17 mars 2020, le jour d’après, quand un virus nous fait sortir d’un long sommeil et réveille la vie spirituelle
Ce texte s’inscrit dans une longue série formant un Covid-19 à 360 degrés couvrant les sciences et surtout la philosophie. Ce texte a été écrit lorsque nous sommes entrés irréversiblement dans le jour d’après.
17 mars 2020, le jour d’après, quand un virus nous fait sortir d’un long sommeil et réveille la vie spirituelle
1) La stupeur et le réveil
« Diagnostiqueurs de notre époque, nous devons commencer aujourd’hui plus que jamais par avouer que nous ne savons pas ce qui nous arrive. Ce qui suit se focalise sur l’incompréhensible, sur, ce qui n’a pas été décrit et sur ce qui a été laissé de côté dans le processus du monde » (P. Sloterdijk, La mobilisation infinie, Bourgois, 2000, édition allemande, 1989)
Etrange sentiment que procure ce 18 mars. Tout s’est accéléré depuis l’annonce du président Macron le lundi 16 au soir. Intervention suivie par quelque 35 millions de Français. Aucun événement sportif ni historique n’a produit une telle audience. Tout s’est accéléré, oui, surtout pour les admirables acteurs du système de soin, les Français qui ont envahi les supermarchés et deux jours plus tard, tout s’est ralenti, du moins pour les gens reclus chez eux et c’est une drôle de tonalité que ce soleil printanier tant attendu pointant son nez et ce silence régnant, synonyme d’inquiétude pour les uns ou de sérénité pour ceux qui savent méditer et se faire moine le temps d’une retraite imprévue et imposée par l’Etat français. Une retraite certes, mais spirituelle. Nous comprenons, ou pas, que cette retraite de l’âme, refuge précieux pour le grand âge lorsque cette fois le confinement sera cette fois imposé par la loi implacable du vieillissement, est une retraite à points dont le calcul se fait dans un autre monde, celui qui nous est caché et qui règne dans le secret des profondeurs de l’âme, faisant de l’humanité une universelle divinité mais pas celle qu’on nous a servie dans les vins de messes maçonniques puis marxistes, l’humanité des premiers de cordée du monde industrieux vénéré par Auguste Comte et du matérialisme dialectique eschatologique.
La veille, j’étais quelque peu agité, surfant sur les news, écrivant dans l’urgence, assailli d’idées et de points de vue, avec une pensée s’envolant en épousant les vagues de Mahler et puis, grosse fatigue. Ce matin, changement de tonalité. Mahler, Brahms, Bloch, ce sont des musiques qui envoient et pas forcément adaptées à la tonalité du moment. Pour accompagner ce silence, changement de musique, l’intégrale de Bach pour orgue. Comme nous le suggère Peter Sloterdijk, nous ne savons pas ce qui nous arrive. Mais remarquons que ce constat fut publié en 1989, date symbolique s’il en est, marquée par la chute du mur et là aussi, le basculement dans un monde nouveau, comme du reste avec les attentats du 11 septembre et beaucoup d’autres événements ayant généré de la sidération pour ne pas dire de la stupeur. Nous Français, avons eu une sacrée dose. L’arrivée de JM le Pen au second tour en 2002, les attentats de Charlie puis du Bataclan en 2015, les gilets jaunes en 2018. Nous ne sommes pas les seuls à vivre en patriotes de tels événements. Les Japonais vécurent le traumatisme du tsunami et de Fukushima. En politique, la sidération semble devenue bien courante. Election de Trump, Brexit, improbable gouvernement en Italie avec d’étranges alliances. Si nous prenions quelques instants pour « regarder » le monde, nous serions encore plus sidérés, notamment par les événements récents en Turquie. Et maintenant, un virus qui déclenche cette fois une secousse planétaire. Tous les pays sont touchés. C’est un événement recélant son cortège d’énigmes et je ne sais pas s’il faut invoquer un mystère. Auquel cas ce virus se présenterait comme une eucharistie empoisonnée et planétaire.
Nous dormions, mais depuis combien de temps ? La Modernité nous aurait-elle plongé dans un long sommeil, une léthargie de la pensée, dont on ne peut plus situer les origines tant ce sommeil est enfoui dans la nuit des temps, ou pour user d’une formule bien connue prononcé par un penseur devenu infréquentable (sauf pour les rares qui le comprennent), l’Oubli de l’Etre. Ce qui ne veut pas dire que les Anciens connaissaient l’Etre. Quelques-uns sans doute, les éveillés nous disait Héraclite pour qui la différence ontologique se déclinait en différence anthropologique. Les uns sont éveillés et la plupart dorment. Le plus célèbre des éveillés n’est autre que Bouddha, figure universelle en cette période axiale que peu ont compris en profondeur, métaphysique, avec ses ombres et ses lumières, ses codes et ses symboles. Une chose est certaine, la science, la technique et la politique n’ont qu’un champ limité, celui de la matière et pour parler comme Heidegger, le domaine de l’étant. Il va falloir tenir le choc. Les âmes ne peuvent plus s’en remettre à L’Etat et aux faux espoirs de la science. Il est temps de se tourner vers… vers les espaces intérieurs qui maintenant constituent la seule ressource, spirituelle, qui peut nous permette de tenir la barre.
2) Que se passe-t-il ?
« Des arguments solides nous font comprendre que l’utopie cinétique de la modernité a échoué. Des choses se sont mises en marche - et pas seulement des escaliers roulants - (…) qu’on n’a nullement prévues (…) et dont on peut douter qu’elles ne puissent jamais être reprises par une action humaine pour être dirigées dans des voies non fatales (…) Il faudrait alors dire que ce processus ressemble à une avalanche pensante. De quoi s’agit-il ? Nous ne le savons pas, mais aucun doute, nous sommes cette avalanche. » (Sloterdijk, MI)
....................... à suivre ?