Au Bistro de la Toile : du revenu universel au don d’organe obligatoire
- Ben voilà. Tu l’avais vu venir Victor : c’est Hamon qui vire en tête. Nettement. Mais y avait pas beaucoup de spectateurs tout de même…
- C’est vrai. 1,3 million d’électeurs, ce n’est pas rien, mais ça ne légitime pas grand-chose si on compare ce chiffre aux 45 millions d’électeurs inscrits sur les listes. L’intérêt c’est que les deux finalistes incarnent réellement deux visions « irréconciliables » du socialisme.
Valls, c’est la continuité. La continuité à gérer comme il l’a fait avec Hollande, dans le sillage des économistes néolibéraux. Valls, c’est Blair ou Schroeder avec 20 ans de retard. Valls, c’est une social-démocratie éculée, qui a perdu son attractivité, sa nouveauté, qui est rentrée dans le moule ultralibéral triomphant. Comment espère-t-il faire rêver en se faisant complice d’une organisation de la société qui fait de l’homme, et encore plus de la femme, des esclaves « modernes » trimant avec des contrats précaires, sans possibilité de se défendre. Ceci au seul profit d’une petite minorité de parasites qui leur distille « l’emploi » comme une aumône rare. Et avec pour perspectives le stress, la dépression, le « burn out » comme ils disent maintenant, le cancer dû au travail, les maladies cardio-vasculaires, voire le suicide. Et s’il évite tout cela, la retraite à 67 ans et plus si affinité. Après quoi, esquinté par le travail, il ira pour quelques années (ou mois) de retraite « bien gagnée » dans des mouroirs où ses maigres éconocroques iront remplir les poches des maquereaux promoteurs des maisons de retraite. Là, gavés de médicaments assommoirs pour foutre la paix à un personnel rare et mal payé et engraisser l’industrie pharmaceutique, il attendra de débarrasser le plancher. Et si quelques morceaux de ses viandes sont récupérables avant d’être avariées, elles seront vendues pour être greffées sur d’autres. Sans sa permission maintenant. C’est nouveau, ça vient de sortir depuis le début de l’année.
- Qu’est-ce que tu dis là ?
- Ben ouais. Le don d’organe, tu connais. C’est formidable. J’ai un voisin, l’été, dans les Hautes Terres, qui a été greffé du foie et d’un tas d’autres bouts de barbaques. Il pète le feu. Je suis donc foncièrement pour le don d’organe mais je tiens à garder la décision. Or depuis le premier janvier, tout Français est donneur d’office. S’il ne veut pas, il doit s’inscrire sur une liste !
- Eh ! Oh ! Et qui c’est qui a la décision ?
-Ben, les toubibs. Dès qu’un toubib, ou j’espère plusieurs, dans un hosto ou une clinique, constate - ou considère - qu’un patient est en état de mort cérébrale, il peut le détailler en pièces détachées… Bien sûr, ça facilitera les greffes mais… gare aux dérives !
- …teng ! T’as raison. Faut faire gaffe. Si les toubibs ont des « commandes » de riches malades, ils peuvent éventuellement « anticiper » ou « aider » la « mort cérébrale ». Bon. Buvons un coup et parlons d’autre chose. Alors tu parlais de Valls et Hamon. Valls, c’est du réchauffé. Mais Hamon, c’est mieux ?
- Hamon, c’est « de gauche ». Il a un programme réellement de gauche, assumé, en rupture avec un système éculé. Sa mesure phare – le revenu universel – sur lequel Valls tape comme un sourd, ne sera évidemment pas mise en place du jour au lendemain. Mais le fait d’ouvrir le débat est positif.
- Tu y crois toi à ce truc ?
- Sans être naïf, on peut espérer qu’il sera un jour prochain mis à l’essai. Mais il y a différentes visions de ce revenu universel, ou revenu de base. Il peut être pensé comme un moyen de s’affranchir de l’aliénation par le travail imposé par le capitalisme. Benoît Hamon veut un revenu de base pour tous, quel que soit le revenu du bénéficiaire. Il rétablit ensuite l’égalité par la fiscalité : ce revenu touché par une personne ayant un bon salaire sera en fait restitué en partie par l’impôt puisqu'il changerait de tranche. Dans son système, toute la protection sociale demeure, tant l’assurance maladie que l’assurance chômage. Le financement serait assuré en partie par les économies réalisées grâce à la fusion de toutes les aides existantes et par une rénovation de la fiscalité, notamment avec la création d’une taxe carbone, d’une taxe sur les transactions financières, d’une taxe sur les robots. Hamon pense qu’avec ce revenu universel, les salariés retrouveraient un pouvoir de négociation face aux patrons puisqu’ils ne seraient plus tenus de s’incliner toujours plus bas par crainte du chômage.
Il y a aussi la manière ultralibérale de voir ce revenu universel. C’est l’école de l’économiste étasunien Milton Friedman. On donne à chaque adulte une somme (pas très importante, de l’ordre du RSA actuel). Ce « revenu de liberté » serait financé par une « flat tax », un impôt uniforme autour de 22 à 25 % pris sur tous les revenus, y compris ceux du patrimoine. Un impôt qui remplacerait l’impôt progressif sur le revenu mais aussi tous les prélèvements obligatoires. Avec évidemment suppression de toutes les aides existantes, prestations familiales, minima sociaux, bourses, etc. De plus, la simplification administrative permettrait de se débarrasser de milliers de fonctionnaires. Censée lutter contre la pauvreté, ce système reviendrait en fait à supprimer tous les filets de sécurité des plus fragiles tout en effectuant un transfert de fric vers les plus hauts revenus.
- Ouais. Pas facile tout ça. Il convient donc de ne pas se laisser éblouir par cette proposition, peut-être trop belle pour être honnête. On peut aussi redouter que les patrons en profite pour déduire du salaire qu’ils proposent le montant de ce revenu universel qui ne serait dès lors plus qu’une subvention généralisée aux entreprises, abaissant d’autant le coût du travail ! Et puis, avec ce système, les femmes au foyer toucheraient ce revenu, ce qui serait une façon de reconnaître leur énorme travail domestique. Elles resteraient à la maison et feraient des petits ? Eh ! Oh ! Ce serait peut-être bon pour la démographie du pays tout en résorbant le chômage mais bonjour l’épanouissement des femmes ! Ce serait plutôt un piège pour les remettre sous la coupe des mâles… Pas très bon tout ça Victor.
-Tu touches du doigt la complexité de la chose Loulle. Mais tu vois, rien que le fait d’en parler fait avancer le schmilblick. Le revenu universel est une utopie brillante, à notre portée ! Pour en revenir à Hamon, il a besoin de clarifier sa position sur quelques points : il n’est pas clair sur la laïcité, pas clair avec l’islam, pas clair avec les migrants. Il devra clarifier car se faire élire à la présidentielle, ce n’est pas pareil qu’au conseil municipal de sa ville de Trappes où il y a une importante filière de départ de djihadistes.
- Allez ! À la nôtre ! Ça nous éclaircira les boyaux de la tête !
Illustration : merci au regretté Chimulus