lagabe 21 juin 2011 18:04

La France ne s’est jamais remise de la fin de l’ère dorée des Trente Glo­rieuses. Elle cultive la nostalgie de cette époque d’après-guerre qui avait vu le pays, en reconstruc­tion et « en rattrapage » technologique et managérial par rapport aux Etats-Unis, jouir d’une forte croissance, d’un plein-emploi « à vie », d’un développement , de l’Etat providence et d’une promotion sociale généralisée. Le souvenir en est mythifié. Les conditions sociales étaient en réalité dures, les bidonvilles nombreux, les femmes discriminées, l’espérance de vie de onze ans plus courte, la durée du travail hebdomadaire effective plus longue de dixheures. Mais la mémoire est sélective et l’histoire est embellie. Le succès extravagant du livre de Stéphane Hessel (Indignez-vous l’illustre jusqu’à la caricature).

A partir de 1975 et les crises du pétrole, s’est ouverte l’ère que certains appellent les

«  Trente Pleureuses » : inflation puis chômage de masse. Bousculé, le pays a connu depuis lors des alternances politiques mais le regard est resté orienté vers le passé des Glorieuses. Droite et gauche réunies ont fait le même choix politique majeur : tenter à toute force de préserver/ retrouver l’ancien mode de croissance. Le passé plutôt que l’avenir. Les comptes publics ont été systématique-ment déficitaires, la France a accumulé des dettes, sans pour autant s’équiper d’infra­structures modernes, universitaires ou hospitalières. Cette première conséquence, celle de charger le dos des générations futures, décrite dans de nombreux rapports, est restée sans correction. La crise des dettes sou­veraines en Europe va désormais forcer les dirigeants à l’austérité pour plusieurs années.

Il est une seconde conséquence pour les jeunes, encore mal perçue et contestée.

La génération précédente, protégeant jalousement ses emplois, a poussé la jeunesse dans les stages gratuits, les CDD en série, les jobs précaires. Depuis trente-cinq ans, le taux de chômage des moins de 25 ans a été invaria­blement deux fois supérieur à celui du reste de la population. « A droite comme à gauche, l’enjeu est de servir les droits acquis plutôt que de développer ceux de demain », se plaint le sociologue Louis Chauvel (1) qui dénonce le caractère « profondément conservateur et rentier de la société française ». Les jeunes sont triplement déclassés : par le niveau des emplois en dessous de leur niveau d’études, par le risque aggravé d’être dans un « des-censeur social » par rapport à leurs parents et des droits sociaux dégradés (par exemple à la retraite) puisqu’ils ont commencé plus tard et plus bas. On doit aussi inscrire dans cette liste les difficultés à se loger.

Faut-il prendre des mesures spéciales pour favoriser l’emploi des jeunes ? se demande aujourd’hui le gouvernement.

Il faut d’abord supprimer tous les dispositifs qui les pénalisent. La France aime davantage son passé que ses jeunes. Beaucoup, à droite comme à gauche, refusent d’admettre

la réalité d’un « conflit entre les générations ». Tandis que les bancs de l’Assemblée nationale sont occupés par une majorité écrasante d’hommes de plus de 60 ans...

Puisse la campagne présidentielle de 2012 porter ce débat au premier plan. Les dettes et le chômage des jeunes sont les deux plaies les plus profondes de la France. Le pessi­misme fondamental du pays prend ses racines dans trente-cinq ans de nostalgie des Trente Glorieuses. Puisse la France se détourner de 1945 et regarder vers 2020. (1) Le Destin des générations, PUF, 2010


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