielle.

A - Le signe qui cache la personne.

De là viennent les problèmes avec les photos d’identité, normalement exigées de face et tête nue, pour pouvoir réaliser des contrôles efficaces dans les mêmes conditions, de face et tête nue. Comment identifier à coup sûr les élèves ou étudiantes et les candidates aux examens tels que le bac, contrôles continus et concours, avec ce voile à géométrie variable, qui commence parfois au ras des sourcils ? Pour n’encourager ni les fraudes, ni le plus grand danger de la pénétration islamique, ce voile devrait disparaître à la fois des cartes d’identité et des salles d’examen, comme il devrait disparaître des lieux d’enseignement public ou quasi-public (privé sous contrat d’association). Le sénateur centriste Nicolas About avait déposé une excellente proposition de loi pour régler ce problème d’identification des personnes sans stigmatiser personne. Elle n’a malheureusement pas été examinée par le Parlement. La seule sécurité dans les établissements d’enseignement exigerait d’ailleurs qu’un contrôle des cartes d’élèves et étudiants, avec photos strictement conformes, soit effectué à l’entrée, comme cela se fait depuis plusieurs années dans les Universités, au moins pendant Vigipirate. C’est cette légitime exigence d’identification des personnes qui fit demander au maire U.M.P. de Nogent-sur-Marne que les futures mariées soient découvertes lors de la cérémonie du mariage civil, et aux banques que les personnes se présentent tête nue à l’entrée, voire sans lunettes de soleil ... Le voile dans la rue et dans les transports publics est lui aussi gênant, car il modifie notre espace public traditionnel et complique les éventuels contrôles d’identité, alors même que la menace terroriste actuelle émane précisément de cette mouvance islamique qui promeut le port du voile.

En admettant que circulent dans nos rues des personnes non identifiables, des OVNI (objets voilés non identifiables), nous changerions de société. Selon un sondage SOFRES de janvier 2004, environ 57 % des Français estimaient alors que le port ostensible de signes religieux représente une menace pour la cohésion nationale.

B - Ce problème du voile comporte bien sûr plusieurs autres aspects :

 Incivilité : traditionnellement en France, on se découvre, et il faut prendre ce verbe “se découvrir” dans toutes ses acceptions. Si on acceptait le voile à l’Université, on aurait du mal à interdire en classe le port de la casquette (à l’endroit ou à l’envers) ou du bonnet (il y a déjà eu des incidents à cause de cela) ; bonjour l’ambiance très favorable à la transmission du savoir ...L’époque où les bourgeoises pouvaient garder leur chapeau dans les salons est révolue ... Et, de plus, les classes ne sont pas des salons.

Selon un sondage CSA de janvier 2004, 84 % des enseignants se prononcaient pour l’exclusion d’une élève voilée, dont 19 % sans même chercher de compromis.

 Sexisme : des costumes islamiques masculins, djellabas masquant les jambes de pantalon, apparaissent maintenant dans les classes et les amphis, comme ils sont déjà présents dans les rues des grandes villes ; cela dégonfle donc l’accusation de sexisme que supportait le voile. Reste l’infériorité de la femme symbolisée par ce voile, sous lequel l’individualité de la femme est niée : « c’est une femme, circulez ! y a rien à voir ! »

 Immigration : l’immigration massive, et excessive, en provenance de l’Afrique du Nord a entraîné la perception d’une menace croissante sur l’identité nationale ; la pratique des doubles ou triples nationalités et la sur-délinquance immigrée ont renforcé ce sentiment. Ne négligeons pas le conseil du baron de Montesquieu :

"Il faut être attentif à ne point changer l’esprit général d’une nation" (Esprit des lois, XIX, v).

Or le nombre croissant de costumes islamiques féminins comme masculins dans l’espace public, et il y a peu les manifs en faveur du port du voile, influent incontestablement, et dangereusement, sur cet esprit général. Ce qui nous menace, à long terme certes, n’est en effet rien moins qu’une régression du constitutionnalisme occidental vers un absolutisme théocratique.

 Religion et laïcité : on a presque tout dit là-dessus, sauf le ridicule du Parti Socialiste à évoquer, dans des propositions de lois, des “signes philosophiques” que personne n’avait jamais vus ... La croyance religieuse, comme d’ailleurs la nature des préférences sexuelles, devrait rester dans le for intérieur. Ce rapprochement n’est pas artificiel, puisque les religions se sont essentiellement fait connaître, au cours des siècles, par leurs prescriptions autoritaires en matière sexuelle. D’où la conclusion que ni les associations religieuses d’étudiants, ni les associations féministes ou homosexuelles, n’ont leur place dans les locaux universitaires. Si cet espace d’enseignement (les lieux universitaires) doit être neutre, ce n’est pas par caprice laïcard, mais bien pour maintenir une possibilité d’enseigner efficacement un savoir objectif, à visée universelle, forme de savoir que les Grecs et Romains anciens nous ont léguée.

Comment étudier tranquillement si l’on avait désormais, dans la classe ou dans l’amphi, le "public" divisé en deux camps, comme au stade ?

Les lieux de prière ou de culte n’ont pas non plus leur place sur les campus universitaires (pas davantage que les saunas gays pour le culte du dieu latin Priape, mais qui n’y sont pas encore, à ma connaissance ...). Dans cette affaire du voile, l’aspect "prosélytisme", pression sur les "tièdes", doit évidemment être pris en compte. Précisons que l’on trouve effectivement, à plusieurs reprises, l’injonction du port du voile des femmes dans les sourates XXIV et XXXIII du Coran.

Que la laïcité ne soit pas complète en France (Alsace-Moselle, Mayotte, Guyane, émissions religieuses sur une chaine du service public, reconnaissance de l’État du Vatican) ne devrait pas inciter à faire des nouvelles concessions à l’islam, mais au contraire à toiletter cette laïcité en uniformisant la situation dans le sens d’une laïcité véritable. La violence des propos de Mgr Jean-Marie Lustiger avait surpris ; en janvier 2004, il mettait en garde le Gouvernement de ne pas rouvrir une guerre de religion et dénonçait "l’agressivité anti-religieuse" ; il ignorait que s’il a fallu une loi pour retrouver les conditions antérieures d’exercice tranquille de l’instruction publique, c’est tout simplement parce que tout ce qui relève des libertés publiques doit, d’après la Constitution de 1958 (art.34) , se traiter au niveau législatif.

Nicolas Sarkozy trouve la loi de 1905 trop ancienne, usée, dépassée, vieillie, il voudrait la décaper. Mais si le temps faisait quelque chose à l’affaire, c’est par la plus ancienne Déclaration de 1789-91 qu’il faudrait commencer. On sait que depuis 1973 cette Déclaration fait partie du bloc de constitutionnalité (par décision du Conseil Constitutionnel). Et que dire de l’ancienneté de ces religions que nous vante Nicolas Sarkozy dans son dernier livre ...

 Trouble à l’ordre public, un peu partout, et partout de plus en plus : dans les hôpitaux, où des femmes voilées, accompagnées de leurs maris, demandent à être soignées à leur manière sexiste, avec agression de médecins ; certains nous ramènent au souvenir de l’époque des bonnes soeurs hospitalières ... mais elles n’ont jamais été associées, de près ou de loin, à un quelconque terrorisme catholique ... Si l’islam fait peur, il y est pour quelque chose (que l’on ne nous refasse pas le coup du "sentiment" d’insécurité !) Trouble aussi dans les tribunaux (femme voilée dans un jury d’assises, récusation d’un magistrat juif), dans les piscines (horaires séparés), à l’entrée des banques, bref, un peu partout, et partout de plus en plus. L’islam dérange car ses pratiques religieuses entrent progressivement en conflit avec notre mode de vie. Il y a communautarisation des commerces généralistes, quand certains magasins arrêtent, pour tous leurs clients, la vente d’alcool pendant le mois du Ramadan, quand les boucheries "hallal" ou les rayons "hallal" dans les supermarchés se répandent et renforcent le communautarisme de séparation.

 Exclusion ? : mais ce sont ces jeunes filles qui s’excluent elles-mêmes, pas l’école nationale et républicaine qui les exclut ; sans doute aussi les milieux qui les influencent ; mais il serait paradoxal, bien digne du Gribouille de la comtesse de Ségur, de faire à l’avance la politique des islamiques en acceptant leurs exigences. Force devrait rester à la République, force doit rester à la République. Le chantage au repli communautaire, que répercute irresponsablement la naïve Voynet et ses Verts (Mamère, etc.), et aussi Le Monde, n’est pas admissible ; l’intégration, c’est, quand même et par principe logique, l’intégration à notre société rationnelle et laïque, d’inspiration gréco-latine, et non l’adaptation des Français de souche aux coutumes extrêmes de l’islam (les fans ne manqueront pas de pays d’accueil), coutumes qui participent de ce qu’Alain Finkielkraut appelle l’arrogance des identités. J’appelle ici "Français de souche" le Français (je préfère ce terme à "citoyen d’origine française", que l’on commence à entendre) qui n’a pas de double nationalité et pas non plus de possibilité d’obtenir une double ou triple (cas Shirel) nationalité.

C - Difficultés juridiques

 Il y a une difficulté, que soulevent les islamistes. L’article 10 de la Charte Européenne des droits fondamentaux (Traité de Nice, décembre 2000) dispose : "Ce droit [à la liberté de pensée, de conscience et de religion] implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public [souligné par Cl. C.] ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites [souligné par Cl. C.]." Cet article suit de très près l’art. 18 de la Déclaration universelle de 1948 (ONU) et l’art. 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Conseil de l’Europe). Or l’autorité des traités en droit français est supérieure à celle des lois ; l’art. 55 de la Constitution de 1958 dispose en effet : "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie." Cette disposition s’applique aux lois postérieures aussi bien qu’antérieures aux traités, mais il revient en général au Conseil d’État et à la Cour de cassation de la faire appliquer. Le traité de la Constitution européenne reprenait "la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites" (partie II, article II-70) ; selon le Conseil constitutionnel, cette disposition serait à interpréter par chaque pays selon ses traditons nationales, une large marge d’appréciation étant laissée aux États par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’avis du Conseil Constitutionnel n’a pas été sollicité par ceux qui en avaient le pouvoir, et la loi 2004-228 du 15 mars 2004 a été publiée au J.O. du 17 mars. Cette loi, qui a résisté au chantage des preneurs d’otages, n’a pas été mise en cause par nos engagements internationaux.
 


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