Senatus populusque (Courouve) Claude Courouve 10 septembre 2009 18:04

Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Paris : P. Belfond, 1975. Dans le chapitre IX, « Little big men », on lit :

« [page 198] J’ai travaillé pendant deux ans dans ce jardin. Il y avait des gosses entre deux et cinq ans. C’était une expérience fantastique. Si l’on est un peu ouvert, les enfants nous aident beaucoup à comprendre nos propres réactions. […] Au début j’étais plein d’énergie. Je jouais énormément, je me battais, bref je m’identifiais totalement à eux. Je me suis alors rendu compte que j’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi. Je crois que c’est le problème de toutes les grandes personnes avec les enfants. […] [199] Mon flirt permanent avec les gosses prenait vite des formes d’érotisme. Je sentais vraiment que les petites filles à cinq ans avaient déjà appris comment m’emmener en bateau, me draguer. C’est incroyable. La plupart du temps j’étais assez désarmé. […] [203] Les conflits avec des parents n’ont pas manqué. Certains enfants avaient souvent vu leurs parents faire l’amour. Un soir, une petite fille va voir sa copine chez elle, et lui demande : « Veux-tu faire l’amour avec moi ? » Et elle parlait de baisage, de bite, etc. Alors les parents de la copine, qui étaient des catholiques pratiquants, sont venus se plaindre, très, très choqués. Il m’est arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : « Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m’avez choisi, moi, et pas les autres gosses ? » Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même. Alors on m’accusait de « perversion ». Il y a eu une demande au Parlement pour savoir si j’étais payé par la municipalité, toujours au nom de la loi qui interdit aux extrêmistes d’être fonctionnaires. J’avais heureusement un contact direct avec l’association des parents, sans quoi j’aurais été licencié. En tant qu’extrémiste, je n’avais pas le droit d’être avec des enfants. […] Pendant toute une période, je m’étais identifié aux gosses. Mais à partir d’un certain moment, les problèmes des enfants ont [204] commencé à ne plus m’intéresser. Ces gosses venaient d’un milieu social en fin de compte inintéressant. Ce n’était pas un jardin d’enfants normal, et l’expérience n’était pas assez radicale.[…] [209] Reich, c’est la lutte pour la sexualité, et surtout la sexualité des jeunes. Un des problèmes du jardin d’enfants, c’est que les libéraux admettent, à la rigueur, l’existence de la sexualité, alors que nous, on essayait de la développer, d’avoir un comportement qui permette aux enfants de réaliser leur sexualité. » (Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Paris : P. Belfond, 1975, chapitre IX, « Little big men »).


 Sigmund Freud ne vit jamais dans la « sexualité infantile » une justification de la pédophilie ; cela apparaît dès 1905 avec le premier des Trois essais sur la théorie de la sexualité (section I, B) ; la même année, il déclarait à un quotidien viennois que la pédophilie homosexuelle devait être poursuivie devant les tribunaux, mais dans les mêmes conditions que la pédophilie hétérosexuelle 11 ; le seuil en Autriche était alors de quatorze ans (encore le seuil du droit canon !). Freud pensait qu’une activité sexuelle précoce diminuait l’éducabilité de l’enfant, et que la construction de la personnalité psychologique et sociale (acquisition du principe de réalité) requiérait que la fonction sexuelle ne soit pas sollicitée précocement. Quant au freudo-marxiste Wilhelm Reich, il considérait l’homosexualité comme une sorte de satisfaction parallèle à la satisfaction hétérosexuelle et souhaitait qu’elle soit dénuée de toute sanction pénale, sauf précisément dans le cas de séduction d’enfants (Die Sexualität in Kulturkampf, 1936).


C’est donc à tort que Daniel Cohn-Bendit avait invoqué ces deux auteurs pour justifier à la fois ses écrits de 1975 et ses propos à Apostrophes en 1982.


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