jeudi 13 mars - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

13 mars 1943 : le ghetto de Cracovie dans l’étau de la mort

Le 13 mars 1943, alors que l’aube peinait à percer les brumes de Cracovie, un grondement sourd envahit le quartier de Podgórze. Le ghetto juif, prison de briques et de désespoir, fut précipité dans sa fin ultime par les nazis. En deux jours, des milliers de vies furent fauchées ou jetées vers Auschwitz, dans un acte d’une brutalité méthodique. Ce n’était pas une simple opération : c’était une étape clé de la Shoah, un cri étouffé dans la gorge d’une ville millénaire.

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La naissance du ghetto

Avant que les bottes allemandes ne foulent le sol polonais, Cracovie vibrait d’une mosaïque culturelle. Sur ses 250 000 habitants en 1939, près de 60 000 étaient juifs, une communauté prospère, ancrée dans le quartier de Kazimierz depuis des siècles. Mais le 6 septembre 1939, l’invasion nazie brisa cet équilibre. Dès octobre, Hans Frank, gouverneur général de la Pologne occupée, fit de Cracovie la capitale administrative du Gouvernement général, posant les bases d’une persécution systématique. Les Juifs furent d’abord dépouillés de leurs droits, puis, en mars 1941, confinés dans un ghetto à Podgórze, sur la rive droite de la Vistule.

 

Kraków Travel

 

Ce quartier, autrefois paisible, devint une cage. Environ 16 000 Juifs y furent entassés dans 320 immeubles, après l’expulsion de 3 500 résidents polonais non juifs. Les archives du United States Holocaust Memorial Museum (USHMM) décrivent un espace surpeuplé, où la faim et les maladies régnaient. Tadeusz Pankiewicz, pharmacien catholique resté dans le ghetto avec son officine Pod Orłem, témoigne dans son livre La Pharmacie du ghetto de Cracovie de cette descente aux enfers : rations de 300 calories par jour, typhus rampant, et une mort quotidienne devenue banale. Le ghetto n’était pas un refuge, mais une antichambre de l'enfer.

Pourtant, la vie s’accrochait. Des écoles clandestines s’organisèrent, des prières murmurées résonnaient dans les caves. Les nazis, eux, voyaient dans ce confinement une étape vers leur "Solution finale", officialisée à Wannsee en janvier 1942. Les déportations débutèrent dès juin 1942, avec 7 000 Juifs envoyés à Bełżec. À l’aube de 1943, le ghetto, réduit à 10 000 âmes, était un spectre de lui-même, prêt à être effacé.

 

Ombres et lueurs dans la tourmente

Au sommet de cette machine de mort trônait Heinrich Himmler, chef des SS et maître d’œuvre du génocide. En octobre 1942, il ordonna la liquidation des ghettos du Gouvernement général, déléguant à Cracovie cette tâche à Amon Göth, un SS-Hauptsturmführer (capitaine) au sadisme légendaire. Göth, qui prendrait bientôt la tête du camp de Plaszów, dirigea l’opération des 13 et 14 mars avec une froideur implacable. Yad Vashem conserve des rapports où il se vante d’avoir "nettoyé" le ghetto, abattant lui-même des victimes depuis son balcon, une cigarette à la main.

 

Amon Göth - TracesOfWar.com

 

Face à cette barbarie, des figures de lumière émergèrent. Tadeusz Pankiewicz, surnommé "l'Aigle" par les habitants, transforma sa pharmacie en sanctuaire. Il fournit médicaments, nourriture, faux papiers, et servit même de boîte aux lettres pour la résistance. Reconnu Juste parmi les nations en 1983, il écrivit : "Je ne pouvais décrire ce que j’ai vu là-dedans". Parmi les résistants, des membres du mouvement Żegota, comme Maria Florek, risquèrent leur vie pour sauver des Juifs, tandis qu’Oswald Bosko, un policier allemand, facilita l’évasion d’enfants avant d’être exécuté par les SS en 1944.

 

Tadeusz Pankiewicz — Wikipédia

 

Mais les vraies voix du ghetto furent celles des anonymes. Les journaux d’Emanuel Ringelblum, bien que centrés sur Varsovie, reflètent une réalité similaire : des mères cachant leurs petits sous des planchers, des artisans fabriquant des armes rudimentaires. À Cracovie, la résistance armée resta limitée, écrasée par la disproportion des forces. Göth et ses hommes, eux, ne voyaient que des chiffres à éliminer.

 

Le ghetto à l’agonie

Le 13 mars 1943, à l’aube, les rues de Podgórze s’emplirent d’un vacarme terrifiant. Les SS, soutenus par des auxiliaires ukrainiens de Trawniki, encerclèrent le ghetto. L’opération, minutieusement planifiée, visait à vider ce qu’il restait de vie. Le ghetto fut divisé en deux zones : la partie "A" pour les travailleurs jugés utiles, la "B" pour les autres : vieillards, malades, enfants. Ce jour-là, 2 000 Juifs aptes au travail furent transférés à Plaszów, un camp de travail forcé voisin, sous les ordres de Göth. Les autres, environ 2 000, furent massacrés sur place, dans les ruelles ou sur la place Zgody.

 

Operation Reinhard in Kraków - Wikipedia

 

Le 14 mars, l’horreur culmina. Les nazis rassemblèrent les derniers habitants sur cette même place, aujourd’hui appelée place des Héros du Ghetto. Les témoignages recueillis par le Jewish Historical Institute de Varsovie parlent de scènes insoutenables : des enfants arrachés aux bras de leurs mères, des vieillards abattus à bout portant. Environ 3 000 personnes furent entassées dans des convois pour Auschwitz-Birkenau, à 65 kilomètres. Les archives d’Auschwitz indiquent que, sur ces deux convois (13 et 16 mars), 2 450 furent gazés dès leur arrivée, tandis que 549 furent enregistrés pour le travail forcé.

 

The Krakow (Cracow) Ghetto during the Holocaust and WWII | Holocaust  Encyclopedia

 

Pankiewicz, depuis sa fenêtre, vit les meubles abandonnés joncher les rues, les cris s’éteindre sous les coups de feu. Les nazis fouillèrent ensuite chaque immeuble, tuant quiconque se cachait. En 48 heures, le ghetto cessa d’exister. Seules quelques âmes, comme Roma Ligocka, petite fille de trois ans évadée avec sa mère, survécurent pour raconter, des années plus tard, dans La Fille au manteau rouge.

 

Little girl in a red coat surrounded by adults in black and white.

 

Un vide qui résonne encore

La liquidation du ghetto de Cracovie fut un rouage dans la vaste mécanique de la Shoah. Sur les 60 000 Juifs de la ville en 1939, 90 % périrent entre 1939 et 1945. Plaszów devint un camp de concentration en 1944, accueillant des déportés de Hongrie et d’ailleurs, avant d’être liquidé à son tour. Mais un homme, Oskar Schindler, bouleversé par les événements de mars 1943, transforma son usine près de Plaszów en refuge, sauvant plus de 1 200 Juifs. Une lueur dans cette nuit sans fin, immortalisée par Steven Spielberg.

 

German Spy | Oskar Schindler

 

Sur le plan stratégique, la disparition du ghetto renforça la mainmise nazie sur le Gouvernement général, libérant des ressources pour la guerre. Pourtant, elle marqua aussi un tournant moral. Les rapports clandestins de la résistance polonaise, relayés à Londres, alertèrent les Alliés, qui restèrent largement inertes. Hannah Arendt, dans Eichmann à Jérusalem, y verra un échec collectif face à l’industrialisation de la mort. À Cracovie, la communauté juive ne se releva jamais : en 1945, seuls 4 282 survivants refirent surface, selon les registres locaux.

Aujourd’hui, Podgórze porte les cicatrices de ce passé. La place des Héros, avec ses chaises vides, évoque les absents. Le mur du ghetto, rue Lwowska, tient encore debout, muet témoin. Le musée Pod Orłem et celui de Schindler racontent cette histoire aux générations nouvelles, un rappel que la mémoire est un rempart contre l’oubli.

 

Cracovie : Visite à pied du ghetto juif | GetYourGuide



5 réactions


  • Yann Esteveny 13 mars 17:08

    Message à l’auteur,

    Pourriez-vous remettre mon commentaire effacé qui évoque un génocide à Gaza et les pogroms en Syrie ?

    Respectueusement


    • @Yann Esteveny

      Je n’ai pas pris connaissance de votre commentaire qui a certainement été modéré. De plus, un auteur n’a pas la faculté d’effacer un commentaire, ni même de le republier. Enfin, les fils des commentaires sont destinés uniquement à réagir ou apporter des informations supplémentaires à l’article qui est publié. 

      Vous indiquez que votre commentaire concernait Gaza et la Syrie. Il n’a donc pas sa place sur ce fil des commentaires, conformément à la charte de bonne conduite pour les forums d’AgoraVox. Je vous invite plutôt à rédiger votre propre article afin d’aborder les sujets que vous souhaitez.


    • PaulAndréG (PàG) PaulAndréG (PàG) 13 mars 17:37

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia
      .
      .
      Tous les commentaires de Yann ne sont heureusement pas effacés :
      .
      « Yann Esteveny 10 mars 12:28
      Message à tous,
      Agoravox mène une guerre à l’intelligence tous les jours par la nullité des articles publiés.
       »
      .
      « Respectueusement » smiley


    • @PaulAndréG (PàG)

      Bonjour. Merci pour votre commentaire. Il passe son temps à polluer les fils des commentaires de nombreux articles, en particulier ceux qui ne lui conviennent pas ou qui évoquent des sujets qu’il estime « mineurs ». Si on l’écoutait, AgoraVox ne devrait publier que des articles sur Gaza et la Syrie. Je ne suis pas dupe. smiley


  • juluch juluch 13 mars 21:36

    Voir la « liste de Schindler » au moins une fois dans sa vie.....

    Cracovie, le ghetto de Varsovie et bien d’autres endroits...

    Le tout c’est de garder le Souvenir.


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