samedi 26 octobre 2013 - par Henri Diacono

Après les dégage, terroristes et niqab, la Tunisie respire

 La Tunisie verra-t-elle enfin le bout du tunnel, deux ans après sa révolte devenue révolution, symbole des printemps arabes qui s’en suivirent ? Vendredi 25 novembre 2013 le gouvernement présidé et composé en majorité absolue (à une exception près) d’islamistes ayant conduit le pays au bord du gouffre et de la misère (320.000 familles tunisiennes seraient actuellement sans aucune ressources selon une toute récente étude), a annoncé dans un très bref communiqué sa « démission dans trois semaines », alors que la veille, plusieurs manifestations de rue, hostiles à son égard s’étaient déroulées sur tout le territoire. Ce délai qui aurait dû débuter l’avant-veille, lui avait été imparti par ce que l’on a appelé à Tunis « la feuille de route », initiée et rédigée par le « quartet » composé de formations apolitiques, l’UGTT (Syndicat ouvrier), l’UTICA (Syndicat patronal), l’ordre des Avocats et la Ligue des Droits de l’Homme.

 Une « route » longue de trois à quatre mois, qui, trois semaines après la démission annoncée, doit conduire à la formation d’un nouveau gouvernement composé d’experts apolitiques, puis l’adoption (avec plus d’un an de retard) de la nouvelle Constitution (en panne en ce moment pour ses trop nombreuses références à l’Islam), finalisée par les politiques après avis et corrections de juristes confirmés et indépendants et enfin une loi électorale permettant de choisir une commission indépendante qui fixera le calendrier et organisera de nouvelles élections générales.

 En deux ans, les dirigeants tunisiens parmi lesquels les islamistes dominaient ont annoncé une multitude de calendriers d'adoption de la Constitution et de rendez-vous pour ces fameuses prochaines élections qui étaient devenues les « arlésiennes » d’une politique de débutants ridicules, aucune de ces annonces n’ayant été respectée.

 

 Il se peut que ce chemin devienne un peu plus long que prévu, compte tenu des atermoiements du parti islamique Ennahda qui s’était emparé du pouvoir en 2011 à l’issue d’élections libres, boudées par plus de la moitié d’un corps d’électeurs devenus abstentionnistes par ignorance totae de la politique et de ce genre de scrutin. Chemin plus long car, pour entamer la feuille de route, le dialogue national qui doit débuter entre les principales formations politiques actuelles d’opposition (réunies dans un « front du salut ») et Ennahda, désavoué de plus en plus par les citoyens, risque d’être semé de palabres incessants, d’embûches religieuses et même d’orages.

 Financée en grande partie, sinon en totalité, par le Qatar, dirigée par Rached Ghannouchi son leader septuagénaire qui avait promis « un 6° Califat » en Tunisie à un djhiadiste convaincu de longue date, activement recherché pour meurtres et chef d’une organisation jugée terroriste (Ansar Charia), cette formation n’a cessé en près de deux ans d’accumuler par son laxisme – ou sa volonté – désastre économique après désastre et surtout impunité totale envers des groupes salafistes ayant notamment organisé et exécuté l’assassinat de deux députés de l’opposition, l’attaque de l’ambassade des Etats Unis et surtout, récemment, la mort de plusieurs gardes nationaux (l’équivalent de gendarmes en France) tués au cours d’embuscades ou de luttes contre des groupes de terroristes armés.

 S’ajoutant au désarroi du peuple et sa colère devant l’inflation galopante, c’est ce ras le bol du corps sécuritaire qui, lors des obsèques nationales organisées pour l’assassinat de quatre de ses membres, que « Dégage ! » ce fameux cri devenu célèbre à travers le monde voilà deux ans, a fusé des rangs des militaires à l’adresse des Présidents du pays (République, Assemblée Nationale et Gouvernement). Ce cri a valu à des responsables syndicaux de la police et de la Garde Nationale d’être mis « en arrêt de travail » par le Gouvernement… démissionnaire et chargé depuis vendredi d’expédier comme il se doit les affaires courantes.

 Lors de cet incident de lèse majesté enregistré par micros et caméras des journalistes, un seul officiel avait été épargné par les mutins, le Ministre de l’Intérieur, leur patron, un spécialiste ne militant pas pour le parti religieux. Depuis sa nomination il avait réorganisé tous les services sécuritaires les purgeant des membres ayant des attaches avec Ennahda, créant le corps des « forces spéciales » et menant très vite une lutte féroce contre les extrémistes religieux et les terroristes terrés dans le centre du pays et à la frontière avec l’Algérie.

 Résultat ? En quelques semaines, des centaines de salafistes appréhendés, des dizaines de terroristes tués, qssassins identifiés, un des dirigeants charismatiques de Ansar Charia arrêté, nombre d’armes et de documents récupérées, des projets d’attentats déjoués, notamment contre des casernes ainsi que la disparition progressive dans les rues… des barbus et surtout du niqab. A Kairouan, ces deux attributs ont conduit jeudi à la perte de ceux qui les portaient, dans un scénario qui n’est pas sans rappeler celui qui s’était passé à Bizerte voilà plusieurs semaines. Ce jour là grâce à l’intuition d’une vieille femme, la police s’était saisie d’un homme recherché par la police qui circulait revêtu du niqab tout comme les deux jeunes femmes qui l’accompagnaient.

 A Kairouan, c’est lors d’un contrôle routier, que la police judiciaire a appréhendé un quatuor roulant dans un véhicule tous terrains. A son bord, deux hommes barbus dont un congolais et deux femmes dont une de nationalité française, entièrement revêtues du niqab. Mais également des « uniformes militaires, des ordinateurs portables, des détonateurs d’explosifs à distance et des documents salafistes. Barbus et « niqabées » appartiendraient eux aussi à Ansa Charia.

 La Tunisie commence peut-être à mieux respirer. Inch’Allah !

 



5 réactions


  • Christian Labrune Christian Labrune 26 octobre 2013 12:07

    Henri,
    Merci pour votre article. Je trouve qu’on manque singulièrement d’informations, concernant la Tunisie. Elles sont probablement disponibles si on les recherche, et il est vrai que je ne devrais m’en prendre qu’à moi-même. Mais puisque vous connaissez bien le sujet, je me permettrai de vous faire une question.
    A l’époque où on commençait à se demander si les printemps arabes n’allaient pas plutôt ressembler à l’hiver, on opposait assez régulièrement la Tunisie et l’Egypte. Je lisais assez régulièrement que le développement d’un fanatisme islamique était assez peu concevable dans une Tunisie héritière des réformes de Bourguiba ; on s’inquétait beaucoup plus du sort de l’Egypte. Il a fallu un peu déchanter quand on a vu les Tunisiens de France voter eux aussi en masse pour le parti de Ghannouchi. En Egypte, la fièvre islamiste qui paraissait devoir durer est retombée brutalement, et personne n’aurait pu imaginer il y a un an que les Frères se retrouveraient si rapidement, et avec l’approbation d’une immense majorité, dans la situation où ils étaient du temps de Nasser. En revanche, la situation actuelle en Tunisie paraît confuse. En Egypte, on parlait de « millions » de manifestants. Les média, ces derniers jours, évoquaient seulement des « milliers » de manifestants contre les barbus. Vous avez écrit naguère que les Tunisiens ne supportaient plus du tout Ennahda, et je veux bien le croire, mais comment expliquez-vous qu’un Ghannouchi et ses sbires puissent encore faire lanterner l’opinion en reportant quasi sine die la démission du gouvernement ? Un Tartuffe tel que Marzouki pourra-t-il survivre à cette démission ? Vu de France, ce sinistre pantin paraît odieux. Comment les Tunisiens le perçoivent-ils ?


    • Henri Diacono alias Henri François 26 octobre 2013 12:54

      Je réponds d’autant plus volontiers à vos interrogations que moi-même me les suit souvent posées.
      Primo - Il vous faut savoir que le peuple tunisien n’est pas du tout belliqueux et a tendance - à l’exception de sa jeunesse - à être fataliste dans son ensemble.
      Deuxio - L’armée n’est pas assez puissante pour pouvoir intervenir, Ben Ali qui s’en méfiait l’ayant appauvrie au profit de la police.
      Tertio - Les partis dits d’opposition sont composés pour la plupart de vieux routiers de la politique politicienne, celle du compromis, seuil des compromissions. N’oubliez pas que leur majorité a pris le train de la Révolution en marche... tout comme les islamistes. Mis à part de rares purs et durs dont faisaient justement partie les deux députés assassinés.
      Quattro - Le déclencheur du premier revers d’importance de Ghannouchi et ses sbires a été le « Dégage » lancé par les membres de la Garde Nationale et de la Police à leur égard et à celui de Marzouki. Je vous signale que les syndicalistes de ces corps sécuritaire ont retrouvé samedi leur droit au travail. Donc à présent et à l’instar de l’Egypte, les islamiste ont en face d’eux des forces « militaires » qui peuvent les détruire, à savoir la Garde Nationale et la Police qu’ils n’ont pas réussi à infiltrer. A ce titre j’avais évoqué récemment ici même le rôle supposé de la France dans la création d’un corps de « forces spéciales » au sein de l’armée.
      Enfin Christian, une fois encore ce sont les jeunes qui ont organisé en début de semaine des manifestations de rue qui ont reçu l’aval de la population exacerbée surtout par la misère s’installant dans le pays. Et puis vous savez, pour les médias, l’Égypte - à cause de la violence et de ses morts et du rôle qu’elle peut avoir face à Israël - a plus d’importance que la Tunisie qui restera j’en suis convaincu le symbole des printemps arabes... et de leur réussite.


  • popov 27 octobre 2013 08:33
    @Henri Diacono alias Henri François

    Les bonnes nouvelles attirent moins de monde que les mauvaises.

    Moi aussi je tombe souvent dans le piège de ne commenter que sur les articles qui me permettent de râler sec.

    Bon, je vais faire une exception et féliciter le peuple tunisien pour son retour dans la rue. Pour ne rien vous cacher, je le pensais fatigué et démoralisé et croyais que seule une intervention de l’armée pourrait chasser les imposteurs islamistes.

    • Henri Diacono alias Henri François 27 octobre 2013 09:43

      Mais Popov, c’est le fameux « Dégage » crié haut et fort par l’une des branches de l ’armée ou si vous voulez des services sécuritaires du pays, aussitôt suivi par des manifestations à travers tout le pays, initiées par les les jeunes, rejoints par les « plus vieux », qui a poussé le parti islamiste (il commençait à perdre pied depuis plusieurs semaines) à accepter le dialogue. D’autant que la police y va également de son rejet puis de la chasse aux islamistes depuis qu’elle est dirigée - tout comme la Garde Nationale et son « dégage » - par un ministre d l’Intérieur indépendant des « fous d’Allah ».
      Ce n’est que dans quelques mois, lors des élections générales, que l’on verra, Popov, si la Tunisie aura réussi sa révolution. D’ici là il faudra beaucoup de constance et de vigilance encore au peuple pour que les religieux soient définitivement - non pas chassés - mais écartés de la politique.
      Dernière anecdote qui pourrait faire réfléchir en France ceux qui se disent pour une liberté à tous crins : un dangereux terroriste notoire, a été appréhendé en Tunisie en pleine rue dans laquelle il circulait « camouflé » sous un niqab intégral !
      Encore un mot, l’ami, je suis surpris et je regrette que les médias comme le pouvoir français informent si peu sur la Tunisie. Ils oublient que ce petit pays (12 millions environ d’habitants) qui occupe une position géographique stratégique en Méditerranée est un symbole. S’il réussit sa révolution dite « du jasmin » qui a déclenché tous les printemps « arabes » dont certains en Arabie ont été très vite étouffés, la face du Moyen Orient changera très vite. Dans le bon sens cela va de soi.


    • Christian Labrune Christian Labrune 27 octobre 2013 10:09

      @Popov
      Je crains tout de même qu’il ne soit encore un peu trop tôt pour parler de « bonnes nouvelles ». Ce qui m’inquiète, c’est précisément ce que nous dit Henri : " Les partis dits d’opposition sont composés pour la plupart de vieux routiers de la politique politicienne, celle du compromis, seuil des compromissions.« 
      Les Tunisiens ont eu plusieurs occasions, depuis que les islamistes sont au pouvoir, de ratatiner les Frères. Il y a bien eu des manifestations, mais sans comparaison possible avec l’occupation prolongée de la place Tahrir au Caire ; les sbires de Ghannouchi, alors qu’ils paraissent aujourd’hui complètement discrédités, et s’ils consentent à se retirer, le font au rythme qui leur convient, avec le projet de ne rester qu’un temps au fond de la scène, sans que cela suscite la colère qu’on pourrait attendre.
      Depuis la »révolution« , des gens ont été condamnés et quelquefois emprisonnés parce que leurs propos ou leur comportements contrevenaient aux principes de l’islam ; les manifestations d’antisémitisme sont fréquentes, pour ainsi dire jamais réprimées s’il faut en croire tel article que je viens de lire sur »Jeune Afrique« . Je crains que la constitution qu’ils préparent, à force de »compromis", ne soit beaucoup plus favorable à l’islam que ne l’était même le système de Bourguiba. Or, la seule solution, pour ces pays du Maghreb, passe nécessairement par une interdiction drastique des Frères musulmans et des organisations salafistes tendance jihad. Il est inquiétant à cet égard que ce soit surtout à propos de la Tunisie qu’on ait parlé d’un jihad du sexe qui représente quand même le comble de l’horreur. Bref, j’ai de plus en plus l’impression que dans ce charmant pays une minorité très civilisée cohabite avec le plus sinistre obscurantisme. L’obscurantisme est nécessairement condamné par l’évolution, mais ça peut quand même prendre un certain temps si on ne décide pas d’en finir avec la politique des compromis.


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