samedi 28 novembre 2009 - par
Vesontio est l’oppidum le plus important des Séquanes (DBG I, 38)...Dans cet oppidum, il y a tout ce qu’il faut pour la guerre (c’est-à-dire pour soutenir un siège)...la nature du lieu naturellement fortifié le rendait apte à conduire une guerre importante (c’est-à-dire à soutenir un long siège). En effet, le fleuve Doubs entoure presque tout l’oppidum, comme un cercle tracé au compas. L’espace que le cingle laisse libre ne mesure pas plus de 1600 pieds (464 mètres, c’est la distance de l’étranglement). Cet espace est fermé (verrouillé) par un "mons" (une hauteur), très haute. (J’ai inversé la phrase ; littéralement, c’est le mont qui verrouille l’espace libre). C’est ainsi, en quelque sorte, que les racines du mont (ses pieds) se touchent de part et d’autre aux deux rives du fleuve. Un mur (murus) qui l’entoure en fait une forteresse/citadelle... ce mur se lie à l’oppidum...
Besançon : Vesontio et son mystère
Au temps des Gaules, Besançon était l’oppidum le plus important du peuple séquane. Bien que soulignant l’importance de ce peuple, Strabon ne cite pas la ville. César est le premier à en parler en lui donnant son nom gaulois, un nom qui s’est transformé en Besançon plusieurs siècles après.
Le mur gaulois de la discorde.
Je n’ignore pas que les archéologues ont ouvert un important chantier de fouilles à Besançon, il y a quelques années. Je sais aussi qu’ils ont présenté une exposition pour essayer de sensibiliser le public au passé gaulois de la ville mais je n’ai pas suivi l’affaire, ayant bien d’autres choses à m’occuper. C’est Antenor qui, dans le fil de mon article précédent, a attiré mon attention sur un article paru le 19 février 2002 intitulé "Le mur gaulois de la discorde", je cite : ... pourtant à la mi-août 2001, le fameux " murus gallicus " de Vesontio (Besançon) que César a vu lors de sa première campagne en Gaule, en 58 avant J. -C. et qu’il décrit dans la Guerre des Gaules est mis au jour par les archéologues. 2 200 ans d’histoire de la ville jaillissent au milieu d’un tas de gravats. Après les murs de Bibracte au Mont-Beuvray et de l’oppidum de Tittelberg au Luxembourg, ce rempart gaulois de 6 mètres de large sur 2 mètres de haut offre à Besançon la possibilité d’entrer dans le club mondial très fermé des villes d’intérêt archéologique. http://www.humanite.fr/2002-02-19_S....
Je suis un peu surpris. César n’a jamais parlé d’un "murus gallicus" qu’il aurait vu à Besançon. C’est seulement à Bourges qu’il mentionne un mur de ce genre. Il en donne d’ailleurs une description très détaillée. Il me semble que s’il avait vu un murus gallicus à Besançon, il l’aurait spécifié.
Je ne vois pas exactement où les archéologues auraient retrouvé cette portion de mur de six mètres de large et de trois mètres de haut, objet de discorde ; de quelle discorde ? Je ne sais pas. Apparemment, cette portion aurait fait partie d’un mur qui aurait longé le cingle, à l’intérieur, de façon à dominer la rivière. Mais cela correspond-il à la description que César donne de la position ?
Je lis que ces archéologues auraient pris pour référence la traduction que le professeur Constans a faite du texte de César en 1926 http://books.google.fr/books?id=cXt... ;
C’est justement ce qu’il ne fallait pas faire. Cela fait des années que je corrige les passages de son texte qui ont trait aux opérations militaires de César. De toute évidence, Constans a traduit très rapidement les Commentaires. C’est une traduction très imparfaite dans le détail avec de nombreux faux-sens et même des contre-sens. Il faut dire que la tâche n’était pas mince et lui-même était probablement conscient qu’il était allé un peu vite, ne mesurant pas les conséquences que cela allait entrainer pour les recherches archéologiques qui allaient suivre. Il faut donc revoir la question.
Mes contradicteurs habituels et récurrents vont encore hurler et m’accuser de tous les maux sur tous les mots que je retraduis. Eh bien tant pis ! Si ma traduction peut aider les archéologues qui veulent bien s’y intéresser, la voici.
Ma traduction et mon interprétation du texte de César. L’oppidum.
Vesontio est l’oppidum le plus important des Séquanes (DBG I, 38)...Dans cet oppidum, il y a tout ce qu’il faut pour la guerre (c’est-à-dire pour soutenir un siège)...la nature du lieu naturellement fortifié le rendait apte à conduire une guerre importante (c’est-à-dire à soutenir un long siège). En effet, le fleuve Doubs entoure presque tout l’oppidum, comme un cercle tracé au compas. L’espace que le cingle laisse libre ne mesure pas plus de 1600 pieds (464 mètres, c’est la distance de l’étranglement). Cet espace est fermé (verrouillé) par un "mons" (une hauteur), très haute. (J’ai inversé la phrase ; littéralement, c’est le mont qui verrouille l’espace libre). C’est ainsi, en quelque sorte, que les racines du mont (ses pieds) se touchent de part et d’autre aux deux rives du fleuve. Un mur (murus) qui l’entoure en fait une forteresse/citadelle... ce mur se lie à l’oppidum...
Cette description correspond très exactement à la boucle du Doubs. Cela, on l’a bien vu, évidemment. Mais ce fameux murus dont parle César n’entoure pas l’oppidum mais le mont. Rien à voir avec celui que les archéologues auraient mis au jour derrière le cingle. C’est ce mur qui fait de l’ouvrage une véritable citadelle. Le mot "arx" est sans équivoque. Il ne peut s’agir que d’une solide fortification constituée d’un mur de solides pierres maçonnées au mortier de chaux, un murus qu’il ne faut pas hésiter à traduire par "muraille".
Ce murus, cette citadelle, il faut donc rechercher tout cela là où Vauban a dressé son fort, sur le point haut ou en arrière. Et il faut se poser la question suivante : de deux choses l’une, ou bien Vauban a dressé son enceinte en reprenant les murs de l’ancienne citadelle ou ses fondations, ce dont je n’ai pas l’impression en regardant la vidéo montrant le site, ou bien il les a rasés ou achevé de les raser, mais alors, les archéologues devraient en retrouver la trace sous le fort ou en arrière.
Il n’en reste pas moins que la découverte de la portion de mur derrière le cingle est une importante découverte. Sur le plan de la logique défensive, il s’explique tout à fait. Il s’agit d’une première ligne de défense. Talus de 3 mètres de haut sur 6 mètres de large juste derrière l’obstacle que constitue la rivière et le dominant. Talus, mur si l’on veut, de pierres assemblées, armé de poutres en travers, à l’image des murs mis au jour au mont Beuvray ainsi qu’ailleurs. Ainsi s’explique le fait que César ait considéré la position comme très bien défendue, ce qui n’aurait pas été le cas si ce terrassement n’avait pas existé derrière le cingle. Ainsi s’explique que César ait précisé que l’oppidum était "lié" au mur/murus de la citadelle. Ce mur/talus de l’oppidum remontait donc à hauteur de la citadelle jusqu’à se réunir à sa muraille. Nous retrouverions alors ici, à Vesontio, l’image du système oppidumique de Mont-Saint-Vincent tel que Garenne l’a relevé et indiqué dans son ouvrage sur Bibracte et tel que je l’ai expliqué.
Enfin, remarque intéressante : les archéologues devraient pouvoir retrouver assez facilement la trace de ce talus/mur à l’endroit où il se reliait à la citadelle, ce qui nous donnerait une indication sur celle-ci et nous permettrait peut-être d’en retrouver la trace.
Une ville dont César ne parle pas.
C’est une grave erreur que d’avoir fait confiance au professeur Constans, car ce dernier, tout au long de sa traduction des Commentaires, ne fait jamais de différence entre le mot oppidum et le mot urbs qui se traduit par "ville". Il pense que les deux termes sont synonymes. C’est ainsi que dans ce passage, il traduit toujours le mot oppidum par ville alors que César n’a écrit à aucun endroit le mot "urbs" mais seulement celui d’oppidum. Cet oppidum, c’est la boucle du Doubs, l’espace qu’il enserre. C’est un oppidum refuge dans laquelle la population pouvait être, venir se mettre à l’abri en cas de danger et se défendre... sous les murs de la citadelle.
Mais alors, cette ville, ces maisons dont César ne parle pas, où était-elle ? Essayons une réponse logique : une partie de l’agglomération pouvait se trouver à l’intérieur du cingle - bâtiments publics et de prestige, temples, demeures des notables et de la noblesse. Une autre partie pouvait s’étendre à l’extérieur du cingle - population non noble ou commerçante. Toute cette ville s’articulait de part et d’autre d’un axe de symétrie rectiligne connu sous le nom de cardo, l’actuelle grande rue.
Ce dispositif correspond à ce qui existait à Lutèce, à la différence que l’oppidum de l’île de la cité ne semble avoir servi que de refuge, la ville se trouvant entièrement à l’extérieur avec ses bâtiments publics et ses monuments. La ville de Lutèce était reliée à l’oppidum par un pont, comme à Vesontio, un pont que l’on coupait, une fois les habitants mis à l’abri dans l’oppidum. Ce qui me surprend toutefois est, à Besançon, l’ordonnance des maisons à l’intérieur du cingle ce qui laisserait supposer que la plus grande partie des habitants auraient pu déjà s’y trouver à demeure, mais je ne suis pas au courant des résultats et des interprétations de fouilles.
Dans un de mes articles que Le Monde des abonnés a publié, j’ai expliqué le dispositif oppidum-ville de Lutèce tel que je viens de l’évoquer. J’ai montré que la bataille de Lutèce, que relate César, ne pouvait se comprendre qu’à condition d’accepter mon explication. Si ce système oppidum-ville existait à Lutèce avant que les Romains n’arrivent, cela signifie qu’il existait aussi à Vesontio, comme je viens de l’expliquer, et qu’on a bien tort d’attribuer tout cela à des Gallo-Romains d’après la conquête.