bluebeer bluebeer 4 mars 2009 02:25

Chaque fois qu’il est question du 11 septembre dans les médias, sur un blog ou sur un site « citoyen », deux camps s’affrontent inexorablement. D’une part, une « minorité » de « tenants de la thèse du complot », qui entre-eux s’appellent « sceptiques », et d’autres part, une « majorité » de gens « raisonnables » qui ne s’attribuent aucune appellation particulière, adhèrent grosso modo à la version officielle des faits, et considèrent les premiers au mieux comme des zozos, au pire comme de dangereux complotistes antisémites négationnistes. A noter que les sceptiques ou complotistes, comme on préfère, sont généralement majoritaires ou en tout cas majoritairement plus réactifs sur les sites citoyens de la toile qui constituent leur niche écologique d’élection.

 

L’affrontement est bien rôdé et tombe systématiquement dans les mêmes ornières, jusqu’à la parodie. Le 11 septembre représente désormais une arène où viennent s’affronter deux visions du monde, deux conceptions diamétralement opposées qui entretiennent entre elles un sempiternel dialogue de sourds.

 

La majorité raisonnable considère que les attentats du 11 septembre sont suffisamment limpides et ne nécessitent pas vraiment d’explication complémentaire : des groupements terroristes islamiques ont pris les États-Unis d’Amérique pour cible, car ils leur reprochent d’inspirer et de diriger un occident économiquement, politiquement, culturellement et religieusement hégémonique. Cette domination menace à terme l’Islam dans ses fondements et dans son existence, et doit donc être combattue avec la dernière énergie. En conséquence, ces groupes islamistes ont décrété une guerre sainte terroriste qui se suffit à elle-même, et ont décidé de frapper très fort l’ennemi au cœur de son territoire et de ses institutions. L’objectif précis des attentats est conjectural. On peut imaginer que les terroristes espèrent bouter le feu à un équilibre géopolitique précaire et déclencher une série de conflits avec l’occident, lesquels finiraient à terme par l’affaiblir ou le vaincre en coalisant ses ennemis qui ont pour eux le nombre.

 

Les sceptiques trouvent cette version cousue de fil blanc. S’ils admettent pour la plupart la réalité des attentats, ils relèvent une longue série d’invraisemblances dans leur explication officielle. Ils regrettent dès lors l’opacité et la superficialité des enquêtes et des débats autour d’un événement contemporain majeur qui depuis son avènement, a très largement façonné la politique extérieure américaine ainsi que celle de ses alliés embrigadés bon gré mal gré dans une lutte à mort « contre le terrorisme, pour la démocratie ». Ce manichéisme simpliste semble suspect aux sceptique qui y perçoivent prioritairment un alibi idéal au service des objectifs militaires et économiques de l’administration Bush. D’où de nombreuses nouvelles conjectures et relectures des événements à la lumière de ces considérations, avec entre autres, la thèse controversée de « l’inside job ».

 

Pourtant, une telle confrontation n’est a priori que simple et saine. Un attentat spectaculaire crée un traumatisme profond dans l’opinion publique occidentale, voire mondiale, et des individus confrontent des analyses et des opinions divergentes. Malheureusement, ce débat dérape très rapidement.

 

D’abord, le débat a d’emblée été cadenassé par la dimension émotionnelle de l’événement, très largement exploitée par la couverture médiatique qui a opposé le martyr des « héros » civils américains à la duplicité et à la sauvagerie des « terroristes » obscurantistes islamistes. Si violent était le constat de l’agression qu’il fallait un courage et une lucidité extraordinaires pour oser discuter dans un premier temps l’adéquation de la version officielle américaine, ou la légitimité de la riposte envisagée. Aujourd’hui encore, s’interroger sur l’exploitation opportuniste des événements par l’administration Bush revient à s’exposer à des procès d’antiaméricanisme primaire. Le choc des civilisations a eu lieu et nous sommes sommés de choisir notre camp.

 

Ensuite, il est clairement apparu qu’Israël pouvait tirer un profit cvonsidérable du climat instauré par les attentats. Tout ce qui dresse le bloc occidental contre le monde musulman contribue à raffermir leurs alliances et à asseoir leur légitimité. D’où la suggestion rapidement émise par certains observateurs de leur implication dans la préparation des attentats. Aucune preuve n’étaye cette hypothèse, mais elle est séduisante aux yeux de nombreux sceptiques qui brodent abondamment sur ce thème. Le débat prend alors une nouvelle tournure et oppose pro- et anti-israéliens, les premiers collant à la version officielle, les seconds la contestant en insistant sur le bénéfice supposé qu’en a retiré Israël.

 

Dans les médias francophones, un réflexe pavlovien semble assimiler les anti-israéliens ou les antisionistes aux antisémites. Dès lors, le débat prend dimension de croisade et oppose les antiracistes bon teint, raisonnables et partisans de la version officielle, aux complotistes néo-nazis rampants, partisans d’un « inside job » inspiré par le mossad. Dès que le thème du 11 septembre est évoqué, la riposte ne se fait pas attendre et les pro-israéliens montent au créneau en hurlant au négationnisme, crime connoté s’il en est, mais dont l’accusation ne repose sur rien de concret. Ce glissement du débat vers un affrontement connexe est un des escamotages habituels du débat.

 

Un autre escamotage renvoie à un phénomène sociologique intéressant. Les sceptiques se manifestent principalement sur internet, alors que les médias traditionnels ne relayent que peu ou seulement de manière caricaturale les théories alternatives à celle de la version officielle. Comment cela peut-il être ? Faut-il donc que les sceptiques soient nécessairement de pauvres farfelus coupés des réalités élémentaires pour persister à propager des rumeurs absurdes, dénigrées par les professionnels de l’information ? Ou bien faut-il plutôt admettre que les journalistes soient collectivement embrigadés dans un complot de l’ordre établi, et refusent tous, avec mauvaise foi, de laisser éclater de terribles vérités ? Bien sûr, cela ne paraît pas plus plausible.

 

Clairement, les journalistes, serviteurs du quatrième pouvoir, gardiens de la démocratie, sont ulcérés de l’invasion des blogueurs amateurs dans leur pré carré. Si n’importe qui peut dire n’importe quoi, où allons nous ? La seule bonne vraie information 100 % objective doit être distillée par un artisan journaliste, formé dans une école spécialisée où il a été initié aux méthodes subtiles du journalisme professionnel, et où son expertise sera authentifiée par une carte de presse. Seul un vrai journaliste sait prendre la distance nécessaire par rapport aux événements et à leur interprétation. Les blogueurs et internautes sont juste un ramassis de frustrés, de handicapés du bulbe qui déversent élucubrations et torrents de haine sur la toile au lieu de lire sagement leurs quotidiens, ou plus simplement pour les plus paresseux, de suivre les journaux télévisés.

 

D’où cette caricature éternelle de l’internet, infernal vivier de toutes les perversions, quasiment exclusivement peuplé de nazis et de pédophiles, à l’affût de proies candides, de jeunes têtes blondes innocentes en mal de dévoiement. Et bien entendu, de lunatiques, de ratés déconnectés de la vie réelle, distillant et métabolisant la rumeur, substance honteuse, glauque, malsaine, toxique. Voyant des complots et des ovnis partout, pour conférer l’illusion d’une épaisseur à leur pathétique inexistence.

 

Bref, évoquer le 11 septembre revient à invoquer systématiquement un clash entre pro-israéliens et antisionistes, sur le thème détourné de l’antisémitisme, et un clash entre média officiels et internautes patentés. Les dés sont pipés d’emblée. On parle très rarement du 11 septembre en tant que tel, sinon pour entendre autant d’amateurs se jeter à la tête des expertises qu’ils maîtrisent peu ou pas du tout.

 

Personnellement, je suis un sceptique, mais pas intransigeant. Force m’est cependant de reconnaître que les médias officiels – comme l’express – sont navrants de prévisibilité et de superficialité dans leurs commentaires. Il est même amusant de constater que les arguments les plus solides contre certains aspects des thèses du complot, je les ai trouvés sur des sites de truthers (par exemple, une réfutation de la thèse du missile sur le pentagone : http://911research.wtc7.net/essays/pentagon/index.html).

 

Les temps changent. Les médias aussi. La démocratie suit. Tôt ou tard, les médias devront évoluer. On ne peut empêcher les gens de penser, et on ne peut les empêcher de communiquer. Nos opinions, nous nous les forgeons de plus en plus librement, sans mode d’emploi certifié. Est-ce grave ?

 

 


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe