Abderraouf 17 novembre 2010 16:39

Y tourne en rond77, vous devriez lire un peu (ou pas hein, c’est vous qui voyez) :
 
Pour ce qui concerne les décennies qui suivirent la mission de Jésus, il faut savoir que les événements ne se sont pas du tout déroulés comme on l’a dit et que l’arrivée de Pierre à Rome n’a nullement établi l’Eglise sur ses fondements. Bien au contraire, entre le moment où Jésus quitta cette terre et jusqu’à la moitié du IIe siècle, soit pendant plus d’un siècle, on assista à une lutte entre deux tendances, entre ce que l’on peut appeler le christianisme paulinien et le judéo-christianisme ; ce n’est que très progressivement que le premier supplanta le second et que le paulinisme triompha du judéo-christianisme.
Après Jésus, le « petit groupe des apôtres » forme une « secte juive fidèle aux observances et au culte du temple ». Toutefois, lorsque se joint à eux celle des convertis venus du paganisme, on leur propose, si l’on peut dire, un régime spécial : le concile de Jérusalem de 49 les dispense de la circoncision et des observances juives ; « beaucoup de judéo-chrétiens se refusent à cette concession ». Ce groupe est complètement séparé de Paul. Qui plus est, à propos des païens venus au christianisme, Paul et les judéo-chrétiens se heurtent (incident d’Antioche de l’an 49). « Pour Paul, la circoncision, le sabbat, le culte du temple étaient désormais périmés, même pour les juifs. Le christianisme devait se libérer de son appartenance politico-religieuse au judaïsme pour s’ouvrir aux Gentils. »
Pour les judéo-chrétiens restant de « loyaux Israélites », Paul est un traître : des documents judéo-chrétiens le qualifient d’ « ennemi », l’accusent de « duplicité tactique », mais « le judéo-christianisme représente, jusqu’en 70, la majorité de l’Eglise » et « Paul reste un isolé ». Le chef de la communauté est alors Jacques, parent de Jésus. Avec lui, il y a Pierre (au début) et Jean. « Jacques peut être considéré comme la colonne du judéo-christianisme, qui reste délibérément engagé dans le judaïsme en face du christianisme paulinien. » La famille de Jésus tient une grande place dans cette église judéo-chrétienne de Jérusalem. « Le successeur de Jacques sera Siméon, fils de Cléopas, cousin du Seigneur. »
Le cardinal Daniélou cite ici les écrits judéo-chrétiens traduisant les vues sur Jésus de cette communauté formée initialement autour des apôtres : l’Evangile des Hébreux (relevant d’une communauté judéo-chrétienne d’Egypte), les Hypotyposes de Clément, les Reconnaissances clémentines, la seconde Apocalypse de Jacques, l’Evangile de Thomas l. « C’est à ces judéo-chrétiens qu’il faut sans doute rattacher les plus antiques monuments de la littérature chrétienne », dont le cardinal Daniélou fait une mention détaillée.
 « Ce n’est pas seulement à Jérusalem et en Palestine que le judéo-christianisme est dominant durant le premier siècle de l’Eglise. Partout, la mission judéo-chrétienne paraît s’être, développée antérieurement à la mission paulinienne. C’est bien ce qui explique que les épîtres de Paul fassent sans cesse allusion à un conflit. » Ce sont les mêmes adversaires qu’il rencontrera partout, en Galatie, à Corinthe, à Colosses, à Rome, à Antioche.
La côte syro-palestinienne, de Gaza à Antioche, est judéo-chrétienne « comme en témoignent les Actes des Apôtres et les écrits Clémentins ». En Asie Mineure, l’existence de judéo-chrétiens est attestée par les épîtres aux Galates et aux Colossiens de Paul.
Les écrits de Papias renseignent sur le judéo-christianisme de Phrygie. En Grèce, la première épître de Paul aux Corinthiens fait état de judéo-chrétiens, à Apollos en particulier. Rome est un « centre important » selon l’épître de Clément et le Pasteur d’Hermias. Pour Suétone et Tacite, les chrétiens forment une secte juive. Le cardinal Daniélou pense que la première évangélisation de l’Afrique fut judéo-chrétienne. L’Evangile des Hébreux et des écrits de Clément d’Alexandrie s’y rattachent.
Il est capital de connaître ces faits pour comprendre dans quelle ambiance de lutte entre communautés ont été écrits les Evangiles. La mise à jour des textes que nous avons aujourd’hui, après bien des remaniements des sources, va commencer autour de l’an 70, époque où les deux communautés rivales sont en pleine lutte, les judéo-chrétiens dominant encore. Mais avec la guerre juive et la chute de Jérusalem en 70, la situation va se renverser. Le cardinal Daniélou explique ainsi le déclin :
« Les Juifs étant discrédités dans l’Empire, les chrétiens tendent à se désolidariser d’eux. Les chrétientés hellénistiques prendront alors le dessus : Paul remportera une victoire posthume ; le christianisme se dégagera sociologiquement et politiquement du judaïsme ; il deviendra le troisième peuple. Toutefois jusqu’à la dernière révolte juive, en 140, le judéo-christianisme restera dominant culturellement. »
De 70 à une période que l’on situe avant 110 vont être produits les Evangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean. Ils ne constituent pas les premiers documents chrétiens fixés : les épîtres de Paul leur sont bien antérieures. Selon O. Culmann, Paul aurait rédigé en 50 son épître aux Thessaloniciens. Mais il avait disparu sans doute depuis quelques années lorsque l’Evangile de Marc fut achevé.
Figure la plus discutée du christianisme, considéré comme traître à la pensée de Jésus par la famille de celui-ci et par les apôtres restés à Jérusalem autour de Jacques, Paul a fait le christianisme aux dépens de ceux que Jésus avait réunis autour de lui pour propager ses enseignements. N’ayant pas connu Jésus vivant, il justifia la légitimité de sa mission en affirmant que Jésus ressuscité lui était apparu sur le chemin de Damas. Il est permis de se demander ce qu’eût été le christianisme sans Paul et l’on pourrait à ce sujet échafauder de multiples hypothèses. Mais, pour ce qui concerne les Evangiles, il y a fort à parier que si l’atmosphère de lutte entre communautés créée par la dissidence paulinienne n’avait pas existé, nous n’aurions pas les écrits que nous avons aujourd’hui. Apparus dans la période de lutte intense entre les deux communautés, ces « écrits de combat », comme les qualifie le R.P. Kannengiesser, ont émergé de la multitude des écrits parus sur Jésus, lorsque le christianisme de style paulinien définitivement triomphant constitua son recueil de textes officiels, le « Canon » qui exclut et condamna comme contraires à l’orthodoxie tous autres documents qui ne convenaient pas à la ligne choisie par l’Eglise.
Les judéo-chrétiens disparus en tant que communauté influente, on entend encore parler d’eux sous le vocable général de « judaïsant ». Le cardinal Daniélou évoque ainsi leur fin :
« Coupés de la Grande Eglise qui se libère progressivement de ses attaches juives, ils dépériront très vite en Occident. Mais on suit leurs traces du IIIème au IV siècle en Orient, en particulier en Palestine, en Arabie, en Transjordanie, en Syrie, en Mésopotamie. Certains seront absorbés par l’Islam, qui en est pour une part l’héritier ; d’autres se rallieront à l’orthodoxie de la Grande Eglise tout en conservant un fond de culture sémitique et quelque chose en persiste dans les Eglises d’Ethiopie et de Chaldée. »
1. Remarquons que tous ces écrits vont être plus tard jugés apocryphes, c’est-à-dire comme devant être cachés, par l’Eglise triomphante qui va naître du succès de Paul. Faisant des coupes sombres dans la littérature évangélique, elle ne va retenir que les quatre Evangiles canoniques.

Extrait de Maurice Bucaille, La Bible, le Coran et la Science


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