easy easy 27 avril 2011 10:01

Bonjour Annie,

Je ne sais pas comment sont faits les livres d’Histoire en ce moment. Mais il y a 50 ans on mentionnait les croisades sans les critiquer (pendant ce temps, en économie, on étudiait la création monétaire sans la critiquer non plus. Et en biologie, on disséquait des animaux sans critiquer cette mise à mort d’animaux).

En fait, c’est un nombre incalculable de choses, de comportements ou d’automatismes qui nous ont été inculqués sans que nous ayons été invités à les critiquer. Dès lors qu’on nous raconte les tournois, la guerre, la prison, les croisades, les révolutions, les décapitations, sans jamais nous inviter à la critique, c’est horrible à le constater mais oui nous avalons ça sans aucune difficulté.

La critique ça doit s’enseigner et on ne nous l’enseigne pas ou alors en fin de cycle scolaire lorsque nous avons déjà intégré les fondamentaux culturels. 

Il est donc très difficile pour chacun de nous, d’arriver à voir à quel point nous avons été formatés à des automatismes, dont celui de la douleur-par-procuration.

Il y a eu longtemps, une concurrence entre deux gestes possibles. Celui consistant à mendier en exhibant sa propre douleur (C’était le fait de mendiants d’une part et de l’aristocratie qui, surtout sous Louis XIV, devait aussi mendier le roi). Et celui consistant à mendier au nom des pauvres (ça c’était le coeur de l’activité pécuniaire des curés et évêques)
En gros donc, avant la Révolution, l’Eglise ne mendiait jamais pour elle mais toujours pour quelque vague autrui (parfois plus clairement pour refaire une toiture).
L’Eglise était en somme le seul corps à avoir une attitude d’avocat. La Sorbonne était le fief de l’évêque Cauchon qui avait planté Jeanne et c’est aujourd’hui le temple de la rhétorique de Cour de Justice.

Chacun de nous a régulièrement été pris par les fers de la culpabilité lorsque passe le gamin avec son panier dans les rangées de l’église. Chacun de nous a ressenti ce qu’il fallait de culpabilité devant les représentations de la Passion, plus prosaïquement la torture infligée au Christ. Nous nous sommes donc passionnés par la torture et nous en avons été des experts.
Mais une fois qu’elle est devenue interdite, une fois qu’on a décidé qu’il fallait dissimuler les exécutions des condamnés, nous avons compris que nous devons dissimuler nos tendances tortionnaires. Tout en éprouvant bien évidemment de la culpabilité à cet endroit.

De cette schizophrénie entre passion pour la Passion et culpabilité devant la souffrance d’autrui, nous avons tiré un modus vivendi qui consiste à exorciser ce paquet impossible en l’exultant au travers d’accusations.
Le jeu, pour nous, consiste donc désormais à retourner tous les recoins de la planète pour y trouver quelque cadavre ou dépouille ensanglantée et sans jamais avouer notre goût pour le morbide, nous jetons ces images à la face des autres, de n’importe qui en fait.

Les curés avaient passé des siècles à se faire valoir, à s’autoriser en nous jetant à la figure le corps ensanglanté et torturé du Christ, ils nous ont même dit que c’était méritant d’aller sauver son tombeau et d’en récupérer quelque fragment d’os. Alors, nous faisons exactement la même chose que nos autorités religieuses, sauf qu’étant laïcs, nous traitons de tous les cadavres de toutes les souffrances sauf du Christ.

L’empathie c’est ressentir à peu près ce que ressent une personne devant nous et aller éventuellement soit à partager ce sentiment soit à le soulager.

Or il est très difficile de soulager la souffrance vraie qui s’étale devant soi. Alors nous avons inventé une fausse empathie qui consiste à renvoyer vers d’autres cette image d souffrance qui nous interpelle. Ca entre dans notre oreille G, ça ressort par notre oreille D, On a fait notre boulot de média, de curé. On n’a pas à soulager nous-mêmes cette souffrance, il nous suffit de la transmettre, aux autres de se démerder avec.

Oui, mais à ce jeu là, il y a 100 000 gestes médiatistes et 2 gestes d’aide directe. Du vent, du vent et surtout du vent



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