Au grand savant la communauté rancunière
Il y a quelques années, alors que la pénalisation de la négation du « génocide » arménien était à l'ordre du jour du Parlement, Le Monde prévoyait que la publication des œuvres de Pierre Loti serait bientôt impossible. Aujourd’hui nous vivons quelque chose d’analogue.
Le Professeur Gilles Veinstein nous a quittés le 5 février. Il était titulaire de la chaire d’histoire de l’Empire Ottoman au Collège de France, ainsi qu’à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il a écrit de nombreux ouvrages , dont un sur l’Europe et l’Islam en collaboration avec Henry Laurens. Pour la revue L’Histoire il a écrit un article admirable sur la mort de Soliman le Magnifique.
Pourtant la quasi-totalité des médias français n’ont rien dit sur sa disparition. Les associations turques, notamment Ataturquie, ont exprimé leur émotion. Le Monde a seul publié un article qui concluait ainsi : « Un grand savant en somme ». C’en était trop pour les extrêmistes arméniens, pour lesquels Gilles Veinstein n’est qu’un « professeur controversé », et qui ont obtenu le retrait de l’article du site web du journal. C’est grâce à l’action du site Turquie News que l’article est revenu sur le site du Monde.
En 1999 les extrêmistes arméniens avaient tenté d’empêcher la nomination de Gilles Veinstein au Collège de France au motif qu’il n’employait pas le terme de génocide à propos des massacres de 1915 en Anatolie.
Gilles Veinstein, lors de la remise du Prix des Turcophiles décerné par l’Association Ataturquie en 2010, s’était longuement interrogé : « Suis-je un turcophile ? ». Il répondait que sa vocation initiale était celle d’un historien et qu’il s’était intéressé dans sa jeunesse à l’Empire Ottoman pour l’unique raison du nombre considérable de documents d’archives existants et peu exploités dans cet immense empire.
Il dénonçait dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 1999 les préjugés entretenus depuis des siècles sur l’Empire Ottoman et les Turcs, du fait desquels lui-même se trouvait mis en cause : « Les clichés, les préjugés immémoriaux, si bien ancrés dans les esprits qu’il leur arrive encore de resurgir aujourd’hui, ont conduit à de telles distorsions que le familier des archives, aussi peu enclin soit-il à se poser en justicier, ne peut que les redresser, Il ne lui en faut pas plus pour passer aux yeux d’esprits sectaires, pour le propagandiste d’une réhabilitation, voire comme un faux témoin au tribunal de l’histoire, quand ses objectifs sont d’un ordre radicalement différent. »
Quel dommage qu’un professeur d’une telle qualité, un tel style, n’ait pas été salué par la presse française et les autres médias lors de sa disparition ! Quel dommage qu’il ait une fois encore été victime de ces esprits sectaires, de cette police de la pensée que dénonce Turquie News.
Au fronton du Panthéon nous pouvions lire « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Lirons-nous désormais « Au grand savant la communauté rancunière » ?