Les privatisations de grands groupes finissent souvent par démontrer l’incapacité du secteur privé à gérer des projets sur le long terme : faillite des opérateurs téléphoniques en France et en Allemagne, pénurie d’électricité en Californie, scandales dans le secteur de l’eau dans de nombreux pays et surtout en Amérique du Sud, problèmes de sécurité graves dans le secteur ferroviaire en Grande-Bretagne, etc.
Aujourd’hui, AIRBUS n’échappe pas à cette règle. Après le « bradage » du GIE au secteur privé, on s’aperçoit maintenant que les actionnaires privés ont quasiment détruit l’entreprise, EADS et AIRBUS étant passés d’une logique industrielle à une logique financière.
Comme d’habitude, les chantres du libéralisme nous expliqueront que les privatisations sont la seule manière de dégager de nouvelles ressources financières et de développer l’entreprise dans un monde sans cesse plus concurrentiel.
Mais l’argent rapporté par l’entreprise privée va d’abord là où il peut se reproduire le plus vite possible, à la bourse et pas dans le développement de l’entreprise. Et au nom de cette rentabilité financière, on saborde tout un savoir-faire et les salariés qui le maîtrisent avec...
Dans la débâcle d’Airbus, on peut admirer une nouvelle fois la logique du capitalisme financier : puisqu’on est en retard pour honorer les commandes, on licencie ! Bizarrement, il fallait faire l’inverse et embaucher pour boucler les commandes le plus vite possible !
La communication d’EADS a toujours qualifié de "légitimes" les "attentes des actionnaires" en matière de rentabilité de l’entreprise et, en plaçant publiquement cette préoccupation au poste de commande, le désastre était inévitable. Car la rentabilité dont il est question n’est pas celle de l’équilibre des comptes mais le prélèvement de 15% de rente, chaque année, désormais exigés de l’industrie par le marché boursier.
Pour les « béats » des privatisations, l’Etat est toujours "mal placé pour gérer", et "ce n’est pas la vocation de produire des avions". Il avait pourtant porté l’entreprise au sommet de son secteur contre la toute-puissance américaine en mobilisant l’argent public nécessaire sous forme d’avances remboursables à long terme. Il avait permis aussi de révolutionner la technique de construction des avions (soudage au laser et matériaux composites) et de leur fonctionnement (commande électrique inventée dans le Concorde et industrialisée par Airbus).
Dans la dernière période, grâce à l’entreprise privée, de nouveaux records ont été battus mais dans le mauvais sens :
- Aveuglement des dirigeants affirmant qu’ils ne savaient pas que les commandes ne pourraient pas être honorées dans les délais ;
- Incurie stratégique conduisant à ce que 5 % des actions lancées dans la nature par des dirigeants reviennent en rangs serrés sous la houlette d’une banque d’Etat russe ;
- Vente par les « voyous » de l’entreprise de leurs stock-options, qui ont profité de leur poste pour s’en débarrasser avant d’annoncer les mauvaises nouvelles ;
- Vente par les actionnaires privés dits "de référence", au printemps 2006, de nombreuses actions au moindre fléchissement du cours boursier dont ils ont ainsi précipité la dégringolade.
Mais qui a conçu le monstre EADS ? L’Etat bien sûr mais c’est Lionel Jospin qui a mis en place cette structure de l’économie "mixte" et qui a procédé à la mise en place du pacte d’actionnaires actuel. L’ancien Premier ministre socialiste, Dominique Strauss-Kahn, et Alain Richard notamment nous expliquaient alors qu’on ne pouvait pas faire autrement, les partenaires allemands ne voulant pas collaborer avec une entreprise française détenue par l’Etat français, etc.
Il faut savoir que selon ce pacte, l’Etat français (pourtant actionnaire à hauteur de 15 %) n’a pas son mot à dire sur la gestion opérationnelle du groupe. Il a confié cette mission à l’industriel Arnaud Lagardère qui représente les intérêts français. Le plus dramatique, c’est que cette structure « abracadabrantesque » d’EADS est justement une des principales raisons de ses difficultés actuelles.
A l’époque, ceux qui prônaient le désengagement de l’Etat trouvaient toutes les vertus au secteur privé. Ce sont les mêmes aujourd’hui qui préconisent l’engagement de l’Etat pour sauver l’entreprise !
Mais qui a porté à la tête de cette usine à gaz l’ambitieux Forgeard qui n’avait de cesse de tout faire pour "prendre" EADS en renversant Philippe Camus ? Les pouvoirs publics français bien sûr mais plus précisément Jacques Chirac. Ces luttes de pouvoir néfastes ont contribué à masquer la réalité des problèmes industriels et conduit au chaos actuel.
Mais qui a relayé les dogmes de l’OMC exigeant l’abandon du système des avances remboursables qui mettaient à l’abri Airbus ? La commission de Bruxelles bien évidemment. Le sacro-saint dogme libéral anti-étatique des commissaires de Bruxelles a correspondu très exactement aux demandes des Etats-Unis et de la firme Boeing ! Sans compter les centaines de lobbyistes très officiellement en place à Bruxelles, à la porte de chaque bureau...
Il convient également de ne pas oublier la Banque centrale européenne (BCE) toute entière au service de la stabilité des prix. En effet, grâce à ses efforts, les dirigeants d’EADS pensent maintenant que l’activité de construction d’avions "européens" sera mieux protégée en zone de production où le dollar est la monnaie de référence...
Avec une BCE qui fait ce qu’elle veut, en dehors de tout contrôle politique, la politique d’un euro fort par rapport au dollar conduit l’aéronautique à des délocalisations. En clair, peu importe que l’on travaille bien ou mal, que l’on soit performant ou pas, l’entreprise peut perdre ou gagner 20 à 30 % de compétitivité du jour au lendemain avec 1 € qui vaut 1 $, 1,2 $, 1,3 $ ou 0,8 € !
Airbus est né d’une volonté politique et d’une réelle politique industrielle. Sans l’Etat, il n’y aurait pas eu d’industrie aéronautique de haute technologie avec la création de milliers d’emplois en France.
Mais aujourd’hui, la puissance publique doit garder la main sur ces secteurs industriels stratégiques. Et seule à l’avenir, la représentation nationale devrait pouvoir décider de leur cession à des intérêts privés...
Le plan Power 8 de Louis Gallois
Le plan de restructuration Power 8, de Louis Gallois, amène plusieurs interrogations car il ne s’attaque qu’aux conséquences de la nouvelle situation. Les problèmes de gouvernance ne sont pas pris en compte, en terme capitalistique et managérial.
Rien n’est réglé et aucune solution n’est apportée aux dysfonctionnements qui ont conduit au désastre. Les problèmes de management avec les Allemands restent entiers.
Par ailleurs, le problème de câblage électrique de l’A380 à Hambourg n’explique pas la cession de l’usine de St-Nazaire, ou celle à terme de Méaulte. Ce problème technique sert aujourd’hui de prétexte à un véritable changement de modèle industriel calqué sur celui de Boeing, devenu la référence. Ce modèle industriel s’appliquera ensuite aux autres entités d’EADS, notamment Eurocopter. L’objectif, c’est encore et toujours les 10, 12 ou 15 % pour les actionnaires. Déjà, Boeing n’arrête pas de démentir des problèmes sur son 787 et il suffit de regarder les plannings annoncés pour se rendre compte qu’ils ne sont pas tenables. En clair, on se calque sur un modèle industriel qui ne fonctionne pas, mais la règle est dictée par les grands cabinets de consultants qui appliquent partout les mêmes concepts libéraux.
D’ailleurs, personne n’est capable de dire pourquoi du jour au lendemain il faut supprimer 10 000 emplois alors que les usines tournent à plein régime ? Pourquoi 10 000 et pas 8 000 ou 15 000 ?
Les propositions de Ségolène
Ségolène Royal propose que les régions concernées par l’entreprise prennent une partie du capital d’Airbus. Cette mesurette correspondrait seulement à 0,6% du capital de l’entreprise et n’aurait aucun impact sur les réels problèmes structurels d’Airbus, à savoir les retards de l’A380, la non-adéquation de la gamme des moyens porteurs aux besoins des clients et une organisation inadaptée aux besoins d’une entreprise plutôt gérée comme une organisation internationale.
Mais le plus grave, c’est que cette proposition coûterait des milliards d’euros aux contribuables et ces sommes seraient prélevés en majorant les « impôts locaux » ; impôts déjà très injustes car identiques pour les ménages aisés et pour les plus pauvres !
Ségolène Royal l’ignore-t-elle ? Il est vrai que dans son pacte présidentiel, il n’y a pas une ligne sur la nécessité d’une vraie réforme fiscale en France pour mettre fin à ces graves injustices en intégrant notamment les impôts locaux dans les impôts sur le revenu... Seules figurent les propositions N° 12 et 81 (taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées, sanctions financières des communes ne respectant pas le ratio pour les hébergements d’urgence...), aux impacts très limités sur le budget de l’Etat.