vendredi 8 juin 2007 - par calach

10 juin 1997, suicide de Bernard Hanse

10 juin 1997, suicide de Bernard hanse : de la mort d’un innocent au chaos d’Outreau, ce fut un long calvaire pour les innocents pris au piège de l’accusation d’abus sexuels sur des enfants. Et la loi du 5 mars 2007 concernant le renforcement de l’équilibre de la procédure pénale n’apportera aucune solution.

En 1996, avec l’affaire Dutroux en Belgique, la société française prit conscience du laxisme général en matière de protection des enfants dans le domaine des abus sexuels. Un tournant allait être pris à l’initiative de la classe politique et à la demande de l’opinion publique. Personne ne pouvait s’en plaindre. Les services de l’Education furent les premiers visés, compte tenu de la proximité du personnel avec les enfants. Le temps de laver son linge sale en famille avec le minimum de vagues devait être oublié. Tout cela était présenté comme une nécessité de transparence qui ne pouvait être qu’à l’honneur des services d’éducation pour le respect des droits de l’enfant.

La nécessité de transparence se compliqua lorsqu’il fallut trouver l’équilibre entre écoute de la parole de l’enfant et respect de la présomption d’innocence. Soucieuse de plaire et d’agir dans le sens du vent porteur, la classe politique n’hésita pas longtemps avant de considérer qu’elle pouvait tirer un bénéfice de popularité en donnant la priorité à la parole de l’enfant, au risque de piétiner quelque peu la présomption d’innocence. Le 4/09/1996, Alain Juppé, Premier ministre, déclarait au journal L’Express  : « Il faut parfois mettre entre parenthèses les droits de l’homme pour protéger ceux de l’enfant ». En 1996, François Bayrou, ministre de l’Education nationale, déclarait également : « Si dans l’enquête quelqu’un est soupçonné, on suspend sa présence auprès des élèves. » Le 11 juin 1997, Ségolène Royal affirmait à Europe 1 : « Il faut que la parole des enfants soit entendue, qu’ils soient crus. » En 1999, un conseiller des ministres Allègre et Royal répondait à une délégation syndicale en précisant que ses propos devaient être attribués à ses ministres Allègre et Royal : « Si un enfant peut être préservé au prix de neuf enseignants accusés à tort, l’objectif est rempli. »

Dès 1997, les conséquences de ce déséquilibre apparurent. Bernard Hanse en fut la première victime. L’accusation d’abus sexuels, le risque de poursuite judiciaire et de suspension professionnelle, le contexte médiatique après l’affaire Dutroux, la perte de dignité de l’enseignant ont provoqué, chez Bernard hanse, un stress psychologique aigu qui l’a conduit au geste fatal en quelques heures.

L’adolescent ayant reconnu le mensonge, ce drame aurait pu servir d’avertissement social pour la classe politique, pour les services judiciaires et pour les médias afin de promouvoir un équilibre indispensable entre écoute de l’enfant et respect de la présomption d’innocence. Il n’en fut rien. Il suffit de consulter la page des mis en cause du site Jamac pour constater que les cas de poursuites arbitraires sont nombreux en 1997, 1998 et 1999.

Bien au contraire, par la circulaire d’août 1997, le ministère de l’Education nationale prit l’initiative de définir ce que signifiait la « connaissance des faits », notion non précisée par l’article 40 du Code pénal : « Ainsi, dès qu’un élève a confié à un membre de l’Education nationale des faits dont il affirme avoir été victime, il appartient à ce fonctionnaire d’aviser immédiatement et directement le procureur de la République, sous la forme écrite et transmise, si besoin est, par télécopie. » La parole de l’enfant était, par là-même, sacralisée comme le souhaitait la classe politique !

La présomption d’innocence fut alors piétinée de bon cœur par la classe politique, par l’institution judiciaire et par les médias.

En septembre 2001, lorsque Alain Hodique, mari de l’institutrice du petit village de Bucquoy (62) se trouva mis en examen pour abus sexuels sur les enfants de la classe de son épouse, le ministre de l’Education nationale de l’époque, Jack Lang, n’hésita pas, dès le lendemain de la mise en examen, à prendre la tête du lynchage en adressant aux parents d’élèves un courrier public dans lequel aucune retenue n’était observée pour la présomption d’innocence. Il faudra plus de cinq ans de patience et de souffrance, dont 13 mois de détention provisoire, à Alain Hodique, pour obtenir un non lieu confirmé par la cour d’appel avant que Jack Lang accepte de lui adresser une lettre d’excuse !

Il est inutile de revenir sur le comportement des médias dans l’affaire d’Outreau ni sur le besoin viscéral de certains journalistes d’agrémenter, avant 2005, chaque bulletin d’information d’une nouvelle affaire de pédophilie !

Le renforcement de la lutte contre l’insécurité prôné à partir de 2002 par le ministre de l’Intérieur Sarkozy entraîna une accélération des placements arbitraires en détention provisoire. Le nombre de détenus passa de 56 000 fin 2001 à plus de 60 000 fin 2003 dont plus 30% concernaient la détention provisoire. Les innocents accusés d’abus sexuels sur des enfants à partir de déclarations mensongères furent les premières victimes de cette « répression préventive » au point d’atteindre parfois le sommet du ridicule. L’affaire du Sacré cœur de Digne les bains est une démonstration de la sacralisation grotesque de la parole de l’enfant. Alors qu’un interne de 5e déclarait avoir été violé à plusieurs reprises devant 23 témoins, la justice ne prit pas le temps de vérifier ses dires auprès des témoins avant de placer en détention provisoire, pour une durée de 35 jours à 3 mois et demi, cinq innocents dont trois mineurs. Fiasco complet lorsque les témoins déclarèrent unanimement qu’aucune agression n’avait eu lieu mais impossibilité de libérer les innocents car la chambre d’instruction s’était réservée le contentieux de la détention retardant ainsi de plus d’un mois chaque demande de remise en liberté !

La loi sur la présomption d’innocence de 2001, donnant la possibilité au juge d’instruction d’accorder le statut de témoin assisté lorsque le doute devait l’emporter en attendant la fin de l’enquête, fut allègrement piétinée dès 2002 pour satisfaire la sacralisation de la parole d’enfant et le besoin de démonstration sécuritaire.

Mais comme dans tous les excès, il y a un matin où l’on se réveille avec la gueule de bois. Ce fut le cas lors du procès d’Outreau en 2005. L’opinion publique se retourna, cria au scandale comprenant enfin le cri d’un Alain Marécaux effondré à la sortie du tribunal : « Demain, tout cela peut vous arriver aussi ! »

Par souci de suivre le sens du vent, le pouvoir chercha une adaptation rapide à la nouvelle demande de l’opinion publique. Trop rapide pour être significative ! La loi du 5 mars 2007 sur le renforcement de l’équilibre de la procédure pénale initiée à la suite du chaos d’Outreau ne résoudra rien en matière de respect de la présomption d’innocence pour les innocents poursuivis sur la base de déclarations mensongères concernant des abus sexuels. Aucune mesure n’a été décidée pour mieux encadrer le recueil de la parole de l’enfant. La garde à vue reste une zone de non droit pendant laquelle ni la personne convoquée, ni son avocat ne peuvent disposer du dossier. Le juge d’instruction, seul ou en collège, dispose de toute liberté pour choisir entre le statut de témoin assisté ou de mis en examen même si l’enquête préliminaire n’est pas achevée. Et si le critère de trouble à l’ordre public disparaît en ce qui concerne le placement en détention provisoire, les arguments qui étaient avancés pour l’évoquer restent toujours des motifs suffisants pour incarcérer l’innocent accusé à tort (Protection de la prétendue victime par exemple).

Une seule réforme, peu coûteuse par ailleurs, pourrait éviter de nouveaux drames. Transformer la précipitation en prudence dans le domaine des accusations pour abus sexuels tant que les faits précis ne sont pas établis de façon certaine. C’est le droit des enfants qui en serait le premier gagnant. C’est aussi l’honneur de l’institution judiciaire qui en sortirait grandi car les « droits de l’homme n’auraient plus à être mis entre parenthèse au bénéfice des droits de l’enfant  » et ainsi il deviendrait inutile de prendre le risque que « 9 enseignants soient accusés à tort pour permettre que la parole d’un enfant soit préservée ».

« Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » - Albert Camus -



10 réactions


  • Diogene 8 juin 2007 12:48

    Il y avait eu un reportage très bien fait sur une affaire similaire aux USA : « Les petites Canailles »

    Il est regrettable que l’oubli ait balayé tout ça avant qu’une analyse et que des leçons en ait été tirées.

    (L’innocence perdue diffusé sur Arte le 18 sept 1998 et le 10 juin 2001 -Procès de Bob Kelly a Edenton)


  • prgrokrouk 8 juin 2007 19:45

    Oui, un article utile et une société de plus en plus invivable.


  • Thomas Roussot Thomas Roussot 8 juin 2007 20:51

    N’oublions pas la conduite cynique de mme Royal dans cette affaire.


    • prgrokrouk 8 juin 2007 22:13

      Je me suis fait dernièrement la même réflexion, et je suis sûr que voilà en perspective de fâcheux constats sur l’exercice du « Service Public », qui ne sont pas en faveur du soutien de ces professions PARTOUT où elles envahissent la vie normale qui voudrait continuer sans leur interventionnisme.

      En première année de Droit, la notion de « personne » est ratissée dans tous les sens, d’ailleurs... et je constate que c’est un quitus pour aller ramasser le DEUG, car on n’a vraiment rien à en faire de mieux que de successives variations en rhétorique pour de mauvaises arguties.

      En effet, les anglais qui ont inventé la Liberté. A une pratique insensée, Révolutionnaire des tardifs français, a succédé une émergence de la pensée occidentale chez de plus tardifs Allemands, notamment par Kant. Voir son « Traité pour la Paix Perpétuelle ».

      Enfin... je ne sais même plus où je me trouve.


    • prgrokrouk 8 juin 2007 23:07

      Je valais mieux que ça à sept ans d’âge. Mais l’ouvrage en référence est bon pour des bacheliers qui se tâtent. J’ai quarante sept ans... Oui, j’ai aidé il y a quelques années une TRES BELLE ETUDIANTE EN DROIT BLONDE aux cheveux longs, qui avait raté l’année précédente (trop de figurants) à avoir sa première année...


  • prgrokrouk 8 juin 2007 22:55

    Cet article rappelle suffisamment combien le Public (réel) est soumis à des intrusions génératrices de procédures. Et comptez donc les métiers qui ont gravité autour de ce Bernard Hanse. De beaux métiers !

    Et ne vous sentez pas systématiquement attaqué parce que vous êtes fonctionnaire. Sur ce site, vous avez PLEIN de bons copains qui vendraient leur mère pour profiter de leurs aises, arrivée à la cinquantaine, sous prétexte qu’on s’en occupe. En France, en Belgique (j’ai des noms).

    Cela dit, je n’ai pas voulu orienter ma réponse sur la philosophie, car... « la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ».

    S’il vous plaît, ne prenez pas mal que j’aie envie de vous contrarier quand j’y mets toutes les marques de respect et de politesse qui devraient l’autoriser.


  • calach calach 8 juin 2007 23:24

    Je me permets de faire le lien entre le triste sort réservé, ces dernières années, aux innocents injustement accusés, plus particulièrement en matière d’abus sexuels, et l’excellent argumentaire développé par Paul Villach dans son article de ce même jour sur Agora « Un juge poignardé à Metz : à qui la faute ? ». Selon de récents sondages, 70 % environ de nos concitoyens ne font pas confiance à la justice ! Il est certain que les magistrats ne sont pas les seuls responsables de cet état de fait mais c’est sur eux que se cristallise le sentiment d’injustice. Cela ne pourra que s’amplifier si le budget de la justice n’est pas revalorisé, si la responsabilité professionnelle des juges continue d’être une utopie, si l’indemnisation de la détention provisoire abusive reste illusoire, si la précipitation piétine la présomption d’innocence ! Bien entendu, je désapprouve le geste commis à Metz mais la violence croissante dans les tribunaux ne se résoudra pas par une répression de plus en plus sévère. Seule, une amélioration de la confiance des citoyens par rapport au système judiciaire engendrera une meilleure protection des magistrats.


  • prgrokrouk 9 juin 2007 00:16

    Ecoutez, le juge de l’affaire Outreau était bien sûr de lui et arrogant... avant d’être veule devant la « Commission ». Une lopette que j’aurais baffé, heureusement que je me retiens, je ne sais pas comment.

    On n’a pas eu le cran de le punir ni de rappeler au Procureur de Bordeaux que sa charge n’était pas dédiée à l’exercice de la spiritualité dont il se paraît alors qu’il était entendu (interrogé), effet qu’il a cru bon de produire devant les caméras !

    L’ancien Régime, dont les professions de Justice ont hérité la notion de « Charge » qu’on achète encore pour ouvrir un COMMERCE de Notaire, avait cette vertu, de mettre en balance la Responsabilité (le Pouvoir) et la Charge, de sorte que l’engagement personnel dans ces métiers comportait une contrepartie et que la morale n’était alors pas un mot.

    Comment « revaloriser » des actes que des contractuels travestis en robe, pourraient honorer avec des paies de RMIste recyclés et des résultats moins COUTEUX ? alors que tous les personnels de Justice n’ont RIEN manifesté à l’occasion de ces terribles conneries d’Outreau ! sinon des augmentations de salaires ? comme les personnels des Maisons de vieux à la fin de l’été 2003 ? c’est tout ce qu’ils ont trouvé à dire !!!

    Alors un peu de modestie : les fonctionnaires sont payés SURTOUT à partir des salaires des employés du Privé, QUI ESTIMENT AVOIR DROIT A UN SERVICE PUBLIC A CE PRIX !!!

    Il faut donc riper des « numéros » qui sévissent ailleurs, pour les affecter à des tâches subalternes de Justice, et non pas augmenter le salaire des personnels CE QUI REPRESENTE LA VOIX TOUTE TRACEE DE L’INJUSTICE et même pire : une dérive de la société toute entière vers la dictature d’obscurantismes. Au moins, au Moyen-Age, on évoluait vers l’avenir !!!


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