Jean Lasson 6 août 2009 01:40

Forest,

Bravo. Vous avez deviné le cœur de la problématique agronomique. Pour un non-agronome (et même pour un agronome d’ailleurs !) c’est rare. Ceci dit, ça ne veut pas forcément dire que je sois d’accord avec vous sur certains points, car certains de vos chiffres ne cadrent pas tout à fait avec ceux que je connais.

Je suis entièrement d’accord avec vous quand vous écrivez « pas de pétrole, pas de pain, au sens le plus direct ». Cela semble confirmé par cet article qui a fait grand bruit d’une part, ainsi que par l’exemple de la Corée du Nord d’autre part (cf. cette page). L’enjeu de la baisse de production du pétrole est bien d’abord celui-là. A ce propos, le pic du pétrole est derrière nous (2008, cf. l’ASPO et cette page), celui du gaz devrait l’accompagner sans tarder. Reste le charbon, probablement 4 fois les réserves de pétrole...

Concernant votre « scénario noir », l’optimum médiéval nous démontre que nous n’avons rien à craindre d’un réchauffement sous nos latitudes. En fait, le seul changement climatique capable d’être la cause directe d’une baisse de production agricole serait une glaciation. Et encore, dans ce cas le Sahara redeviendrait cultivable...

J’attire votre attention sur le lien Wikipedia de la courbe des températures : cette courbe n’est pas correcte (se méfier de Wikipedia sur le sujet du RCA !). Trois des courbes données proviennent de Mann et al., le fameux auteur de la courbe en crosse de hockey dont il a été démontré qu’elle était fausse, due à un artefact/bogue du logiciel utilisé (en restant gentil... cf. cette page). Une courbe différente, publiée indépendamment par Loehle et Moberg, figure au bas de cette page. Elle fait apparaître un écart maximum de 1,2 à 1,3 °C entre le maximum de l’optimum médiéval et le minimum du petit âge glaciaire.

Ceci nous ramène à un des nœuds de votre thèse, à savoir qu’un écart de moins de 1,5 °C pourrait expliquer la rupture du XIVe siècle. C’est une hypothèse séduisante en ce moment, mais elle est loin d’être démontrée et les agronomes n’y croient pas trop. Par exemple, l’aire de culture du blé prouve sa tolérance aux températures. Il est par contre démontré que la peste noire (1348-49 et années suivantes) a, elle, tué entre 40 et 60 % de la population française, laquelle est donc passée de 20 millions à 10 millions. La guerre de Cent Ans a fait perdurer la catastrophe en installant durablement l’insécurité dans les campagnes.

Mais toutes ces explications - et singulièrement la première, celle des températures - procèdent du naturalisme, philosophie très en vogue actuellement mais contestable et contestée, qui voudrait voir des causes « naturelles » aux changements sociaux (vous devinez l’enjeu politique).

Pour approfondir ces questions, je recommande la lecture d’Histoire des agricultures du monde de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, Histoire de la France rurale de Georges Duby, ainsi que l’oeuvre d’Emmanuel Le Roy-Ladurie, spécialiste du climat au moyen-âge.


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