jeudi 9 octobre 2014 - par PELLEN

Blandine et le miracle des loups syndicaux

L’animal politique flamboyant se découvre une âme de héraut et n’hésite pas à proclamer l’aube de la transition énergétique levée sur la civilisation. Subjugués par la véhémence parlementaire de sa profession de foi, ou feignant opportunément de l’être, Henri Proglio et Luc Oursel saluent l’entame équilibrée de son admirable mission, dans le silence complice des personnels d’EDF et d’Areva. L’envoutement des deux populations semble avoir gagné les autres énergéticiens français et avoir inspiré à toute la communauté une paix des braves que la fronde anti éoliennes qualifie déjà de transaction scélérate. 

On ne reconnaît plus les irascibles hussards colbertistes qui, à l’initiative de Marcel Paul, tiennent d’une main de fer le secteur électro énergétique français, depuis la libération. L’hypnotisme qu’exerce la mythique ministre sur le microcosme médiatico politique de la bien-pensance est-il en train d’agir aussi efficacement sur eux que sur une gauche sonnée par l’incompétence avérée de ses cadres et par la vanité de ses projets ? En tout cas, que notre écologique Evita ne prenne pas trop vite la veulerie syndicale des électriciens pour une séduction définitive : leur apparente complaisance ne survivra pas longtemps à un instinct corporatiste inscrit dans le code génétique de l’entreprise publique.

Cet instinct peut souffler à tout moment un accès de lucidité à la communauté EDF-GDF-Suez, susceptible de la mettre sur le pied de guerre sans sommation. Au demeurant, un salut socio économique insoupçonné, que la Nation croyait définitivement hors de portée, pourrait bien venir de ce réflexe collectif qu’on n’attendait plus ; douchant les espoirs de ceux qui, prenant leurs désirs pour des réalités, croient voir l’union sacrée du productivisme et de l’écologisme dans l’apparente allégeance des électriciens, voire la célébration du grand soir de la sobriété consumériste d’où il paraît que doit émerger le plein emploi. Tandis que les apôtres en chantent déjà l’avènement, des Français triviaux, lucides et/ou familiers de l’entreprise publique s’étonnent que ledit réflexe corporatiste ne se soit pas encore manifesté !

Comment les EDF-GDF-Suez ne voient-ils pas, en effet, que le projet de loi socialo écologiste en gestation ne structure rien moins que la diabolique mécanique de renchérissement et de raréfaction continus d’une énergie électrique de moins en moins nucléaire ? Partant, les électriciens et leurs fédérations syndicales commettraient une erreur d’appréciation tragique en croyant les promoteurs de cette loi, leurs affidés et leurs obligés statutaires des grands corps industriels de l’Etat encore longtemps disposés à tolérer la quasi gratuité d’une denrée condamnée à se raréfier et à devenir hors de prix : les kWh électriques et gaziers.
Demain, le pouvoir voudrait-il maintenir contre vents et marées ce privilège accordé en 1946 aux actifs et aux retraités des opérateurs historiques, que l’impact physique et économique d’un tel avantage en nature sera devenu intenable... Un peu comme la présence croissante de billets de train gratuits dans le chiffre d’affaire d’un parc ferroviaire durablement figé par une politique d’austérité.

Mais l’on peut être assuré que, le moment venu, ces syndicats et ce personnel ne manqueront pas de montrer à la France entière l’étendue de leur détermination à défendre coûte que coûte « l’intérêt général », surtout à dévoiler une fois pour toute la conception qu’ils ont toujours eue de cette défense et des seuls motifs « légitimes » à l’engager dans un conflit total...

À laisser passivement se renforcer l’idée d’une vassalité aux nouveaux directeurs de la conscience collective, ces syndicats et ce personnel en posture d’homologation du paradigme de la frugalité sociale doivent bien garder à l’esprit qu’on ne peut pas avoir la femme soûle et la barrique pleine ! En d’autres termes, collaborer allègrement à l’organisation de la pénurie, sans prévoir de se l’appliquer à soi même, aura quelque chose d’indécent lorsqu’il n’y aura plus rien à partager... Dans ces conditions, on s’explique mal l’étrange assoupissement d’une communauté professionnelle habituellement aussi bouillante : pour une fois que, dans un secteur économique vital, on aimerait la voir faire preuve de la vigilance et de la réactivité indécentes observées chez son homologue de la SNCM, pour ne citer qu’elle...

La lucidité et l’instinct syndical fassent en tout cas que cette communauté se ressaisisse sans tarder et engage la défense précoce, farouche et percutante de ses intérêts catégoriels... Peu importe que, ce faisant, elle mesure ou non à quel point défendre l’abondance d’une richesse aussi essentielle que l’énergie électrique véhicule – une fois n’est pas coutume – la défense de l’intérêt général.

Or, qu’électriciens et gaziers ne s’y trompent pas : cette abondance est aujourd’hui bel et bien compromise par un projet de loi qui semble les laisser indifférents. Ce dernier se révèle en effet, de plus en plus clairement, le pendant énergétique de la calamiteuse loi ALUR portée par Cécile Duflot, l’autre prophète de l’ordre nouveau, ex bras armé de la justice écolo sociale. En faisant de l’idéologie le moteur de son économie immobilière administrée, l’éphémère ministre a réussi l’exploit de sinistrer le secteur du logement en seulement quelques mois. Les mises en garde de tout ce que la France compte de professionnels, de spécialistes et d’experts du domaine, contre les perversités de cette loi, n’avaient pourtant pas manqué. En vain : chez nous, le dogme semble plus que jamais au pouvoir.

Les mêmes causes objectives et prévisibles produisant les mêmes effets, notre pays s’achemine vers un juin 40 de l’énergie avec une inconscience et une désinvolture qui laissent pantois. Une fois encore, il se dispose à dissiper ses chiches ressources dans une illusoire défense passive dont le formidable appétit d’énergie de la tectonique économique mondiale en mouvement ne manquera pas d’engloutir les kWh épargnés à marche forcée (1). Aux citadelles « économies d’énergie imposées », « isolement massif et subventionné du parc immobilier » et autre « promotion assistée des bâtiments à énergie positive » de cette ruineuse ligne Maginot (1), il convient d’ajouter le renforcement du soutien (déjà colossal) à deux filières d’énergies davantage fatales, et donc subies, que renouvelables.

Personne ne semble s’émouvoir que, dans une période de disette budgétaire aussi alarmante qu’appelée à durer, un tel programme d’investissements publics prévoie d’obérer significativement les ressources de l’État. Chez la plupart des analystes sérieux, il fait pourtant de moins en moins de doute que les dispositions financées par ce programme auront à peu près la même efficacité socio économique que celles financées par la loi ALUR.

Comme toute guerre, celle de l’énergie ne peut se gagner sans l’action déterminante des forces offensives. Aussi, ignorer que le renforcement de celles-ci – ou au moins le maintien de leur potentiel – est un préalable absolu à toute confrontation constitue-t-il une authentique trahison nationale. Une trahison d’autant plus gravissime qu’investir l’essentiel des ressources disponibles dans une défense notoirement précaire équivaut à brûler ses vaisseaux et à priver le pays de toute voie de secours.

Les symptômes de l’anémie délibérément provoquée aux appareils nationaux de production électrique de plusieurs pays européens, dont la France, sont déjà flagrants. Ils témoignent que l’économie et le confort matériel de ces pays vont pâtir tout aussi immanquablement du délire « alternatif » que le logement français de la loi ALUR : Cf les liens http://www.lesoir.be/tag/blackout, http://www.lesoir.be/650024/article/actualite/belgique/elections-2014/2014-09- 10/catherine-fonck-ca-va-etre-boxon-si-on-change-plan-delestage et http://www.usinenouvelle.com/article/avec-2000-mw- de-deficit-rte-alerte-sur-les-risques-de-penurie-d-electricite.N283423#xtor=EPR-419.

Si vous ne le faites pas pour la communauté nationale, faites le au moins pour vous mêmes, a-t-on envie de dire aux Électriciens et aux Gaziers ! Que vous ayez une conscience citoyenne ou corporatiste du devoir professionnel, il devient en effet plus qu’urgent de vous mobiliser pour sauvegarder un outil industriel duquel dépend à des degrés divers la subsistance de nombreux compatriotes... dont, ne l’oubliez pas, vous faites partie. Cet outil n’est autre que notre parc électronucléaire, élément essentiel des forces énergétiques offensives mentionnées plus haut. Non seulement vous devez tout faire pour qu’on n’y touche pas, dans votre intérêt et dans l’intérêt supérieur du pays, mais, pour être cohérents, vous devez désormais œuvrer sans relâche à relancer sa dynamique de renouvellement, de développement et d’évolution technologique. Avec le bâtiment, c’est là de surcroît l’un des plus sûrs moyens de donner un coup de fouet immédiat, significatif, durable et ô combien salutaire à une croissance française dangereusement en berne.

(1) Les évolutions tendancielles souhaitables – et seulement elles – prescrites par cette loi ne peuvent tirer leur financement que des dividendes dégagés par une économie saine et efficace. Prétendre renverser l’ordre des facteurs, en faisant de ces évolutions les éléments tactiques et stratégiques d’un Gosplan, alors que l’État hyper endetté n’a plus un sous vaillant, relève de l’escroquerie... Encore et toujours ce préalable du minimum de prospérité économique, dont on ne sort pas. Or, l’actualité mondiale apporte la preuve éclatante que ce préalable a lui même un préalable : l’accès à une énergie suffisamment abondante à des coûts non prohibitifs ! 



4 réactions


  • longugid 9 octobre 2014 22:46
    Cet article n’est que le prolongement de l’article publié hier (accessible au lien http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-sape-deliberee-du-nucleaire-157744) dont tous les commentaires et observations qu’il a suscités valent pour la thématique développée ici. Je me contenterai donc d’ajouter ce qui suit et m’en tiendrai là.
    En empêchant possiblement la fermeture de deux réacteurs nucléaires, les personnels d’EDF ne feraient qu’exercer un droit de légitime défense contre une agression portant atteinte à leur outil de travail et aux intérêts supérieurs de la Nation. Au cours des derniers mois, cette agression a pris les deux formes suivantes, non indépendantes : la conclusion d’un marché électoral inique entre deux partis politiques, sur le dos des finances publiques et sur celui du niveau de vie des citoyens ; le harcèlement des installationsnucléaires et de leurs personnels par des saboteurs patentés, appartenant notamment à Greenpeace.
    On ne peut pas d’un côté applaudir les coups de main perpétrés par ces derniers sur les centrales nucléaires, avec une certaine bienveillance des juges français, et d’un autre condamner une corporation empêchant que l’on porte atteinte à un bien économique et industriel essentiel à leur entreprise et à la Nation toute entière. Aux Etats-Unis et en Russie, les forces de l’ordre ont pour consigne de tirer à vue sur les flibustiers s’avisant de faire les guignols sur des installations aussi sensibles que les centrales nucléaires. Y avez-vous vu les courageux Greenpeaciens y tenter l’aventure ?
    En conséquence, si les institutions politique, judiciaire et policière ne se chargent pas de faire régner les justices socio économique et pénale dans ce pays, il va bien falloir que quelqu’un se lève pour faire le coup de poing contre tous les intégristes cherchant à imposer leur loi par la contrainte,dans les centrales nucléaires mais aussi sur les sites de la recherche OGM. C’est parce qu’on observe une complicité objective entre les pouvoirs publics et ces saccageurs que je considère lescauses ci-dessus de notre malheur non indépendantes : l’une n’étant rien d’autre que l’expression politique de l’autre.
    Il serait temps que les Français se décident à prendre leurs affaires en main, au sens figuré comme au sens propre…
     
    André Pellen
     
    PS : pour paraphraser un ami alertant nos compatriotes sur le fait que, dans ce pays, « les singes se sont emparés du zoo », j’ajouterai que les « bourricots » se sont également emparés des fermes. 

  • JMBerniolles 10 octobre 2014 00:18

    Sans aller jusqu’à cautionner ce qualificatif de « colbertiste » essentiellement adressé à la CGT d’EDF [assez péjoratif pour Colbert qui a été un grand ministre pour la France de lui associer des intérêts étroits et corporatistes], je dirai qu’il y a très clairement un problème au sein des structures syndicales dans cette affaire, spécifiquement parce que beaucoup de responsables syndicaux sont sensibles aux idées anti nucléaires, et un problème plus général aussi. 


    Par exemple, alors que sous Sarkozy il y a eu de grandes manifs pour les retraites, on peut constater que sous Hollande c’est le calme plat. Pourtant le plus grand destructeur des acquis sociaux sur les retraites s’appelle Sapin, qui ne sait pas faire grand chose d’autre, depuis presque 20 ans.

    Sur le problème spécifique, on a vu au CEA la CFDT laisser afficher des positions anti nucléaires par beaucoup de ses responsables ;
    Laponche, grand révolutionnaire pour la CFDT au CEA en 1968, et aussi physicien de valeur, est devenu un grand détracteur du nucléaire civil, en tant que conseiller de Voynet, puis dans des articles, d’ailleurs minables pour quelqu’un qui a ses compétences, publiés dans Le Monde, journal de toute les manipulations.

    Les syndicats de Fessenheim, la CGT en tête avec J-L Cardoso et d’autres, luttent avec efficacité dans ce contexte un peu trouble contre la fermeture de la centrale. Les populations locales se sont aussi mobilisées pour défendre le nucléaire au-delà de cette simple centrale. Et il faut aussi souligner qu’un député, Michel Sordi, du Haut Rhin, s’investit avec efficacité dans cette lutte.

    Je sais que la CGT de Fessenheim a envisagé la possibilité de baisser la puissance des réacteurs, voir d’arrêter la centrale, ce qui pourrait poser des problèmes sur le réseau électrique. On comprend que le contexte syndical et l’impact problématique sur le réseau aient fait mettre de côté cette action qui n’est sûrement pas abandonnée.

    Je pense de plus en plus et les faits récents, comme des déclarations de Ségolène Royal (dont on sait que cela ne vaut pas grand chose !) semblent aussi le confirmer, que ce n’est sans doute pas Fessenheim que l’EDF [d’après le projet de Loi, c’est à l’EDF de prendre la responsabilité de fermeture) fermera, si toutefois des réacteurs sont arrêtés réellement.

    D’ailleurs, les responsables politiques dans la région de Gravelines commencent à s’inquiéter du possible choix de réacteurs de cette centrale. On pourrait aussi penser à Tricastin et s’étonner de ne pas entendre Noêl Mamère réclamer la fermeture de la Centrale du Blayais.
    Le fameux TchernoBlaye !

    Que dire sinon que nous sommes vraiment dans un pays à la dérive. 



  • JMBerniolles 10 octobre 2014 00:50

    Pour les réacteurs nucléaires du Tricastin j’ajouterai qu’ils sont importants pour l’alimentation électrique de PACA et une chose vraiment amusante, ils sont indispensables pour les expériences ITER !


    C’est très curieux pour nos socialistes, Michel Vauzelle le Président de PACA en tête qui tape sans vergogne sur Cadarache, il n’est pas question de toucher à ITER.

    ITER pose pourtant des problèmes graves d’envolée budgétaire, signe de non maîtrise du projet, et fait l’objet d’un sérieux doute sur son débouché, à partir de problèmes non résolus sur la physique et les matériaux.

  • robert 13 octobre 2014 17:16

    camarade Pellen, vous avez oublié d’appeler vos amis ici ?


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