samedi 22 août 2020 - par Zaouder Touré

Avec deux coups d’Etat en huit ans, l’instabilité s’installe durablement au cœur du pouvoir malien

Tout coup d'Etat n'est pas condamnable par exemple au Soudan en 2019 contre le dictateur Omar el Bechir, contre Mamadou Tandja au Niger en 2010 qui voulait un troisième mandat en violation de la constitution du Niger et en provoquant un chaos institutionnel dans ce pays, contre l'ancien dictateur Moussa Traoré au Mali en 1991, etc. 

Mais le coup d'Etat actuel contre Ibrahim Boubakar Keïta et celui contre Amadou Toumani Touré en 2012 ont en commun le fait d'être dirigé contre des présidents élus démocratiquement et de mettre fin illégalement à la durée de leurs mandats. Le changement violent du pouvoir d'aujourd'hui rend possible et légitimise de nouveaux renversements violents du pouvoir dans le futur surtout dans le cas du Mali contre des présidents élus démocratiquement. A la place des urnes, c'est sera la loi de la jungle au cœur de l'Etat. En réalité il signifie tout simplement l'effondrement de l'Etat.

D'où le caractère progressiste de la démocratie capitaliste-salariale. Certes elle est limitée, en tant que marxiste c'est ma conviction, mais cette démocratie est de loin la meilleure forme de gouvernance dans le cadre du capitalisme-salariat mondial. Historiquement, la forme actuelle de la démocratie ne peut rien contre le chômage et la précarité. Mais c'est sous cette forme de gouvernance que l'instabilité de l'Etat peut être réduit au minimum et permettre ainsi un développement optimal de l'économie. Mais il ne faut pas se faire d'illusion, ce progrès de l'économie signifie le développement du chômage sous diverses formes : chômage pur, précarité et sous-emploi. Au XXIe siècle, la généralisation du chômage à la majorité de la population active est donc inévitable partout dans les pays développés et émergents.

Le problème de l'insécurité djihadiste n'est pas un problème propre au Mali. Au Niger, Burkina Faso, au Tchad c'est un problème quotidien ; au Nigéria les djihadistes contrôlent même certaines villes et villages. Ce problème d'insécurité régionale est dû à l'extrême pauvreté des Etats. En général, le djihadisme se développe principalement dans les pays en guerre Irak, Syrie, Afghanistan, etc. ou dans les pays pauvres comme en Afrique subsaharienne où les Etats manquent structurellement de moyens matériels efficaces contre le terrorisme. Le soutien des pays développés sera donc décisif. Les moyens que ceux-ci déploient actuellement au Sahel sont insuffisants, il faudra les doubler ou tripler pour améliorer la sécurité au Sahel.

Le problème de la corruption est un justificatif classique des coup d'Etat au Mali. Je ne nie pas la réalité de ce phénomène mais sa résolution ne passe pas forcément ni par la démission du président élu ni par un renversement violent de l'Etat source d'instabilité durable. Au lendemain du coup d'Etat de 1968 contre le père de l'indépendance du Mali, Modibo Keïta, on trouvait le motif de la corruption :

Les " contestataires ", qui se recrutent en particulier dans les milieux modestes, dénoncent, quand ils le peuvent, " l'accaparement des richesses par une minorité ", la corruption qui paraît s'étendre à l'appareil de l'Etat et dans le secteur nationalisé, le gâchis de l'aide extérieure, etc.(1)

C'est le même discours de l'opposition malienne d'aujourd'hui. Un moyen classique pour mobiliser la masse au sein de laquelle le poids de l'analphabétisme et la religion pèse lourdement : tous les politiciens sont des voleurs sauf évidemment ceux (l'opposition politico-religieuse) qui les dénoncent. C'est un puissant moyen de mobilisation très très efficace que toutes les oppositions ont utilisé. Par exemple, ce justificatif de la corruption revient aussi lors du coup d'Etat salutaire contre le dictateur Moussa Traoré après 23 ans au pouvoir :

" Considérant l'obstination du régime de Moussa Traoré de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, considérant le climat dans lequel ce régime a plongé notre pays, considérant le mépris affiché face aux inquiétudes de notre peuple d'accéder à une vie juste et honnête, nous, forces armées et de sécurité du Mali, constituées en Conseil de réconciliation nationale, avons décidé, en collaboration avec les organisations démocratiques de notre pays, de mettre fin au régime sanguinaire et corrompu de Moussa Traoré et de son clan. A partir de cet instant, le Conseil de réconciliation nationale, sous la conduite du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, prendra en charge le maintien de l'autorité de l'Etat, la sécurité des biens et des personnes sur toute l'étendue du territoire national (...). Que soient bannis à jamais la corruption, l'affairisme, le népotisme et toutes les autres pratiques inavouables dans notre cher Mali (...). "(2)

Derrière la soi-disant lutte contre la corruption, le but de l'opposition n'est pas le progrès du Mali mais de s'emparer du pouvoir par tous les moyens y compris par la violence d'où leur sympathie avec les putschistes. Ce coup d'Etat ne va rien changer aux problèmes structurels du Mali au contraire à l'insécurité du Nord, du centre va s'ajouter une instabilité au cœur même de l'Etat en légitimant l'accès au pouvoir par la violence contre un président élu démocratiquement.

 

 

Notes

(1) "Le Monde" du 20 Novembre 1968

(2) "Le Monde" du 27 Mars 1991



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