mardi 21 novembre 2017 - par Emile Mourey

Au journal auvergnat « La Montagne » au sujet de la bataille de Gergovie. Merci de publier

Dans son article du 17.11.2017, votre journaliste écrit ceci : Si le personnage de Vercingétorix a fait fantasmer des générations de Français depuis le XIXe siècle, il est rare de percevoir l’action du chef des Arvernes sous un aspect strictement militaire. Dans l’ouvrage très érudit qui vient de paraître, Vercingétorix chef de guerre, Alain Deyber, spécialiste de l’archéologie celtique, ancien officier de l’Armée de terre et ancien enseignant d’histoire militaire, démontre comment et pourquoi le chef gaulois approcha de si près la victoire finale.

Je suis, moi aussi, un ancien officier de l'Armée de terre, saint-cyrien comme M. Deyber, et j'ai traité de l'aspect militaire de la guerre des Gaules bien avant lui. En 1993, j'ai offert mon "Histoire de Gergovie" à l'un de vos journalistes qui s'est montré très enthousiaste. Surprise ! Le 9.12.1993, vous publiez un court entrefilet qui me ridiculise : un lieutenant-colonel de Zouaves à la retraite soutient que c’est au Crest, à l’extrémité de la montagne de la Serre qu’il faut situer l’oppidum gaulois défendu par Vercingétorix, etc... Le 29.7.1994, dans un article intitulé "L'homme du Crest", vous ridiculisez l'adjoint au maire, M. Beaumont, qui a pris mon parti. La librairirie de Clermont brûle mes " Histoire de Gergovie" que mon épouse y a mis en dépôt. Les archéologues de la région me font passer pour un illuminé. Le modérateur de Wikipédia m'exclut du débat et on vient m'insulter sur Agoravox.

Que le lecteur juge ! Latiniste, légion d'honneur, simple citoyen, voici, en italiques, ma traduction des "Commentaires" de César.

Venant du nord par l'itinéraire normal qui mène à l'Auvergne, César arrive en vue de Gergovie. Sa cavalerie est en avant-garde. Après un petit combat de cavalerie "facile", Il établit son camp pour la nuit. On en a retouvé la trace mais au-delà du plateau de Merdogne où vous situez Gergovie. Cela signifie que Vercingétorix ne défendait pas Merdogne mais la hauteur qui se trouvait plus loin : la montagne de la Serre, là où il faut situer la vraie Gergovie.

Depuis son camp, César voit la ville (urbs) "posée" sur un mont "trés haut", difficile d'accès. Il s'agit de la ville du Crest toujours existante.

Vercingétorix avait installé ses camps sur le mont, près de l’oppidum. L’oppidum, c’est la haute fortification qui se dresse au sommet, au-dessus de la ville, et dont il ne subsiste qu'une tour ; mais cela désigne aussi tout le plateau défendu naturellement par ses flancs abrupts. Séparés par un simple intervalle, ses camps sont autour de lui. Toutes les pentes de la ligne de crête sont occupées, horrible spectacle.

Tous les jours, Vercingétorix lance contre les Romains une troupe de cavaliers et d'archers mélangés pour éprouver le courage et la valeur des siens. 

Au pied du mont et face à lui, on voit un versant (collis). Il s'agit du versant nord du plateau de Merdogne, de l'autre côté de l'Auzon... remarquablement fortifié. Il s'agit du village de La Roche-Blanche. La place était tenue par une garnison gauloise assez importante. Malgré cela, César, dans le silence de la nuit, sort de ses camps, et avant qu'on ne puisse venir les secourir de l'oppidum, il déloge les Gaulois de la position. Maître de la place, il y installe deux légions. Il relie les grands camps aux petits par un double fossé de douze pieds de large, en sorte que même les hommes isolés peuvent y circuler librement à l'abri d'une attaque soudaine de l'ennemi.

Ce double fossé a été retrouvé, mais on a cru que c'était pour attaquer le plateau de Merdogne.

On annonce à César qu'une colonne de secours conduite par l'Éduen Litavic se dirige sur Gergovie. Il se porte à sa rencontre mais celle-ci lui échappe et attaque en force les camps romains qui courent un grand péril.

Manoeuvre de César. Etant venu aux petits camps (de La Roche-Blanche) pour inspecter les travaux, César remarque que le versant occupé par les Gaulois est "nu” d'hommes alors que les jours précédents, on ne pouvait qu'à peine en voir le sol tant il y avait foule. Surpris, il en demande la raison aux déserteurs qui chaque jour arrivent en grand nombre dans ses lignes. Tous confirment ce que César savait déjà par ses espions, à savoir que le dos de cette crête est presque plat, mais boisé et étroit à l'endroit où l'on a accès à l'autre bout de l'oppidum. Les Gaulois craignaient beaucoup pour ce point, car ils se rendaient compte que si les Romains, après avoir occupé un versant, (de la Roche-blanche, au nord) leur prenaient l'autre versant (au sud), ils se trouveraient presque encerclés et ils n'auraient plus de chemin libre, ni pour sortir ni pour fourrager. Vercingétorix les avait tous rappelés pour fortifier cet endroit.

César envoie de ce côté plusieurs escadrons de cavalerie au milieu de la nuit. Il leur recommande d'aller un peu partout en faisant un peu plus de bruit que d'habitude. A l'aube, il ordonne que l'on fasse sortir des camps un grand nombre de (chariots de) bagages, ainsi que des muletiers coiffés de casques, et il donne comme consignes qu'on les conduise par un mouvement tournant prendre à revers le versant comme le ferait une troupe à cheval. Il les renforce de quelques cavaliers qui reçoivent la mission de rayonner plus loin dans le seul but de se montrer. Il précise en outre dans ses ordres que c'est en faisant un long détour qu'il faut diriger tout ce monde-là vers l'objectif fixé.

De l'oppidum, on voyait tous ces mouvements de loin, car de Gergovie, la vue plongeait sur les camps, mais à une telle distance, il n'était pas possible d'observer ce qu'il en était dans le détail. En outre, César envoie en direction de la crête une légion et après un début de progression, il la fait obliquer vers un lieu bas et la cache dans les bois.  

L'inquiétude grandit chez les Gaulois. Il appellent toutes leurs troupes sur les retranchements qui leur semblent être menacés. Lorsque César se rend compte que les camps des Gaulois sont vides, il fait passer des soldats par groupes fractionnés des grands camps dans les petits camps (de la Roche-blanche). Les insignes et les enseignes avaient été dissimulés de façon que, de l'oppidum, on ne remarquât rien. Il explique aux légats qu'il a placés à la tête de chaque légion ce qu'il veut que l'on fasse. iI les exhorte en premier lieu à maintenir la cohésion des troupes en veillant à ce que les soldats ne se laissent entraîner trop loin, ni par l'ardeur des combats, ni par l'espoir du butin. Il leur explique ensuite à quel point le terrain leur est défavorable. Pour remédier à cette situation, un seul moyen s'offre à eux : la rapidité. Le succès de l'opération reposait non sur le combat mais sur l'initiative. César donne le signal de l'assaut et il envoie en même temps les Eduens, à droite, par une autre montée.

Dispositif défensif des Gaulois. La distance entre la muraille de l'oppidum et la plaine était à vol d'oiseau de mille deux cents pas, comptés à partir de l'endroit où la montée commençait. Il fallait ajouter à cette distance celle des détours qui rendaient la montée plus facile mais augmentaient la longueur du chemin. Les Gaulois avaient dressé en avant de l'oppidum, à mi-pente du versant, dans la longueur, tout en suivant le relief de la montagne, un mur en grosses pierres de six pieds de haut (1m80), pour briser l'élan des Romains.

Attaque des camps gaulois par les Romains.  Au signal donné, les légionnaires se portent rapidement vers le retranchement et après l'avoir franchi, ils se rendent maîtres de trois camps. L'action fut si rapide que Teutomatus, chef des Nitiobroges, surpris dans sa tente en train de faire la méridienne, n'échappa que de justesse aux mains des soldats qui couraient au butin. Il réussit à s'enfuir, le torse nu, sur son cheval blessé

Attaque de l'oppidum. Ayant atteint son objectif, conformément au scénario qu'il avait prévu, César donne l'ordre de sonner la retraite et, haranguant les soldats, il fait dresser les enseignes pour rassembler la dixième légion avec laquelle il marche. Mais les soldats des autres légions n'entendent pas la sonnerie de trompette à cause du vallonnement assez large qui les séparait de César. Malgré les efforts des tribuns et des légats qui essaient en vain de les retenir comme César l'a prescrit, les soldats ne s'arrêtent pas Transportés par l'espoir d'une prompte victoire, encouragés par la fuite des Gaulois et par le souvenir de leurs anciens succès, ils se persuadent qu'il n'y a aucun obstacle que leur courage ne peut surmonter. Ils ne cessent la poursuite qu'une fois arrivés au pied de la muraille de l'oppidum, puis ils se dirigent vers les portes.

Combat retardateur des femmes de Gergovie. Alors, dans toutes les parties de la ville, une clameur éclate. Ceux qui sont plus loin, terrifiés par ce tumulte soudain, pensent que l'ennemi a franchi les portes et sortent précipitamment de l'oppidum. Les mères de famille jettent du haut des murs des étoffes et de l'argent. Les mains ouvertes dans le geste des suppliantes, elles font saillir leur poitrine nue, elles demandent aux Romains de jurer d'épargner les femmes et les enfants et de ne pas recommencer ici ce qu'ils ont fait à Avaricum. Plusieurs même, descendant des murs en s'agrippant aux pierres, se livrent aux soldats.   

L. Fabius, centurion de la VIIIème légion, avait dit à ses hommes ce jour-là — le fait est établi — que les récompenses accordées à Avaricum stimulaient son ardeur et qu'il avait décidé d'escalader le mur avant quiconque. Entraînant avec lui trois soldats de son manipule, il se faitt soulever par eux et franchit le mur. Puis, il les tire à lui chacun à leur tour.

La contre-attaque gauloise.  Pendant ce temps-là, les Gaulois qui s'étaient regroupés à l'autre bout de l'oppidum pour y travailler aux retranchements, comme nous l'avons expliqué précédemment, entendent tout d'abord la clameur. Informés ensuite par ceux qui, nombreux, viennent leur annoncer que l'oppidum est tombé aux mains des Romains, ils se précipitent en masse et au pas de course (vers l'oppidum), en se faisant précéder de leurs cavaliers. Au fur et à mesure qu'ils arrivent, ils se placent au pied des murs et viennent grossir toujours davantage le nombre des combattants. Lorsqu'ils furent une multitude, les mères de famille qui, un instant plus tôt, tendaient les mains vers les Romains du haut des murs, se tournent vers les leurs en les adjurant et en leur montrant leurs cheveux défaits suivant la coutume gauloise. Puis, à bout de bras, elles lévent leurs enfants vers eux. La position et le nombre jouent contre les Romains. La lutte est trop inégale. Epuisés par la course et par le prolongement du combat, les Romains résistent difficilement face à des troupes fraîches et intactes.

César met en place un dispositif de recueil. Voyant que les siens combattent dans une position défavorable, que le nombre des ennemis augmente sans cesse, pressentant par ailleurs que les choses vont mal tourner, César fait porter au légat T. Sextius qu'il avait laissé à la garde des petits camps le message suivant : « Fais sortir de toute urgence tes cohortes. Installe-les solidement au bas du versant, sur le côté droit face à l'ennemi pour le menacer et gêner sa poursuite au cas où les nôtres seraient rejetés de la position. » César, quant à lui, s'étant avancé avec sa légion un peu en avant de la position sur laquelle il s'est rétabli, attend l'issue du combat.

Fausse manoeuvre de César. Le corps à corps est d'une âpreté exceptionnelle. Les Gaulois ont l'avantage de la position et du nombre. Les Romains placent leur espoir dans leur valeur militaire. César a envoyé les Eduens (ceux d'Éporédorix) à droite, par un autre chemin, dans l'intention de leur faire exécuter une manœuvre à distance. Soudain, ces Eduens arrivent sur le flanc découvert des légionnaires. Leurs armes sont semblables à ceux d'en face. La panique se met dans les rangs, et bien que les nouveaux arrivés présentent leur épaule droite découverte — ce qui était le signe de reconnaissance convenu — les Romains croient que c'est une ruse.

Échec de l'attaque romaine contre l'oppidum. Pendant ce temps, le centurion L. Fabius et ceux qui ont escaladé la muraille en même temps que lui sont encerclés, puis massacrés et jetés au pied du rempart. M. Petronius, centurion de la même légion, s'efforçait d'enfoncer les portes. Accablé sous le nombre, couvert de blessures et se voyant perdu, il s'écrie à l'adresse des soldats de son manipule qui le suivaient : « Puisqu'il ne m'est pas possible de me sauver avec vous, laissez-moi au moins assurer le salut de vos vies que mon amour de la gloire a mises en péril. » Ayant prononcé ces mots, il se précipite au milieu des Gaulois, en tue deux et fait reculer un peu les autres de la porte. Comme ses hommes viennent à son secours, il ajoute : « Vous voulez me sauver la vie. Votre tentative est vaine, j'ai perdu trop de sang et mes forces m'abandonnent. Partez d'ici, il est encore temps, rejoignez la légion ! » Puis, les armes à la main, il tombe au champ d'honneur en sauvant la vie des siens.

Recueil des légions en déroute et décrochage des légions placées en soutien. Après avoir perdu quarante-six centurions, les Romains, pressés de tous côtés, sont rejetés de la position. Les Gaulois les poursuivent de très près. La dixième légion, qui s'est établie en réserve sur une position où le terrain est un peu moins en pente, brise leur élan. A leur tour, les cohortes de la treizième légion, que le légat T. Sextius a fait sortir des petits camps et installer sur un point haut, assurent le recueil de la dixième légion. Dès que les Romains arrivent dans la plaine, ils retournent contre ceux qui les poursuivent les enseignes un moment mises en péril. Vercingétorix, qui est descendu avec les siens jusqu'au pied du versant, les ramène alors à l'intérieur des fortifications. Ce jour-là, les Romains déplorèrent la perte d'un peu moins de sept cents hommes.

Piètre discours de César devant le front des troupes.  Le lendemain, César, devant le front des troupes, blâme la témérité et la cupidité des soldats. « Vous avez décidé de vous-mêmes ce qu'il vous semblait bon de faire, fixant vous-mêmes la limite de votre action. Rien n'a pu vous retenir, ni le signal du repli, ni les tribuns, ni les légats. » Il leur explique ce qui fait l'avantage et le désavantage d'une position. Il leur rappelle la décision qu'il avait prise après mûre réflexion, alors qu'il faisait route vers Avaricum. « Nous avions surpris les troupes ennemies sans chef et sans cavalerie, mais j'ai renoncé à une victoire pourtant assurée pour la simple raison que je ne voulais pas subir de pertes même légères dans un combat où le terrain m'était défavorable. Autant j'admire le courage exceptionnel de ceux qui ne se sont laissé impressionner ni par les retranchements des camps, ni par la hauteur de la montagne, ni par la muraille de l'oppidum, autant je blâme la présomption et l'indiscipline. Ainsi, on s'est cru capable, mieux que le général, de décider sur le terme d'une action ou sur sa poursuite jusqu'à la victoire. Ce que je demande aux soldats, c'est autant de modestie et de discipline que de courage et de valeur militaire. » Sa harangue terminée, César, pour remonter le moral des troupes, ajoute qu'il ne faut pas se troubler l'esprit sur la cause de cet échec et qu'on ne doit pas attribuer à la valeur militaire des Gaulois ce qui n'est dû qu'à la pente du terrain.

César réfléchissait aux projets qu'il avait conçus antérieurement. Il fait sortir des camps les légions et les déploya en lignes de bataille sur de bonnes positions. Comme Vercingétorix n'en restait pas moins à l'intérieur de ses retranchements et comme il ne voulait manifestement pas descendre sur un terrain plat (et équitable), après un petit combat de cavalerie où il eut l'avantage, César fait rentrer son armée aux camps. Le lendemain, il fait de même. Estimant avoir ramené la parade des Gaulois à son véritable niveau, en même temps qu'il relevait le courage de ses soldats, César fait lever les camps et se met en route vers le pays des Eduens.

Emile Mourey, 21 novembre 2017, site internet www.bibracte.com

 



5 réactions


  • Emile Mourey Emile Mourey 21 novembre 2017 13:54

    Au lieu de « Il s’agit du versant nord du plateau de Merdogne, de l’autre côté de l’Auzon », lire « versant sud ».


  • Antenor Antenor 21 novembre 2017 18:27

    L’histoire médiévale du Crest est vraiment complexe à l’image de l’organisation politique auvergnate de l’époque mais il y a une constante : à chaque fois qu’une famille (re)devient puissante en Auvergne, elle prend possession du Crest. On trouve ainsi les Dauphins, Comtes, Chazeron, Roche-Aymon, Vienne, Grasdepain, Langeac, Ribeyre, Ormesson sans parler du chapitre collégial et de l’abbaye de Mozac.

    Le cas des Chazeron est par exemple très intéressant. Lors du démembrement du Comté à la fin du 14ème siècle, on aurait pu s’attendre à ce que le Duc de Berry s’empare du Crest comme d’Usson. Et bien non, ce sont les Chazeron, des seigneurs au rang certes inférieur mais chambellans des Rois de France qui l’ont récupéré. Idem à une époque plus récente pour les intendants royaux Ribeyre et Ormesson sans doute jugés plus fiables par la Couronne que les seigneurs locaux frondeurs.


  • vesjem vesjem 21 novembre 2017 18:50

    excellente étude
    j’ai lu « ceux de bouvine » d’A.Dupouy sur le sujet, roman historique déjà ancien mais peut-être encore d’actualité


  • JMBerniolles 22 novembre 2017 20:29
    Article intéressant où l’on peut apprécier la qualité de stratège de César et avoir une notion de la faiblesse qui a coûté la victoire militaire aux Gaulois, c’est à dire la nécessité de gérer une union de tribus..... Je n’avais jamais pensé à cela sous cet angle.



  • JC_Lavau JC_Lavau 22 novembre 2017 21:45

    Il faudrait la carte au 25 000. Illisible sur la carte au 200 000.


    Je retiens que là comme souvent, il y a une vérité officielle dont le clergé est capable de toutes les violences.

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